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Opinion / «L'Allemagne agit comme un vassal des Etats-Unis dans la guerre en Ukraine»


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Oskar Lafontaine critique «la misère de la politique étrangère allemande». Il considère l'Allemagne vassalisée par les Etats-Unis via l'OTAN, puissance offensive et donc incapable d'assurer la protection de ses alliés. Pour garantir la souveraineté et la paix sur le Vieux continent, il réclame une politique de sécurité européenne indépendante, qui se positionne en médiateur dans le choc des puissances mondiales.



Les grands médias ne donnent plus guère de place à des voix comme celle d'Oskar Lafontaine1. C'est pourquoi Infosperber – et BPLT à sa suite – reprend sa contribution du Berliner Zeitung (30 août 2022), en complément des opinions dominantes. Le point de vue d'Oskar Lafontaine est transversal au paysage politique.


Pour la grande majorité des hommes politiques et des journalistes allemands, la guerre en Ukraine a commencé le 24 février 2022. Avec cette vision à l'esprit, qui fait abstraction de l'historique complet de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, l'Allemagne ne peut pas contribuer à la paix.

On attribue au poète Eschyle cette formule: «dans la guerre, la vérité est la première victime». Il en résulte que pour trouver la paix, il faut revenir à la vérité. Mieux: à la véracité. Et cela implique que toute guerre a ses antécédents. Les antécédents de la guerre en Ukraine commencent avec l'image que les Etats-Unis ont d'eux-mêmes: une nation élue ayant la prétention d'être et de demeurer la seule puissance mondiale.

Les Etats-Unis doivent donc tout faire pour empêcher l'émergence d'une autre puissance mondiale. Cela ne vaut pas seulement pour la Chine et la Russie, mais aussi pour l'UE ou, à l'avenir, peut-être pour l'Inde ou d'autres pays. Si l'on accepte cette exigence et que l'on sait en même temps que les Etats-Unis ont de loin le plus grand appareil militaire du monde, on peut en conclure que la meilleure chose à faire est de se réfugier sous l'aile de cette unique puissance.

«L'Allemagne n'est pas un pays souverain»

Ce raisonnement n'est toutefois correct que si la puissance protectrice mène une politique étrangère pacifique et n'encercle pas militairement les rivaux émergents, ne les provoque pas et ne prend pas ainsi le risque d'une guerre. Si la puissance protectrice dispose d'installations militaires sur le territoire de ses alliés, à partir desquelles elle mène ses guerres, cette géopolitique agressive la met en danger non seulement elle-même mais aussi ses alliés.

La base aérienne de Ramstein, par exemple, était et reste indispensable à la conduite des opérations américaines au Proche-Orient, en Afrique et en Ukraine. C'est pourquoi, lorsque les Américains mènent des guerres, l'Allemagne est toujours partie prenante, qu'elle le veuille ou non. C'est parce qu'il avait vu ce lien que Charles de Gaulle, par exemple, ne voulait pas d'installations de l'OTAN, c'est-à-dire des Etats-Unis, sur le sol français. Un pays, disait-il, doit pouvoir décider lui-même s’il s’engage dans la guerre ou pour la paix.

Le fait que l'Allemagne ne soit pas un pays souverain est à nouveau apparu clairement lorsque le ministre américain de la Guerre Lloyd Austin a invité les pays vassaux à Ramstein pour une conférence au cours de laquelle ils ont dû apporter leur contribution à la guerre en Ukraine. Bien entendu, les Etats-Unis revendiquent également le droit de décider si un pays comme l'Allemagne peut mettre en service un pipeline d'approvisionnement énergétique comme Nord Stream 2.

La longue histoire de cette guerre

Les réflexions des stratèges américains, selon lesquelles l'Ukraine est un Etat clé pour la domination du continent eurasien, font également partie des prémices de la guerre en Ukraine. C'est pourquoi, selon l'ancien conseiller à la sécurité du président Carter, Brzezinski, dans un livre paru en 1997 et intitulé La seule puissance mondiale, l'Ukraine doit être transformée en un Etat vassal des Etats-Unis.

Certes, des politiciens américains avisés comme George Kennan ont mis en garde contre la transformation de l'Ukraine en un avant-poste militaire à la frontière de la Russie, mais les présidents Clinton, Bush Jr., Obama, Trump et Biden n'ont cessé de pousser à l'élargissement de l'OTAN vers l'Est et à l'armement de l'Ukraine, bien que la Russie ait fait savoir depuis plus de 20 ans qu'elle n'accepterait pas de troupes et de missiles américains à sa frontière.

Avec le coup d'Etat de Maïdan en 2014, les Etats-Unis ont montré qu'ils n'étaient pas prêts à prendre en compte les intérêts de la Russie en matière de sécurité. Ils ont mis en place un gouvernement fantoche américain et ont tout fait pour intégrer les forces armées de l'Ukraine dans les structures de l'OTAN. Des manœuvres communes ont été organisées et les objections constantes du gouvernement russe ont été ignorées.

