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Actuel / La Suisse confine les femmes au temps partiel. Cela doit changer, estime l'OCDE

Denis Masmejan

1 décembre 2017

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La productivité de l'économie suisse stagne, constatent les experts de l'OCDE dans leur dernier rapport sur notre pays. Parmi les raisons qui expliquent l'essoufflement de la croissance: le faible taux d'activité des femmes sur le marché du travail en comparaison internationale. Les femmes sont certes nombreuses à exercer un emploi, elles sont très bien formées, mais elles battent les records mondiaux du temps partiel, tandis que les hommes, eux, continuent à travailler très majoritairement à temps plein. En cause: le système fiscal et la prévoyance professionnelle qui n'encouragent ni l'un ni l'autre une répartition plus équitable des rôles au sein du couple. Une réforme fiscale vient d'être proposée par le Conseil fédéral, mais elle reste très timide.



En Suisse, le travail à temps partiel est une affaire de femmes et le reste, constate le dernier rapport de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) consacré à l’économie helvétique et publié ce mois. Une majorité de femmes ont réduit leur temps de travail, alors que seule une petite minorité d’hommes ont franchi ce pas. Aucun signe n’indique que la tendance puisse s’inverser.

Pour les experts de l’organisation regroupant les principaux pays industrialisés du monde, le faible taux d’occupation des femmes est de l’une des raisons – pas la seule – expliquant la stagnation de la productivité de l’économie suisse ces dernières années. Ils appellent à des réformes, notamment fiscales, mais pour l’heure le monde politique en Suisse se montre timide.

Un des écarts les plus élevés du monde

Selon le rapport, l’écart entre la part des hommes et celle des femmes ayant réduit leur temps de travail est l’un des plus élevés du monde: 17% pour les hommes, 57% pour les femmes. Seuls les Pays-Bas affichent un résultat encore moins favorable, mais avec une proportion malgré tout plus élevée d’hommes travaillant à temps partiel (35% contre 75% environ). L’image est toute différente en France, où l’écart est beaucoup plus resserré: (8% contre 30%). Il est plus mince encore en Finlande et dans les pays de l’Est de l’Europe.

Source: OCDE, base de données sur le marché du travail.

Les femmes en Suisse sont certes nombreuses à travailler en comparaison internationale, mais il s’agit le plus souvent de temps partiel. Résultat? Alors même que près d’une personne active sur deux est une femme – comme la moitié à peu près des diplômés de l’enseignement supérieur – le volume global de travail fourni par les femmes est proportionnellement parmi les plus faibles du monde industrialisé.

Surprise : la proportion du temps partiel féminin est demeurée étonnamment stable depuis le début des relevés de l’OCDE en 1976. L’évolution des mentalités depuis trente ou quarante ans est donc restée sans effet notable sur la répartition «genrée» du travail à temps partiel. La part des hommes ayant réduit leur taux d’activité a certes légèrement augmenté mais celle des femmes reste largement supérieure et ne se réduit pas.

Revenu par habitant stationnaire

Des réformes sont nécessaires, estiment les experts de l’OCDE. L'économie suisse a certes «fait preuve d'une résilience considérable face aux chocs, mais sa croissance demeure lente et le revenu par habitant reste stationnaire aux alentours des niveaux atteints avant la crise économique mondiale.» Des mesures devraient dès lors être prises «pour relancer la croissance de la productivité, renforcer les revenus et garantir la transmission aux générations futures des niveaux de vie et de bien-être élevés dont jouit aujourd'hui la population».

Dans cette perspective, les femmes – mais aussi les immigrés – doivent être mieux intégrées au marché du travail. La Suisse, écrit l’OCDE, devrait «améliorer l'accès à des services abordables d'accueil des jeunes enfants, modifier l'imposition des revenus afin qu'elle s'applique au niveau des individus, et non des ménages, et faciliter l'immigration des personnes hautement qualifiées originaires de pays non membres de l'Union européenne.

