Média indocile – nouvelle formule

Chronique

Chronique / Je dirai malgré tout que cette vie fut belle


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S'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.



Les plus âgés s’en souviennent. C’était le 21 janvier 1981 à l’Académie française. Jean d’Ormesson avait commencé sa réponse par un mot bien anodin: «Messieurs». Et puis, après quelques considérations sur les usages, avait lâché: «Il y a pourtant quelque chose de plus fort que la tradition: c’est la vie et son mouvement.» Et de conclure son exorde: «Ce sont, j’imagine, des réflexions de cet ordre qui vous ont incités, Messieurs, à me permettre de prononcer devant vous sans que le ciel me tombe sur la tête, sans que s’écroule cette Coupole (…) un mot inouï et prodigieusement singulier: Madame.»

Ce Madame s’adressait bien sûr à Marguerite Yourcenar accueillie ce jour-là parmi les Quarante. Première femme à prendre place au sein de l’illustre compagnie, grâce à Jean d’Ormesson, qui vient donc de nous quitter à 92 ans. Si je rappelle ce moment, historique, c’est qu’il le dépeint tout entier. Le garnement, benjamin de l’Académie, tout heureux du bon tour joué à ses pairs, la langue, admirable, l’esprit, si français et de haut lignage. En bref, l’écrivain magnifique, auteur de tant de livres qui nous ont enchantés: Au plaisir de Dieu, bien sûr, et la magnifique figure du grand-père, âme de Plessis-les-Vaudreuil; Mon dernier rêve sera pour vous consacré à son cher Chateaubriand; Au revoir et merci, premier de ses livres d’adieux qu’il nous a périodiquement adressés. Comme autant de tributs payés à la vie. Cette vie qu’il aimait passionnément, parce qu’elle représentait à ses yeux une sorte de miracle. Et, comme la du Barry au moment de monter sur l’échafaud, il aurait pu dire: «Encore un moment, monsieur le bourreau.» Car on ne le répétera jamais assez, Jean d’Ormesson fut l’écrivain par excellence du bonheur à la suite des «Hussards». Les Blondin, Nimier, Déon. Et qui dit bonheur, dit bien sûr femmes, amours. Le volume de la collection Bouquins, rassemblant plusieurs de ses livres, ne s’intitule-t-il pas C’est l’amour que nous aimons?

Avoir su se faire aimer de tous

Je parle ici de l’écrivain, l’un des rares, faut-il le rappeler, à être entré de son vivant dans la Pléiade avec Malraux, Saint-John Perse, Yourcenar, Jaccottet. Mais il y a toutes les autres facettes. A commencer par le journaliste, qui mettant ses pas dans ceux de son oncle Wladimir d’Ormesson, collaborateur du Figaro, dirigea la vénérable institution. Il y a le débatteur qui fit les délices de la tribune de France Inter à l’époque de Mitterrand, se livrant à des joutes homériques avec Roland Leroy, Pierre Charpy et Claude Estier. Qui bien sûr s’adoraient en dehors de l’antenne. François Mitterrand, d’Ormesson l’avait d’ailleurs incarné aux côtés de Catherine Frot, avec la jubilation gourmande que l’on imagine, dans le film Les saveurs du palais.

Le secret de Jean d’Ormesson? Son grand talent bien sûr, mais aussi d’avoir su se faire aimer de tous. «Vous êtes un pamphlétaire qui ne blesse pas et un mémorialiste qui ne respecte rien. Voilà pourquoi on vous pardonne tout. A gauche d’être de droite et à droite d’être impertinent», avait relevé François Hollande lorsqu’il lui avait remis la Grand-Croix de la Légion d’honneur.

Oui, cette élégance, cet esprit, cette noblesse vont nous manquer. «La journée, d’un bout à l’autre, avait été glorieuse. Par un de ces mécanismes plein d’évidences et de mystères, un ciel sans nuage promettait du bonheur. La nuit n’était pas tombée que tout un pan de ma vie s’écroulait. Javier apparaissait, posait son sac, me mettait la main sur l’épaule, disait: "Pandora est morte". Quelque chose basculait. Le vent du soir se levait (Le Bonheur à San Miniato).»


Jean d’Ormesson, C’est l’amour que nous aimons, Robert Laffont «Bouquins», 2012


Jean d'Ormesson, Œuvres, Gallimard «Bibliothèque de la Pléiade», 2015

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@SylT 06.12.2017 | 15h00

«Tellement vrai. Aimé de tous sans être démagogue, brillant mais profond à la fois, la personnification même de l'insoutenable légèreté de l'être, et jusqu'à la fin cette étincelle tellement vivante dans l'oeil.»


@ferlapa 22.06.2018 | 13h59

«Il m'avait même offert le titre de l'un de ses livres pour mon émission à la RTS, "Presque rien sur presque tout".
Voilà, voilà. Patrick Ferla»