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Opinion / Le Bürgenstock peut réussir… Mais sans Zelensky (ni Cassis)


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Le buisson du Bürgenstock cache la forêt dévastée de la diplomatie suisse. Pardonnez-moi cette métaphore éculée, mais c'est hélas la triste réalité. Depuis l'entrée en fonction d'Ignazio Cassis en 2017, aggravée par l'arrivée de Viola Amherd à la tête du Département de la Défense en 2018, tous deux farouches défenseurs d'un réalignement sur l'OTAN et les Etats-Unis, la politique étrangère suisse a basculé. Dans le mauvais sens.



Plusieurs cadres du Département des Affaires étrangères ne s'en cachent pas: «On a subitement changé de doctrine et d'alliances. Ce qui a eu pour effet que des réseaux que nous avions parfois mis vingt ans à construire, avec la Russie, avec certains pays du Sud, au Moyen Orient, ont été détruits en quelques mois.» En s'alignant sur les pays occidentaux et en répercutant servilement leurs haines et leurs engouements, «la voix de la Suisse, la petite musique que nous arrivions à faire entendre sur la scène internationale, a complètement disparu. Nous nous sommes fondus dans la masse des Occidentaux.»

C'est particulièrement visible au Conseil de sécurité et en matière de sécurité collective. Le Conseil fédéral, foulant aux pieds ses engagements passés en faveur de la paix et du dialogue, s'obstine par exemple à refuser de ratifier le traité sur l'interdiction des armes nucléaires par peur de déplaire à l'OTAN (dont nous ne sommes pas membre pourtant!) Mi-mai, la Suisse fut le seul pays à s'abstenir lors du vote d'une résolution du Conseil de sécurité destinée à prévenir la course aux armements spatiaux, résolution à laquelle s'opposaient les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et quatre autres pays qui leur sont dévoués. 

Plus grave, la Suisse est en train de renier le droit humanitaire et le droit international dont elle s'était pourtant fait la championne ces dernières décennies. Coincée par ses prises de position pro-israéliennes, anti-UNWRA et anti-Hamas – une aberration quand on connait son implication en faveur dans le processus de paix de Genève en 2003 et son attachement passé à discuter avec toutes les parties d'un conflit – elle n'a jamais condamné les exactions de l'armée israélienne à Gaza et n'a toujours pas réagi à la demande de la CPI d'inculper les dirigeants israéliens et du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Elle est le seul pays d'Europe à être resté muet alors même que l'Espagne, l'Irlande et la Norvège, très engagées en Palestine, viennent au contraire de reconnaitre l'Etat palestinien. 

Berne, qui s'était félicitée à grand bruit de la demande d'inculpation de Poutine, n'a donc rien à dire lorsque le procureur de cette même Cour instruit une plainte du même type contre des dirigeants qui ont manifestement dépassé toutes les bornes de l'admissible depuis des mois. Quelle perte de crédibilité inouïe! Comment pourra-t-on croire la Suisse lorsqu'elle voudra défendre les Conventions de Genève et dénoncer de futures atteintes aux droits de l'Homme?

Dans ce contexte, la tentative de redorer le blason de notre diplomatie avec le prétendu Sommet pour la paix du Bürgenstock, mi-juin prochain, a toutes les chances de tourner au fiasco, ou en tout cas, de n'aboutir à aucun résultat. 

Si l'on met de côté la traditionnelle cinquantaine de pays alignés derrière l'Occident, il apparaît que le succès de la conférence dépendra de la participation des pays du Sud global. La Russie ayant été désinvitée, la Chine, le Brésil et l'Afrique du Sud s'abstenant, seule l'Inde a confirmé sa présence, sans préciser son niveau. On ne sait rien des autres. Le jeu reste ouvert dans la mesure où ils n’ont pas encore refusé toute participation. Ils enverront probablement des participants de niveau moyen et sans pouvoir de décision, afin d’éviter d’être accusés d’être «contre la paix» ou de «boycotter l’Occident».

Cela signifie que la conférence de Bürgenstock ne sera pas un sommet et en aucun cas un sommet pour la paix. Le rejet délibéré de la Russie est en train de se retourner contre ses organisateurs. Conscient de ce problème, le récit officiel suisse tente maintenant de faire valoir que la Russie ne souhaite pas participer et que son absence ne tient qu'à elle. Ce qui est faux et n’induira personne en erreur en dehors de l’Occident collectif.

Pourquoi les pays du Sud devraient-ils participer à un sommet qui n'en est plus un, qui n'est pas axé sur la paix en raison de l'absence russe, et qui sera certainement un échec? Les plus fragiles ou les plus habiles se contenteront de faire acte de présence, sans aucun enthousiasme, tandis que les autres éviteront de gaspiller leur temps et leur argent pour rien.

Deuxième problème: on peut considérer que le président Zelensky est devenu le principal obstacle à des négociations de paix. Tout d'abord, depuis le 21 mai, il n'est plus le Président légal du pays puisque son mandat électif est arrivé à terme le 20 mai. Depuis lors, il n'est plus que le Président non-élu, donc illégitime, du pays. Pour la démocratie, on repassera!

Il ne faut pas oublier non plus qu'il a signé un ukase interdisant toute négociation de paix en Ukraine, et déposé un soi-disant plan de paix qui n'en est pas un puisqu'il se contente d'exiger la capitulation de la Russie. Après les assassinats des partisans de la paix en Ukraine, dont au moins un des négociateurs de mars 2022, il ne peut plus apparaître comme un artisan de la paix sous peine de perdre son pouvoir. Il n'a donc aucun intérêt à négocier quoi que ce soit. S'il vient en Suisse, ce sera pour recevoir le soutien de ses partisans occidentaux et réclamer davantage d'aide pour la guerre. Pas pour la paix.

La première condition à l'ouverture d'authentiques pourparlers de paix consiste donc à écarter Zelensky et à le remplacer par un dirigeant plus réaliste et plus ouvert d'esprit, peut-être l'ancien commandant en chef des forces armées, le général Zaloujny. 

Enfin, l'Occident est aujourd'hui dans une impasse. Il n'a toujours pas de stratégie de sortie de crise en Ukraine et n'a rien à proposer en dehors d'un soutien aveugle et inconditionnel au régime de Zelensky. Il ne sait pas quoi, comment ni avec qui négocier puisqu'il boycotte Poutine. Il se contente donc de suivre les élites les plus bellicistes d'Europe de l'Est, des pays baltes, de Pologne et de Washington, tout en n'étant pas d'accord sur ce que la paix devrait et pourrait être. Il n'y a pratiquement aucune chance pour que cela change avant les élections de novembre aux Etats-Unis.

Après cette date, quel que soit le nouveau Président élu, le jeu pourrait être plus ouvert car l'échec dû à cette absence de stratégie et l'usure qui s'ensuivra apparaîtront plus clairement dans tous les domaines, militaire, économique, financier et politique.

Ce sera alors le moment de songer à changer le titulaire du Département des Affaires étrangères.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

7 Commentaires

@Laurent 24.05.2024 | 01h07

«Critique on ne peut plus pertinente de la déchéance politique de ce pays, et que sans doute un grand nombre de nos concitoyens partagent. Un exercice nécessaire auquel se livre régulièrement ce média, qui décidément porte bien son titre. J’approuve, voire applaudis à de tels articles, quand bien même ils laissent subsister une zone d’ombre, qui ternit ma pleine satisfaction : comment ou pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les causes et les ressorts de cette déchéance, dont la soudaineté apparente est l’une des étrangetés ? Incriminer la seule impéritie des dirigeants me paraît une explication un peu courte. Quand bien même elle est indéniable, il y a pour cela trop de zèle mis à cette entreprise de déconstruction et celle-ci fait trop d’adeptes, à commencer dans les médias. Mais de quoi cette déchéance politique, intellectuelle et morale est-elle le nom ?»


@willoft 24.05.2024 | 05h26

«On se gausse de la perfection démocratique suisse, mais quels dégâts peuvent faire des alliances inter-partis pour nommer un CF... Médecin à un poste dont il n'a aucune idée.
Et c'est à peu près valable pour tous !»


@Chan clear 26.05.2024 | 16h48

«Sommes curieux de savoir quelles seront les négociations proposées entre les pays qui s’asseyeront à la Table ronde .
Avec un montant évalué à chf. 151 milliards pour la reconstructions de l’Ukraine, plus 60 milliards que les américains leur donne , Et les 50 milliards de l’Union européenne récemment. C’est un sac de noeuds cette guerre…y a t’il un Alexandre le Grand quelque par pour trancher d’un coup d’épée ces noeuds bien serrés »


@Phifro48 26.05.2024 | 21h15

« @Guy Mettan: pouvez-vous préciser "Après les assassinats des partisans de la paix en Ukraine, dont au moins un des négociateurs de mars 2022": qui sont les victimes de ces assassinats, dans quelles circonstances?
Pour le reste de votre analyse, je la partage en grande partie.
Philippe Frossard»


@Cesar 27.05.2024 | 14h28

«Et pourquoi pas “bon pour la tête” sans Guy Mettan??»


@Nom connu de la rédaction 27.05.2024 | 14h35

«Le négociateur de mars 2022 pourrait être Denis Kireev :

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-01-23/traitre-ou-heros-ce-que-l-on-sait-du-mysterieux-banquier-denis-kireev-sans-qui-kiev-serait-tombee-b73a57c8-ce1d-400d-9dfc-6f3bbfbe5fe2»


@willoft 31.05.2024 | 00h13

«@ César ce qui ne lui appartient pas,
Où va la démocratie...?»


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