Dans ce contexte, on use de l'argument mensonger selon lequel chaque Etat a le droit de choisir librement son alliance. Mais aucun Etat ne devrait installer des missiles d'une puissance rivale à la frontière d'une puissance nucléaire sans délai de pré-alerte et justifier cela naïvement par le libre choix de l'alliance. Imaginez que le Canada, le Mexique ou Cuba autorisent la présence de troupes chinoises ou russes sur leur territoire tout en permettant l'installation de bases de missiles à partir desquelles Washington pourrait être atteint.

Depuis la crise de Cuba en 1962, nous savons que les Etats-Unis n'accepteraient jamais cela et risqueraient une guerre nucléaire en cas de doute. Ce qu’il découle de ces considérations: une superpuissance agressive ne peut pas diriger une «alliance défensive». Combien de temps faudra-t-il à l'Allemagne, après toutes les expériences de ces dernières décennies, pour comprendre enfin qu'elle doit prendre sa sécurité en main et devenir indépendante des Etats-Unis?

Des hommes politiques allemands ont vu le danger et ont tenté de mettre en place une politique étrangère allemande indépendante. Willy Brandt, par exemple, savait qu'après la Seconde guerre mondiale, la paix devait être trouvée avec la Russie et les voisins d'Europe de l'Est. Il exigeait le désarmement et la détente et était convaincu que la sécurité ne pouvait être assurée qu’ensemble. Helmut Kohl a négocié l'unité allemande avec Gorbatchev et a reconnu que la paix et la coopération avec la Russie étaient des conditions préalables à la paix sur le sol européen.

Hans-Dietrich Genscher était temporairement tombé en disgrâce auprès des politiciens américains parce qu'il craignait une guerre nucléaire circonscrite en Europe et a donc tout fait pour bannir les missiles à courte portée et les armes nucléaires tactiques du territoire allemand et européen. Le «genscherisme» est devenu un gros mot à Washington. L'attitude de certains stratèges américains, selon laquelle on pourrait très bien mener une guerre nucléaire limitée à l'Europe, a été récemment rappelée par Klaus von Dohnanyi dans son excellent livre Nationale Interessen.

Comment éviter l’escalade

Actuellement, on ne voit même pas le début d'une politique étrangère qui mettrait les intérêts de l'Allemagne au premier plan. Les leaders politiques de l'Ampel, Scholz, Baerbock, Habeck et Lindner, sont de fidèles sujets des Etats-Unis. Scholz préconise le réarmement et est fier de pouvoir annoncer à intervalles de plus en plus rapprochés des livraisons d'armes à l'Ukraine. Il agit comme s'il n'avait jamais entendu parler de l'Ostpolitik et de la politique de détente de Willy Brandt. La politique étrangère du parti libéral-démocrate est dominée par la lobbyiste de l'armement Strack-Zimmermann, qui réclame tous les deux jours de nouvelles armes pour l'Ukraine.

Les Verts sont passés d'un parti issu du mouvement pacifiste allemand au parti le plus belliqueux du Bundestag. Les déclarations d'Annalena Baerbock, selon lesquelles nous devrions «ruiner la Russie», doivent être qualifiées de fascistoïdes. Le plus grand parti d'opposition fait également défaut. Le président de la CDU, Friedrich Merz, est un fidèle atlantiste en tant qu'ancien employé du géant financier américain BlackRock, il exige encore plus de livraisons d'armes et voulait même fermer Nord Stream 1.

La politique étrangère allemande nuit aux intérêts de notre pays et ne contribue pas à la paix en Europe. Elle a besoin d'une réorientation totale. Si la géopolitique des Etats-Unis fait peser le risque d'une guerre entre puissances nucléaires, il incombe à l'Allemagne et à l'Europe de tout mettre en œuvre pour maintenir notre territoire en dehors de ce conflit. L'Europe doit se détacher des Etats-Unis et jouer un rôle de médiateur entre puissances mondiales rivales. L'Allemagne et la France ont ensemble le potentiel nécessaire pour mettre en place une politique étrangère et de sécurité européenne indépendante.

Il est grand temps de commencer à le faire. Nous ne pourrons pas toujours compter sur des militaires réfléchis pour éviter une conflagration nucléaire mondiale en cas d'intensification de la guerre. Citons par exemple l'officier de marine soviétique Archipov, qui a empêché le lancement d'une torpille nucléaire lors de la crise de Cuba, ou le colonel soviétique Petrov, qui a décidé en 1984, alors que les ordinateurs russes signalaient par erreur l'approche de missiles intercontinentaux à tête nucléaire des Etats-Unis, de ne pas déclencher la «contre-attaque» nucléaire qui avait été ordonnée.

