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Actuel

Actuel / 20 ans et un temps de chien

Antoine Menusier

3 novembre 2017

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C’est dans une atmosphère extrêmement tendue que le jugement au procès Merah a été rendu hier à Paris. Les parties civiles sont sorties déçues de l’ultime audience. Elles avaient espéré la perpétuité pour Abdelkader Merah, le frère du tueur Mohamed, abattu en 2012 par les forces de l’ordre après qu’il eut assassiné sept personnes, dont trois enfants. L’accusé était poursuivi pour complicité de ces crimes. Le verdict est tombé au lendemain de la découverte de la stèle profanée d’Ilan Halimi, et de la une de «Charlie Hebdo» moquant Tariq Ramadan, qui vaut des menaces de mort au journal satirique.



Vingt ans de réclusion criminelle. Autant dire un acquittement, pour ceux qui espéraient la condamnation à perpétuité d’Abdelkader Merah. Il aurait fallu pour cela qu’il soit reconnu complice des sept assassinats commis par son frère cadet Mohamed en mars 2012 à Toulouse et Montauban, dans le Sud-Ouest de la France. Manquant de preuves pour étayer ce chef d’accusation, ainsi qu’elle l’a expliqué dans les motivations de son verdict rendu hier soir à Paris au terme de cinq semaines d’un procès d’assises hors normes, la cour composée de magistrats professionnels a en revanche retenu contre lui l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Il écope du maximum de la peine, aux deux tiers incompressible. Son profil djihadiste est établi, mais l’homme, 35 ans, qui a écouté la sentence les bras croisés, debout, le regard tourné vers le président de la cour, n’est terroriste que par association, non par intention.

Mort le 22 mars 2012 à Toulouse dans l’assaut policier qui mit fin à son parcours macabre, Mohamed Merah n’était plus là pour répondre de ses terribles forfaits: trois soldats tués, un quatrième rendu tétraplégique, visés parce que la France était impliquée militairement contre ses «frères» en Afghanistan; un père, ses deux fils, une petite fille abattus dans la cour d’une école juive, précisément parce qu’ils étaient juifs et dont la mort devait «venger les enfants palestiniens», indiquerait-il, là encore, dans les derniers instants de sa vie. Abdelkader remplaçait en quelque sorte Mohamed dans le box, au côté d’un deuxième accusé, Fettah Malki, 35 ans également, condamné à 14 ans de prison, peine pareillement incompressible aux deux tiers, pour avoir fourni à l’assassin un pistolet-mitrailleur de marque Uzi en plus d’un gilet pare-balles.

Aucun cri, aucun mot

Avec Abdelkader Merah, converti à l’islamisme radical en 2006, adepte du salafisme djihadiste qui faisait recette chez certains des jeunes habitants des Izards, un quartier défavorisé de Toulouse, les parties civiles ne tenaient pas l’auteur des faits, mais celui qui les avait inspirés, pire, qui les avait planifiés. C’est du moins la version à laquelle elles ont donné l’impression de s’accrocher durant ces longues semaines remplies de coups d’éclat et de pleurs, où l’on eut la confirmation que la direction centrale du renseignement français avait failli. Mais établir les manquements de la sécurité intérieure n’était pas la priorité de ce procès, ni celle des proches des victimes. Ceux-ci voulaient une condamnation maximale du principal accusé, une sanction pénale à la hauteur d’une entreprise terroriste qui inaugura il y a cinq ans l’actuelle séquence des attentats islamistes frappant la France. Ils ne l’on pas eue. D’où la déception s’affichant sur leurs visages au moment fatidique, quand sont tombées les années de prison, bien en deçà des maximas requis par la représentante du ministère public.

Mais il n’y eut aucun cri, aucun mot, même, dans l’assistance, à l’annonce du verdict, comme si, au fond d’elles-mêmes, les parties civiles s’étaient préparées à ce pis-aller. Au terme de l’audience, Me Olivier Morice disait avoir préparé à cette issue la mère de Mohamed Farah Chemsedine Legouad, l’un des trois militaires assassinés. Aux journalistes comme aux familles, il déclara que la justice avait été rendue «dans la sérénité». Et vint même en renfort de l’un des trois avocats d’Abdelkader Merah, le célèbre Eric Dupond-Moretti, pris à partie à la sortie de la salle Voltaire où s’était tenu le procès sous bonne garde des gendarmes, dont le déploiement était hier spécialement impressionnant.

«Collabo! Démission!», lui lançaient des membres de la Ligue de défense juive (LDJ). Ce groupuscule sioniste extrémiste reprochait à Eric Dupond-Moretti qu’on surnomme acquitator d’avoir prêté son grand talent au frère d’un tueur d’enfants juifs. C’était peut-être l’un de ce groupuscule, qui, plus tôt, avant que l’audience ne commence, avait bousculé Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, un autre militaire assassiné. «Il a dû me prendre pour une habitante du quartier des Izards ou pour la mère d’Abdelkader Merah», supposait-elle, protégée par deux gardes en civil, ses cheveux ceints d’un foulard – l’auteur du coup de coude viendra s’excuser. Zoulikha Aziri, la mère des frères Merah, s’était dès le premier jour du procès fait détester des familles des victimes, elle qui passait pour avoir transmis à sa descendance la haine des juifs et de la France.

Le 6e pilier de l'islam

Alors que Me Dupond-Moretti quittait le palais de justice sous protection, une de ses consœurs des parties civiles, Me Laure Bergès-Kuntz, avocate de Loïc Liber, le soldat touché d’une balle aux cervicales et depuis tétraplégique, battait froid la star du barreau: «Acquitator n’a pas acquitté», ricanait-elle, scandalisée cela dit par un verdict à son goût trop clément, qui évoquait chez elle un «Munich de la justice», allusion aux accords du même nom, signés en 1938. Elle citait Churchill s’adressant aux signataires britannique et français: «Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre.»

C’est peu de dire que ce procès s’achève dans une atmosphère électrique. La veille, le matin de la Toussaint, la stèle érigée à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, en mémoire du jeune juif Ilan Halimi, mort en 2006 à la suite d’un enlèvement et de tortures infligées par le «gang des barbares», a été découverte profanée par un couple de promeneurs. Le même jour sortait le dernier numéro de Charlie Hebdo, avec en une, un Tariq Ramadan priapique et cette inscription lui faisant dire: «Je suis le 6e pilier de l’islam». L’hebdomadaire satirique surfait sur les plaintes pour viol déposées par deux femmes contre le prédicateur musulman de nationalité suisse (lire la Lettre ouverte de Mohamed Hamdaoui publiée ce jour dans Bon pour la tête). Mais on pouvait entendre là, aussi, une allusion à un propos ambigu tenu par Abdelkader Merah lors du procès, quand l’accusé avait parlé des «six piliers de l’islam» – l’islam n’en comptant que cinq, le sixième ne pouvait être que le djihad armé, comme le prétendent des salafistes. «Charlie» fait depuis l’objet de menaces de mort, certaines prononcées sur un ton sarcastique, d’autres semblant beaucoup plus sérieuses. Plus rien ne semble avoir de vertu pédagogique: ni un procès, ni un dessin, ni la stèle d’un mort.


Précédemment dans Bon pour la tête

Mohamed Merah, mars 2012: le procès d’un long silence, par Antoine Menusier

Avignon fait ressurgir deux Merah: Abdelghani le bon et Mohamed le méchant, par Antoine Menusier

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