A vif / Et l’opérette, ça vous chante?
Du 11 au 20 janvier prochains, à la Grange de Dorigny, se donnera la première, en création, d’une opérette du compositeur Richard Dubugnon, sous le titre de «Jeanne et Hiro». A peine deux mois après la création du «Mystère d'Agaune», oratorio salué par d’aucuns comme un chef-d’œuvre, et la présentation à Lyon d’une autre œuvre originale à caractère napoléonien, l’incursion de Richard Dubugnon dans le genre festif, voire folâtre de l’opérette, exigeait un éclaircissement, dûment apporté par notre entretien exclusif plutôt qu’inclusif…
Jean-Louis Kuffer: Maître, puisque c’est sous ce titre que vous aimez être appelé en début d’année, comment voyez-vous l’avenir à l’horizon de 2019?
Richard Dubugnon: Où avez-vous lu que je désirais être appelé ainsi? Il est vrai que l’on nommait les compositeurs «Maître» encore au début du siècle passé, or aujourd’hui seuls les chefs d’orchestre ont droit à ce terme flatteur, et en italien s’il vous plaît, alors que sans le compositeur, ils n’auraient rien à diriger…
Pour 2019, je ne suis pas devin, s’il y avait un horizon à imaginer «en bien», ce serait l’ébauche d’une action globale pour sauver le climat de notre planète! Je crains cependant que 2019 ne soit que la continuation de 2018: plus de pollution, plus d’insécurité, plus de peur, donc plus d’agressivité, hélas. L’homme n’a pas évolué moralement depuis l’antiquité. Pire: il a mis son affolante technologie au service de ses tares les plus viles. Mon souhait caché serait que la morale de mon ouvrage, que vous découvrirez en fin d’entretien, soit suivie par tous.
La rumeur parle de votre prochain ouvrage en le qualifiant d’opérette. Est-ce bien sérieux?
Il s’agit en effet d’une opérette mais – comme le terme le laisse deviner – c’est évidemment pour ne pas se prendre au sérieux. Une réaction sans doute à l’actualité que nous servent les médias friands de sensationnalisme et qui fait leur pain quotidien. En réalité, cela fait longtemps que je voulais m’amuser et montrer mon penchant clownesque, qui est plus «moi» dans la vie réelle que le compositeur de concertos et de musique savante.
L’on dit aussi que l’opus en question sera représenté dans une grange. Le confirmez-vous à l’heure qu’il est?
Oui, à la Grange de Dorigny, mais on aura pris soin d’en ôter les bottes de paille, car vu que la musique est «hot», le risque d’incendie est grand.
Est-ce trop vous demander d’en détailler l’intrigue sans déflorer le secret de ses ressorts?
On laissera donc les ressorts vierges tout en vous dévoilant ceci: Jeanne & Hiro raconte l’histoire d’une soprano à la voix ordinaire qui débute l’opérette par une audition pour la Sopran’Ac, parodie de programmes télévisés. Recalée, elle décide d’aller à Rio pour changer de voix. Dans un Rio fantasmagorique, où se pratiquent des opérations en tout genre, elle y fera la connaissance du marabout noir albinos Loumbago, des travestis Foao, Woao et Boao, du culturiste Pho To Ma Tong et enfin de Hiro, champion du monde de karaoké, qui fera battre son cœur un peu plus fort. Ses tentatives de changer de voix lui feront connaître moult aventures et mésaventures, ce qui fait qu’elle n’aura à la fin qu’un seul désir: retrouver sa petite voix d’antan.
Le transit de l’Oratorio à l’Opérette exige-t-il ce qu’on pourrait taxer de grand écart musical?
Je suis habitué à m’adapter à chaque nouveau projet. Pour le Mystère d’Agaune auquel vous faites allusion, je me suis collé au texte magnifique de Christophe Gallaz, teinté de gravité et de douce poésie, tout en le mâtinant de touches humoristiques: ici des ustensiles de cuisine, des sirènes d’ambulances, là un orgue de Barbarie jouant des antiennes grégoriennes, un orgue faux jouant une valse déglinguée… Le burlesque n’est jamais loin, car le rire est sacré. Ceux qui ne rient pas ne sont pas humains! N’est-il pas vrai que le rire est le propre de l’homme, puisque certains animaux pleurent? Ce transit m'est donc intrinsèque, il est organique, intestinal.
Qu’en est-il de vos interprètes, chanteurs et musiciens? Vont-ils nous dérider?
«C’est pas tous les jours qu’on vous déride les fesses», disait notre ami Tonton Georges, mais il s’agit de la troupe Cluster Créations, dirigée par Elisabeth Greppin-Péclat, rompue à l’exercice de création, puisqu’elle avait notamment ressuscité l’opéra Sauvage du regretté Dominique Lehmann en cette même Grange de Dorigny en 2016. Pour Jeanne & Hiro, le foisonnement de Rio nécessite des artistes versatiles capables de faire plusieurs personnages à la fois, des musiciens jouant de plusieurs instruments dans plusieurs styles, du classique au funk en passant par la samba bien sûr, et capables de jouer la comédie. Il y aura aussi de la vidéo, des effets sonores et un peu de magie. Je fais appel à cinq chanteurs, un petit orchestre de couleur jazz: piano, basse, batterie, percussion. La mise en scène est assurée par le dramaturge vaudois Benjamin Knobil, également auteur de pièces de théâtre et qui a fondé la compagnie Nonante Trois.
Quel message cette œuvre nouvelle fait-elle passer, et notamment à l’attention de nos jeunes?
Comme dans toutes les comédies, il y a beaucoup de messages d’avertissement sous le couvert du burlesque: en ouverture d’opérette, le Cancan du cellulaire rappelle d'éteindre son téléphone portable en se moquant de l’addiction de certains. Les répliques du jury de la Sopran’Ac illustrent l'arrogance de ceux qui s’improvisent juges dans des matières où ils n’y entendent rien. L’air avec chœur Fum’ fum’ nous renvoie à l’époque où fumer était un art, alors qu'aujourd’hui c’est devenu un acte terroriste… Ainsi de suite. La morale que je cherche à faire passer - après m’être gentiment vengé des chanteuses égocentriques et copieusement moquesé du monde du showbiz classique et télévisé - est «on est vraiment bien qu’avec ce qu’on a » et « il faut s’accepter tel que l’on est ». Une prière toute bête, mais qui rendrait la planète un meilleur endroit pour vivre si elle était suivie par tous!
Je cite le quatrain final de Jeanne & Hiro chanté en chœur:
Ah qu'on est bien avec sa vraie voix,
On est vraiment bien qu'avec ce qu'on a!
Vouloir toujours plus, ça obsède,
Et fait négliger ce qu'on possède.
Il faut savoir s'accepter tel que l'on est.
Soprano, petite ou grande,
Noir, blanc, métis, albinos ou japonais,
La règle reste la même:
On ne peut aimer sans s'aimer soi-même.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire