A vif / Les biais de pensée de la police, et les nôtres
Pourquoi, à Lausanne, un policier a-t-il aimablement serré la main du chauffard qui avait foncé délibérément dans une manifestation propalestinienne? Au-delà des polémiques politiques, il s’agit sans doute avant tout d’un de ces biais cognitifs comme nous en avons tous.
Alors qu’une manifestation propalestinienne bloquait la circulation à Lausanne, samedi 6 septembre, un automobiliste a foncé dans la foule. Les médias en ont abondamment parlé, le chauffard a été interpellé et a passé deux jours en garde à vue avant d’être libéré. Lors de son interpellation par la police, un détail est à relever. Lorsque l’homme sort de sa voiture, un policier lui serre la main, puis le chauffard inspecte tranquillement les dégâts faits sur son cabriolet BMW par les manifestants alors qu’il roulait à travers eux.
Cette poignée de main a été critiquée, le comportement des policiers avec un chauffard qui aurait pu sérieusement blesser plusieurs personnes a été dénoncé comme «complaisant». De son côté, la police explique que l’agent en question n’était «vraisemblablement» pas au courant de ce qui s’était passé. Cela démontrerait que, contrairement à ce que l’on peut imaginer, les policiers ne communiquent pas très bien entre eux lors d’un incident, fut-il potentiellement grave.
Au-delà des polémiques, l’attitude de la police avec le chauffard relève sans doute essentiellement d’un biais de pensée, appelé aussi biais cognitif. Il s’agit d’une tendance de notre esprit à dévier de la logique ou de l’objectivité. Non volontaires, ces biais sont des raccourcis mentaux que notre cerveau utilise pour traiter rapidement l’information. Ils nous aident à réagir vite.
Un homme riche appelle au respect
Le policier a vu arriver un cabriolet BMW, un véhicule qui vaut plusieurs dizaines de milliers de francs. Il a vu en sortir un homme de 56 ans, blanc, plutôt sûr de lui. Le biais de pensée du policier est ici ce qu’on appelle un «effet de halo», lequel se produit lorsque notre impression générale d’une personne, qu’elle soit positive ou négative, influence notre perception de ses autres caractéristiques. Dans l’esprit du policier, sans même qu’il en ait conscience, un homme blanc et riche ne peut pas être un délinquant, il doit même être traité avec respect. «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir», écrivait La Fontaine en 1678.
Le chauffard a quant à lui expliqué, selon nos confrères de 24 heures, qu’il ne savait pas qu’il s’agissait d’une manifestation propalestinienne, qu’il pensait faire face à «un blocage du trafic par des manifestants climatiques». Son biais cognitif à lui semble lui faire considérer comme normal, ou en tout cas excusable, de foncer dans une foule d’écolos.
Il y a fort longtemps, les biais cognitifs nous ont été utiles pour survivre – par exemple fuir rapidement dès qu’on entendait le bruit d’un prédateur. Aujourd’hui, ces biais sont en grande partie le fruit de notre éducation, des normes sociales, de la culture de la société dans laquelle on évolue, de sa doxa. Nous en avons toutes et tous, parce que notre cerveau est la plupart du temps un peu fainéant et qu’il préfère les raccourcis à la réflexion.
Dans le cas du policier et du chauffard, imaginons ce qu’il se serait passé si celui-ci avait été un jeune Africain au volant d’une brinquebalante Toyota d’occasion…
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