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A vif

A vif / Un été enchanté par le verbe d’Alexandre Dumas


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Qu’avez-vous fait cet été? - Rien. Mais ce rien m’a occupé tout entier, et ce n’est pas fini! Car ce rien a été peuplé de riens qui l’ont comblé tout à fait. Vous comprendrez mieux ce que je veux dire avec les deux exemples qui suivent.



Le hasard ou la providence ont d’abord fait que j’ai dû m’occuper de mes parents pendant les vacances de mes frères et sœurs et des cuisiniers et traiteurs qui d’habitude pourvoient à leurs repas. Tout d’abord, ma mère, à 95 ans bien tassés, a eu la bonne idée de se faire opérer d’une appendicite aiguë qui l’a confinée six jours à l’hôpital, laissant mon père, 98 ans largement révolus, seul à la maison. Pendant quelques jours, j’ai donc dû modestement assumer ma responsabilité de bon fils et cuisiner et livrer quelques plats assez attractifs pour stimuler leur appétit défaillant.

Cet exercice culinaire et filial fut l’occasion d’observer les grandeurs et misères du grand âge, et de méditer sur le temps qui passe, les souvenirs qui défilent, les années qui commencent à peser et la fin qui approche. Croyez-moi, cela occupe bien l’esprit.

Mais comme le hasard fait bien les choses, ce fut aussi l’occasion de redécouvrir Alexandre Dumas. Pas à cause du film sur le Comte de Monte-Cristo qui vient de relancer l’intérêt pour cet écrivain négligé mais grâce au Maître d’armes (Syrtes, 2024), un livre peu connu de Dumas, que mon éditeur avait eu la bonne idée de rééditer à la veille des vacances. 

Et là, ce fut un enchantement. 

Sur tous les plans.

La richesse du verbe, la maitrise de la syntaxe, la grâce du style mais aussi l’art de la description, le sens de l’intrigue, la connaissance des détails historiques, la vérité de sentiments, et encore une empathie pour le pays dans lequel se déroule l’action et pour l’ensemble des personnages, si opposés soient-ils, font que tout est convaincant dans ce récit. Qui, donc, subjugue à la fois par sa langue et par son intrigue, la fiction s’insérant avec le plus grand naturel dans la trame historique. 

L’action se déploie dans la Russie des années 1820, au moment de la mort d’Alexandre Ier et de la conspiration des décabristes. Le roman raconte, par la bouche d’un maître d’escrime français bien introduit dans les cercles de la noblesse, le drame d’un jeune couturière parisienne installée à Saint-Pétersbourg et qui part rejoindre son amant exilé en Sibérie. Un régal qui frappe aujourd’hui par sa liberté de ton et son absence de préjugés à l’égard d’une puissance qui avait pourtant battu les armées napoléonniennes en 1812. Le récit a été publié en 1840, à une époque où la russophobie française atteignait un sommet, quand le baron Astolphe de Custine rédigeait son pamphlet antirusse «La Russie en 1839» pour la plus grande joie de toutes les cours d’Europe liguées contre la Russie. Dumas, auteur par ailleurs de plusieurs romans caucasiens, n’a jamais hésité à écrire à rebours des passions de son temps. 

Cette découverte m’a fait plonger dans un autre roman peu connu de Dumas, Création et Rédemption, son dernier chef-d’œuvre, qui est à la fois une chronique de la Révolution française, une histoire d’amour et un hymne aux engouements pré-scientifiques de son époque pour le mesmérisme et l’alchimie. Je n’en dis pas plus et me contenterai de citer une phrase qui m’a empêché de dormir, tant sa portée philosophique et sa construction, que je n’avais plus rencontrées depuis au moins un demi-siècle, m’avaient laissé une profonde impression: «Créer et ne plus mourir, n’est-ce point l’idéal de la science? Car la science est la rivale de Dieu. L’homme connût-il les mystères de toutes choses de ce monde, l’homme arrivât-il à exposer devant Dieu lui-même d’irréfutables théories, Dieu lui répondra:

"Si tu sais tout, tu n’es qu’à la moitié de ta route; maintenant crée un ver ou une étoile et tu seras mon égal."»

A l’époque, Dumas publiait ses romans en feuilleton dans des journaux qui doublaient leur tirage grâce à lui. Qui, aujourd’hui, pourrait écrire de telles phrases, si riches de sens et en usant de l’imparfait du subjonctif dans des subordonnées sans conjonction et avec une principale au futur, en étant compris et apprécié de ses lecteurs au point de faire bondir l’audience?

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@LEFV024 17.08.2024 | 14h38

«Moi, j'ai redécouvert Zola récemment, c'est pas mal non plus!»


@Mardor 05.09.2024 | 07h37

«Merci…ça me donne envie de le lire …de mon côté c’est Guy de Maupassant..ma redécouverte..»


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