Les autorités fédérales ont commencé à bouger. Mais timidement. Les chambres fédérales ont certes alloué une aide financière de 82,5 millions aux cantons et aux communes pour qu’elles créent des places d’accueil dans des crèches. En parallèle, le Conseil fédéral a mis sur les rails une révision de la fiscalité de la famille. Objectif: encourager les femmes à travailler plus en augmentant les déductions fiscales pour les frais de garde des enfants. De telles déductions sont possibles, mais depuis 2011 seulement, et le Conseil fédéral veut relever les plafonds admis aujourd’hui (10'100 francs au maximum pour l’impôt fédéral direct).

La prévoyance professionnelle aussi à la source du problème

Malheureusement, des doutes sont permis. Car la déduction restera limitée à un niveau qui pourrait se révéler trop bas. Compte tenu du coût exorbitant de l’accueil des enfants dans des crèches, il n’est pas du tout certain que la révision proposée puisse avoir les effets qu’on attend d’elle, comme l’a expliqué Valérie Junod, professeur de droit à Genève, dans une tribune publiée par Le Temps en août dernier.

De toute manière, la fiscalité n’est de loin pas le seul obstacle d’ordre financier à un partage plus équitable des rôles au sein d’un couple. La prévoyance professionnelle ne favorise pas, elle non plus, le travail à temps partiel.  L’AGEFI a récemment montré, exemples chiffrés à l’appui, que les pénalités liés au temps partiel sur le plan de la prévoyance deviennent rapidement supérieures aux avantages liés à la fiscalité de la famille.

La Conférence suisse des délégués à l’égalité se montre consciente de ce problème. L’étude qu’elle a menée l’an dernier montrait que la meilleure stratégie, aujourd’hui, consiste pour une femme – ou un homme –  à travailler à plein temps avant d’avoir des enfants et de reprendre un plein emploi dès que leur âge le permet. Mais seule une infime minorité des familles ont adopté ce modèle. Au minimum, il faudrait que les femmes ne réduisent jamais leur temps de travail en dessous de 70%. Refusé par le peuple en septembre dernier, le projet Prévoyance 2020 amenait des améliorations, mais tout est désormais à refaire.


VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@FLEUR191 01.12.2017 | 13h52

«Tant que nous aurons au pouvoir un parti politique (l'UDC) qui considère qu'avoir des enfants est une affaire privée où l'Etat ne doit pas intervenir, que des mesures simples telles que nouvelles crèches à des prix abordables, des horaires scolaires en accord avec ceux du monde du travail (accueil extrascolaires adéquats) ne seront pas prises, les femmes n'auront le choix que de travailler à temps partiel ou d'arrêter de bosser si elles veulent des enfants, ou ne pas avoir d'enfants du tout. Le résultat est un vieillissement de la population à cause de la dénatalité. De plus, la génération des 50 ans et plus après avoir dû galérer pour garder ses enfants, doit ensuite, une fois ces derniers sortis de la coquille, trouver des solutions pour s'occuper des séniors (80+) et concilier leur vie professionnelle. Avec des partis qui souhaitent rallonger la durée de vie du travail (retraite à 65 ans et plus) , l'UDC qui ne veut plus d'étrangers supplémentaires, comment veulent - ils faire tourner l'économie??? Ont-ils une recette miracle pour concilier une vie professionnelle à temps complet (semaine de travail moyenne de 42 h, voir plus souhaitée par certains milieux patronaux) ? A moins que cette combinaison de différents travails hebdomadaires (professionnels, et privés garde d'enfants et de personnes âgées combinées) ne visent qu'à épuiser le simple quidam, et que ce dernier à bout de forces, n'atteigne jamais l'âge de la retraite pour cause de mortalité prématurée. C'est un autre moyen de faire d'économiser les fonds des retraites que de réduire le nombre des bénéficiaires potentiels AVANT qu'ils ne puissent en bénéficier. »


@stef 06.12.2017 | 16h43

«Je plussoie à "FLEUR191" !»