A vif / «Le monde se réveillera avec une odeur d’œstrogène»
Vulve, pénétration, gland, érection. Voilà, c’est dit. Mais ne prenez pas ces mots pour des expressions vulgaires: bien au contraire, à la «Fête du slip», ils sont beaux, harmonieux, parfois violents mais aussi poétiques. Et finalement, ils sont simplement un ensemble de lettres dévoilant des pratiques intimes propres à chacune et chacun. Osons les utiliser: car sans eux, ce serait difficile de parler de ce festival des sexualités et de continuer les débats, tout au long de l’année.
Rappelons-le
s’il le faut encore: entrer dans une salle de cinéma (en l’occurrence à
l’Arsenic à Lausanne) pour une projection de film porno durant la Fête du slip,
ne revient pas à mettre les pieds dans une cave humide, repère de quelques
individus libidineux qui vous regarderont une main dans une poche, l’autre sur
leur bière. S’il y a bien un endroit ou l’identité sexuelle d’un spectateur ou
d’une spectatrice ne sera ni jugée, ni catégorisée, ni même relevée, c’est bien
là.
L'ambiance lors du brunch végane du dimanche matin. © Fête du slip
Sans surprise, il faut néanmoins se préparer à voir du sexe, des sexes ainsi que des images bien plus questionnantes que du sexe et des sexes. Et tout cela, entouré de parfaits inconnu-es. Si ces quelques remarques préliminaires paraitront tout à fait banales aux quelque 5000 visiteurs de cette édition 2018, tous les autres seront peut-être contents de l’apprendre.
«Si votre pénis pouvait parler, que dirait-il?»
Rentrons
maintenant dans le vif du sujet. Hier avait lieu une projection du concours du
slip d’or, avec comme premier court-métrage Penis Poetry. Le journal intime
d’un sexe masculin, lu par une voix off en 14 minutes: «Tous les pénis ont
quelque chose à raconter», dit cette voix grave. Il énumère ses partenaires,
explique comment il dessine et écrit sur leur membre. Il fait part de ses
déceptions et de ses réflexions:
«Tu peux briser un cœur, mais pas un pénis».
Une vraie ode verbale à cet organe, une sublimation de la verge et de ses diversités, entre repos et érections, sans discrimination.
La compétition continue avec Idolatry, un rapport en soumission douce d’un homme pour une femme, serpentée de tatouages. Aucun mot échangé, mais une connexion quasi intellectuelle entre les deux corps. Les sexes sont dans l’ombre: ils ne sont pas les héros de cette histoire. La pénétration, outil presque systématique du porn-mainstream hétérosexuel, non plus. La jouissance l’est par contre. A la fois forte et délicate; presque protectrice.
Pas besoin de s’attarder sur le prochain court-métrage. Le propos est certes important, mais relativement simple: Tête de bite, trou du cul, con, etc. devraient être des compliments. Imaginez donc ce qu’un trou du cul peut ressentir? Cette personne aurait bien de la chance! Don’t call me a dick: c’est court, c’est concis, c’est drôle. Scène coupée quant à lui et certes court, mais il n’est ni concis, ni drôle. On se demande bien si on est dans une scène de meurtre, de viol ou de sexe. L’image est floue, le cadrage est particulier, le son ne correspond pas forcément à la séquence: une œuvre qui parlera à certains… et pas à d’autres.
Performer par goût de l’art et de l’artisanat
Pour finir, Tie me up! A Shibari documentary, raconte l’art du Shibari, cette sorte de bondage japonais. L’une des intervenantes raconte qu’elle a toujours aimé l’art et l’artisanat. Pour elle, c’est une manière de travailler avec ses mains. Plans lents et précis de cette femme, nouant des cordes autour du corps d’un homme. Celui-ci explique aimer être dominé de cette manière. Les gestes sont doux et francs. Mêler l’instructif à la pornographie semble tout à fait réussi. Le documentaire finit malheureusement sur une scène de coït très long: un style de porno dur, sans sensualité.
Queer Tarot Healing Ritual, Rosa Salvia Bucket, prétresse de la transformation. © Fête du Slip
Et les longs-métrages dans tout cela? Il y en a. Des performances live, des expositions, des débats, des rencontres avec les artistes aussi. Toutes des expériences visuelles, sensorielles et intellectuelles qui permettent de questionner la place de tout un chacun et toute une chacune dans son expérience sexuelle: et au travers de cela, de questionner la norme et ses répercussions sociales et politiques.
A ce titre, un mot encore sur The Misandrist. Malgré un jeu d’actrices tout à fait discutable, un style décalé pas assez assumé et un dogmatisme misandre martelé – ce qui fait pas mal de points négatifs, je vous l’accorde…– ce film montre une volonté féministe anticapitaliste radicale appréciablement décoiffante. Quelques perles méritent donc d’être citées: ce mouvement révolutionnaire des «lesbiennes ouvrières» estime que «le monde doit se réveiller enfin avec une odeur d’œstrogène». Cela arrivera tôt ou tard, car quoi qu’il en soit «la femme est une fièvre qui ne tombe jamais». Le film finissant sur une scène d’orgie générale, nommée «Pornutopia».
Tout cela met l’eau à la bouche? Il faudra refréner nos ardeurs jusqu’à l’année prochaine, car la Fête du slip, c’est terminé pour 2018. Néanmoins, si la pornographie non normée et éthique peut changer certains a priori, les pratiques dans l’intimité peuvent également influencer toute une philosophie quotidienne. A méditer jusqu’à mai 2019.
Précédemment dans Bon pour la tête
Au-delà de la binarité des sexes et autres visions du réel
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Oliver 15.05.2018 | 12h48
«Bravo madame
Désormais je ferai de l'Amour aussi une performance artistique»