Média indocile – nouvelle formule

Chronique

Chronique / La dame rieuse et triste du métro

Antoine Thibaut

30 novembre 2017

PARTAGER

On ne se lasse pas d’observer, mine de rien, les passagers et passagères autour de soi. Les regards sont concentrés sur les portables, parfois les livres, mais quand ils flottent, il leur arrive d’accrocher des visages. Et l’on se met à imaginer des vies.

J’étais l’autre jour sur la ligne 4 où les annonces se font en français, en anglais et, Dieu sait pourquoi, en espagnol. Face à moi, une dame hors du commun. Une chevelure blanche ébouriffée avec une longue mèche qui pendouillait jusqu’à sa poitrine. Ses vieux doigts la trituraient. Une veste misérable, un pantalon pas tout propre qui laissait les mollets nus malgré le grand froid. La bouche s’agitait, récitait en silence toutes sortes d’histoires. De son sac en plastique émergeaient une épingle à tricoter et un bout de lainage.

Puis la voix sortit. Avec un sourire guère tranquille. La dame regardait autour d’elle des hommes pétris de sérieux. «Alors les mecs? Vous ne savez plus rigoler? Il y a de quoi, vous ne trouvez pas?» Les messieurs, gênés, détournaient les yeux ou restaient hébétés. J’avoue, moi aussi, je ne sus que dire et que faire. Retenu par un vague sentiment de honte. J’essayai un sourire. Coincé. Il ne lui a pas plu. 

Et la folle en rajoutait. Le ton montait. Pas d’hypocrisie: nous la tenions tous pour folle. Et nous n’étions pas fiers de la juger ainsi. Le rire soudain fit place à la colère. «Vous êtes tous des nuls!», cria-t-elle en se levant brusquement, en rattrapant son sac et une vieille écharpe sur laquelle elle s’était assise. Elle sortit à la prochaine station dont je me demandais si c’était bien sa destination.  

Le métro jette dans la ville, à travers les grilles d’aération, des bouffées d’air chaud, diablement lourd. Il transporte plus de détresses que de joies.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Pieroc 02.12.2017 | 14h23

«Oui, l'observation des passagers et de leurs activités, de leurs attitudes, dans un transport public laisse pantois. Un biotope qui pourrait fasciner plus d'un ethnologue!»


À lire aussi