Il est temps de ne plus laisser les initiatives de paix au seul président turc Erdogan. Si les Etats-Unis ne sont pas prêts, de leur propre aveu, à œuvrer pour un cessez-le-feu et une fin rapide de la guerre en Ukraine, c'est pourtant l'intérêt existentiel des Européens.

Le fondateur du groupe de musique Pink Floyd, Roger Waters, a raison de souligner qu'il est encore possible d'obtenir la paix maintenant sur la base des accords de Minsk. En revanche, lorsque les Etats-Unis déclarent que leur objectif est d'affaiblir la Russie de manière à ce qu'elle ne puisse plus jamais recommencer une guerre similaire, c'est du cynisme pur et simple. Combien d'Ukrainiens et de Russes devront encore mourir avant que les Etats-Unis ne se rapprochent suffisamment de leur objectif géopolitique d'affaiblissement décisif de la Russie?

L'Europe a désormais les prix de l'énergie les plus élevés. Les industries européennes sont en train d'émigrer et d'ouvrir de nouvelles succursales aux Etats-Unis. Les énormes commandes passées au secteur de l'armement américaine et les bénéfices exorbitants engrangés par l'industrie de la fracturation hydraulique américaine – nuisible à l'environnement – montrent clairement à qui profitent cette guerre et les sanctions.

Face à cette situation, même les politiciens de l'Ampel les plus ignorants en matière de politique étrangère devraient comprendre qu'il n'y a pas d'autre moyen pour l'Europe de s'affirmer. Un premier pas serait d'insister sur un cessez-le-feu, de présenter un plan de paix et de mettre en service Nord Stream 2.

En revanche, la poursuite de la politique actuelle conduit à l'appauvrissement d'une grande partie de la population, détruit des branches entières de l'industrie allemande et expose l'Allemagne au risque d'être impliquée dans une guerre nucléaire.


1Oskar Lafontaine, 78 ans, auteur de cette tribune publiée initialement dans le Berliner Zeitung, a été ministre-président de la Sarre, candidat à la chancellerie du SPD en 1990, président du SPD et ministre des Finances du cabinet Schröder de 1995 à 1999. A partir de 2005, il occupe des postes de direction au sein du Parti de gauche. Le 17 mars 2022, il annonce sa démission et est depuis sans étiquette politique.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

6 Commentaires

@willoft 10.09.2022 | 23h04

«Ce Monsieur a raison sur un point, l'Europe vassale des US.
Mais c'est une vision obsolète, car ce n'est pas en armant l'Europe qu'elle va s'en délivrer.

Combien de millions de milliards, sur
30, 40 ans?

La tegnologie est le numérique, les drones, etc.

On peut aussi citer le "succès" suisse pour avoir avoir attiré Google, 3'000 employés à Zürich, soit le même nombre de collaborateurs qu'apparemment, Crédit Suisse, plus suisse depuis longtemps, va mettre à la porte!

non, une Europe appuyée sur la France et l'Allemagne n'a aucune chance, demandez aux Grecs.

O tempora, o mores»


@willoft 10.09.2022 | 23h34

«P.S. En même temps, si la Suisse n'accepte pas d'acheter des F 35, Google s'en va à Knock le Zout, à Singapour, à vous vous voulez...
C'est ça la "vassalité suisso-européenne" :)»


@simone 14.09.2022 | 09h07

«Réflexions d'autant plus intéressantes qu'on les entend ou les lit très peu sur les sites "officiels".
Suzette Sandoz»


@willoft 14.09.2022 | 21h29

«Entend la Dame Van t'en guerre, une de vos compatriotes, on se demande qui élit l'UE?
N'était pas un fan de Juncker, mais là c'est le pompon»


@Pipo 16.09.2022 | 17h08

«Cette excellente analyse rejoint celle exprimées par le colonel J. Baud dans ses deux ouvrages consacrés à la guerre en Ukraine ainsi que celle de Christian Greiling dans son livre « Le Grand Jeu « , paru avant la guerre ; ce dernier auteur ( historien spécialisé en géopolitique) ne porte pas particulièrement les Russes dans son cœur étant né de l’autre côté du rideau de fer dans un pays satellite de l’ex URSS et n’est pas suspect de complaisance vis à vis de Poutine.
P. Flouck

»


@Spark 05.11.2022 | 00h09

«Le drame politique de l'Europe est cette multitude de petits partis politiques (3 à 25% max) dans chaque pays, qui morcelle la réflexion, affaiblit les voix puissantes et nourrit la division, ce qui profite au seul décideur de l'Occident. Alors qu'aux USA les 2 grands partis dominants se succèdent depuis toujours au pouvoir. De facto tous les présidents américains sont forts et imposant, car bien élus. »