Actuel / Le marché immobilier, porte ouverte au blanchiment d’argent
Le secteur immobilier est identifié par le GAFI comme l’une des zones à hauts risques du blanchiment d’argent en Suisse. Des remèdes devraient bientôt être proposés par le Conseil fédéral. L’organisation anticorruption Transparency International Suisse réclame des réformes en profondeur. Actuellement, le registre foncier ne permet pas aux autorités une recherche nominative, déplore cette ONG. Les milieux immobiliers, eux, ne voient aucune raison de renforcer la législation.
Le secteur immobilier est désormais identifié comme l’une des grosses failles qui restent à combler dans la prévention du blanchiment d’argent sale en Suisse. Avec le business des organisations à but non lucratif et les transferts transfrontaliers de sommes d’argent en espèces, l’immobilier est pointé par le Groupe d’action financière (GAFI) comme un domaine sensible où des progrès sont attendus de la part de la Suisse. Dans son dernier rapport d’évaluation de notre pays publié en décembre 2016, cet organisme intergouvernemental rassemblant aujourd’hui 37 Etats recommandait d’en faire une priorité.
Membre elle aussi du GAFI, la Suisse se doit d’y donner suite. Le Conseil fédéral a promis de présenter de nouvelles mesures d’ici à la fin de cette année. Les acteurs du débat affûtent déjà leurs armes. Le mois dernier, Transparency International (TI) Suisse publiait un rapport alarmant. L’immobilier est devenu une «voie royale pour l’argent sale», assénait l’association active dans la lutte contre la corruption, antenne helvétique de l’ONG internationale du même nom basée à Berlin. Comme le relevait Eric Martin, le président de TI Suisse, sur la RTS, «il est plus facile d’acheter un immeuble que d’ouvrir un compte en banque en Suisse».
Menace plus élevée
Les faiblesses du secteur immobilier sont montrées du doigt depuis longtemps. En 2013, un rapport de la police fédérale (fedpol) relevait que «la menace générale découlant du blanchiment d’argent dans le secteur de l’immobilier est plus élevée que dans d’autres secteurs». Précisément parce qu’il n’est pas soumis à la loi contre le blanchiment, le secteur immobilier est un bon moyen pour recycler des fonds douteux. Un indice: près de 30% des biens illégaux confisqués dans le monde sont des immeubles.
La Suisse n’a pourtant pris aucune mesure afin de mieux prévenir l’utilisation du marché immobilier pour blanchir des avoirs douteux. Pour TI Suisse, il est plus que temps d’agir. En effet, les risques de blanchiment auxquels est exposé le marché immobilier devraient augmenter avec l’entrée en vigueur de l’échange automatique de renseignements fiscaux avec les autres places financières – la fin du secret bancaire risquant de rendre les placements immobiliers mécaniquement plus attractifs.
Un durcissement s'impose
TI Suisse préconise un triple remède. Il faut d’abord soumettre les acteurs d’une transaction immobilière – agents immobiliers, notaires ou avocats – à la loi sur le blanchiment. Actuellement, le dispositif est trop faible car seuls les professionnels agissant à titre d’intermédiaires financiers dans un achat immobilier – la banque qui procède au versement du prix de vente par exemple – ont l’obligation de vérifier l’identité de l’ayant droit économique de l’opération. Mais si l’acquéreur passe par une banque à l’étranger, la loi suisse sur le blanchiment ne s’applique pas. Et même lorsque la banque est en Suisse, un mensonge de l’acquéreur n’est guère détectable. Un durcissement s’impose donc.
En parallèle, un renforcement de la Lex Koller constituerait «l’instrument idéal» pour éliminer les risques liés à des acquisitions d’immeubles par des étrangers. Les autorités cantonales auraient l’obligation d’établir l’identité de l’ayant droit économique et se renseigner sur l’origine des fonds. Pour l’heure cependant, la révision en cours de la Lex Koller en prend pas ce chemin.
De quel côté penchera le Conseil fédéral?
Enfin, le registre foncier devrait aussi être réformé en profondeur. Il devrait indiquer non seulement le propriétaire formel d’un bien, mais aussi l’ayant droit économique de celui-ci. Le prix de vente devrait aussi y figurer. De plus, l’interrogation du registre foncier par des particuliers ne peut se faire actuellement que pour un immeuble déterminé. Il n’est pas possible d’y rechercher directement une personne. Pour rendre le tout plus opaque encore, les modalités de consultation varient d’un canton à l’autre. Les recherches informatiques dans le registre foncier doivent donc impérativement être simplifiées, demande TI Suisse.
Les milieux immobiliers, eux, traînent les pieds. Svit Suisse, l’association faîtière des professionnels de l’immobilier, s’oppose à toutes les mesures réclamées par TI Suisse. La seule recommandation qu’elle adresse à ses membres est de ne pas accepter de transactions immobilières… en espèces. «Un renforcement de la législation encadrant davantage les transactions immobilières n’est pas nécessaire», écrit l’organisation dans un communiqué du 30 octobre. A ses yeux, le fait qu’une opération immobilière fasse intervenir un intermédiaire financier suffit à prévenir les risques de blanchiment – quand bien même un intermédiaire financier à l’étranger n’est pas soumis à la loi suisse et peut opérer dans un pays ne disposant pas d’une législation efficace.
On saura prochainement de quel côté penche le Conseil fédéral.
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