Média indocile – nouvelle formule

Actuel

Actuel / Rébellion au rythme du Reggaeton


PARTAGER

Le gouverneur de Porto Rico, Ricardo Rosselló, a démissionné vendredi 2 août. Voici comment le Reggaeton, un genre musical dérivé du reggae, aux influences hip hop, né dans les Caraïbes, a contribué à sa débâcle. Après la Nueva Trova, qui a accompagné la révolution cubaine, naissance d’une nouvelle musique de la révolte?



Si des révolutions ont éclaté au printemps, Porto Rico a connu la sienne en été, et elle s’est déployée au rythme du Reggaeton. Dérivée du reggae, mâtinée d’influences hip hop, cette musique s’accompagne d’une danse connue pour ses déhanchements lascifs qui rappellent des positions sexuelles, d'où son nom «perreo» (littéralement: «canin»). A cause de ses paroles parfois sexistes et machistes, le Reggaeton a été interdit. Mais récemment il a accompagné la mobilisation d’une population outrée par son gouverneur, minée par une dette monumentale et des scandales de corruption.

Plus de 750'000 personnes se sont déplacées dans les rues de la capital, San Juan. © Instagram

Une population qui se relevait avec peine de la catastrophe provoquée par l'ouragan Maria. Vendredi 2 août, la mobilisation a abouti à la chute du gouverneur.  Ricardo Rosselló Nevares, fils de l'ancien gouverneur Pedro Rossello (1993-2001),  était au pouvoir à Porto Rico depuis 2017. Sur l’île, les manifestations ont commencé le 13 juillet dernier, à la suite de la publication de centaines de messages entre Rosselló et ses collaborateurs. Une débâcle qui a vite pris le nom de «RickyLeaks». Les messages ont révélé une succession de commentaires désobligeants, misogynes et homophobes visant des fonctionnaires et des personnalités publiques. Et, surtout, des moqueries sur les victimes de l'ouragan Maria, qui ont suscité un dégoût massif dans l'opinion publique. De plus, selon les journalistes du CPI (Centre pour le journalisme d'investigation) qui ont publié les discussions sur Telegram, les messages témoignaient aussi d'opérations de détournement de fonds publics liées aux secteurs de l'éducation et de la santé. S’y ajoutent des abus de la part de fonctionnaires qui ont fait passer des informations privilégiées et favorisé des sous-traitants pour différents services. Concernant ses messages vulgaires, Rosselló s'est excusé en disant que c'était une «erreur» et non un crime pour lequel il devrait démissionner. Cependant, à mesure qu’on en apprenait plus sur ce qui s’était dit parmi les fonctionnaires du groupe de discussion, l'image irréprochable du président se dégradait irrémédiablement.

Le reggaetonero Daddy Yankee au premier plan avec les manifestants © Instagram

Une révolution sans musique n'est pas une révolution

Ainsi, des célébrités de renommée locale et internationale sont entrées en scène, et ont mis leur «flow» et leur  rythme au service de la contestation populaire. L'un des premiers à demander la démission de Rosselló est le chanteur portoricain Ricky Martin, ouvertement homosexuel, sujet à de fortes attaques de la part du gouverneur à cause de son orientation sexuelle. Ajoutant de l’huile sur le feu, les reggaetoneros Daddy Yankee, Bad Bunny et René Perez, entre autres, ont plus tard rejoint le mouvement de contestation. Ensuite, la génération des Yo no me dejo (Je ne me laisse pas faire), comme ils se nomment, s'est postée devant «La Fortaleza», la résidence officielle du gouverneur, pour protester.

Dans d’autres circonstances, la révolution portoricaine aurait pu s’épuiser sans dommage pour le pouvoir. Mais elle a surgi dans une société dont les nerfs étaient à vif après une décennie de crise économique; l’union avec les reggaetoneros a fait exploser la bomba, comme ils le disent. Le message de la rue est clair: le respect se mérite et ne s’exige pas.

Au temps des manifestations, Ricky Martin a publié une photo avec les chanteurs Bad Bunny et René Perez © Instagram

Les moralistes condamnent

Le Reggaeton est issu des couches populaires et écouté depuis des années dans les bidonvilles de San Juan, capitale de ce «territoire incorporé» aux États-Unis. Ce qui a donné à certains artistes disposant de peu de ressources économiques la possibilité de sortir de la pauvreté. En réalité, les textes ne chantent pas seulement le sexe et la drogue, mais aussi le déséquilibre social des quartiers marginalisés et oubliés du protectorat américain. Une musique qui a toujours dérangé. À tel point que, sur l'île, elle a même été interdite. Malgré les préjugés et la censure, sa diffusion s'est poursuivie à un rythme effréné. Par le passé, une autre musique a incarné la voix jeune et rebelle du peuple en mouvement: la Nueva Trova, qui a accompagné les luttes sociales des années 60 et 70, quand les troubadours chantaient la révolte contre les dictatures en Amérique latine. C’est la musique qui a accompagné la révolution cubaine et d’autres qui ont suivi. Maintenant, beaucoup se demandent si le Reggaeton peut être considéré comme de la musique contestataire, si ce nouveau genre musical pourrait accompagner les révolutions d’aujourd’hui et de demain.  Il n'est pas trop tard pour changer le monde car, comme dirait Mercedes Sosa, figure de proue de la Nueva Trova, «Tout change!» Le pouvoir de la musique, Ricardo Rosselló le mesure à ses dépends: c'est la première fois qu'un gouverneur démissionne sur l'île.


Pour une brève introduction au Reggaeton:

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Galerie Univers Lausanne 08.08.2019 | 16h15

«Quelle mobilisation, quelle détermination.
Qui occupera la place du gouverneur ?»