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Chronique

Chronique / Bérard le Magnifique


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S 'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



Dans les années 1970, à Paris, il existait, rue de Seine, une galerie nommée Proscenium entièrement dédiée au théâtre. A chacun de mes séjours parisiens, je ne manquais pas de m’y arrêter. A côté de dessins de Jean Cocteau, l’un des artistes phares de la galerie, y étaient notamment exposées des œuvres du décorateur Cassandre (1901-1968) et surtout des dessins de costumes et de décors de Christian Bérard (1902-1949). C’est ainsi que j’ai découvert celui que Zeffirelli qualifiait de «plus grand décorateur de théâtre de son temps.» Les prix des œuvres exposées, bien que modestes, n’étaient hélas pas dans les moyens de l’étudiant que j’étais. C’est l’un de mes grands regrets. Tant alors j’étais fasciné par le trait de Bérard, à la fois ferme et suprêmement élégant.

Jean-Louis Barrault en Scapin © DPA La Belle et la Bête

A l’époque, je ne savais rien le concernant. Aujourd’hui encore, le nom de Bérard reste associé avant tout à celui de Cocteau. C’est à lui que l’on doit les costumes de ce chef-d’œuvre absolu du cinéma, révéré par la Nouvelle Vague, qu’est La Belle et la Bête (1946), dont le fameux masque de Jean Marais. Mais «Bébé» Bérard, comme le Tout-Paris l’appelait, ne saurait être réduit à ce compagnonnage prestigieux. Il fut un peintre renommé, travailla pour les plus grands, fut de toutes les aventures artistiques de la première moitié du XXe siècle. Et c’est tout le mérite du très beau livre tout à fait passionnant que lui consacre Jean-Pierre Pastori que de restituer à Bérard – il était temps! – la place éminente qui est la sienne dans l’un des moments les plus fastes de l’histoire de l’art.

Jean-Pierre Pastori, Christian Bérard, clochard magnifique, Séguier, 2018

Au début de sa carrière, Christian Bérard a la chance d’être soutenu par un père compréhensif, car il veut être peintre. Ses toiles sont très tôt remarquées par Gertrude Stein qui s’intéresse à ce groupe de jeunes artistes, dont il fait partie et qu’on appelle les néo-humanistes. Aux œuvres souvent étranges, figuratives, très éloignées de celles d’un Picasso. «Je n’ai jamais pu m’intéresser au sort d’une guitare coupée en quatre», dira Bérard. Toujours en ce début des années 1930, une rencontre aussi va changer sa vie, celle de Boris Kochno (1904-1990). 

L’un des couples les plus en vue

Russe exilé, héritier de Diaghilev dont il fut l’amant, Kochno est à l’origine de la création des Ballets russes de Monte-Carlo. Et plus tard, avec Roland Petit, des Ballets des Champs-Elysées. On lui doit de nombreux livrets, pour lesquels il va solliciter la collaboration de Bérard. Car les deux hommes sont vite inséparables, formant un couple des plus en vue. Ainsi on les verra à Villefranche-sur-Mer au fameux hôtel Welcome mêlés à la bande à Cocteau. Ou encore au «Bal blanc» donné par la comtesse Pecci-Blunt, nièce du pape Benoit XIII. Car le succès est au rendez-vous. Les Noailles confient à Bérard le soin de décorer leur villa tandis que son exposition à la galerie Vignon enthousiasme la critique:

«Des accords sourds, souples, sinueux, nuancent les tableaux de Bérard leur conférant une allure élégante et grave.»

Dessin pour Vogue © The Guardian

Bérard va pourtant peu à peu délaisser la peinture. Car son défaut, c’est de ne pas savoir dire non, ce qui augmente encore une angoisse maladive qu’il tente d’apaiser avec l’opium – il suivra plusieurs cures de désintoxication. La mode notamment le fascine. Il parraine Christian Dior lorsqu’il crée sa maison de couture; il donne des dessins à Harper’s Bazaar et à Vogue - sans toujours tenir les délais. Et puis il y a le théâtre. Pour la création de La Machine infernale – Œdipe revisité – Cocteau insiste auprès de Jouvet pour s’adjoindre «Bébé». D’abord réticent, Jouvet est bientôt conquis et ne peut plus se passer de Bérard, qui concevra notamment le fameux costume de Marguerite Moreno pour la création en 1945 de La Folle de Chaillot de Giraudoux.

Et c’est au théâtre encore, au milieu du décor des Fourberies de Scapin, que le 12 février 1949 «Bébé» s’effondre, victime d’une crise cardiaque. Lorsque Jean-Louis Barrault, les jours suivants, à l’issue du spectacle, déroulant les noms des participants, prononcera celui de Bérard, toute la salle se lèvera en silence.

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