Analyse / Sa Majesté Trump Ier aurait tort de se gêner
Le numéro «d’aplatventrisme» auquel s’est prêté le secrétaire général de l’OTAN dans le bureau ovale, le 15 juillet dernier, laisse pantois. D’autant qu’il n’est pas le premier ni le dernier à s’humilier, tel un vassal, devant le nouvel empereur états-unien. Au contraire, ils font la queue! Comment en est-on arrivé là ? Décryptage.
«Etat tributaire: Etat prémoderne dans un type de relation de subordination en tant qu’Etat-client d’un Etat plus puissant qui implique l’envoi d’un signe régulier de soumission, ou tribut, au pouvoir supérieur.» Cette définition tirée de Wikipédia ne vous rappelle-t-elle rien? En moins de six mois de pouvoir, Trump a officialisé devant le monde entier ce qu’on avait déjà pu deviner lors de son premier mandat, à savoir la servilité totale qu’il exige désormais de ses vassaux, alliés et autres partenaires commerciaux. Début juillet, c’était une ronde de présidents africains qu’il avait humiliés en les obligeant à jouer les garnitures autour de son trône. La semaine dernière, c’était l’ancien premier ministre hollandais et actuel secrétaire général de l’OTAN qui se livrait à un abject exercice d’aplaventrisme devant celui qu’il a appelé «Papa».
Même Idi Amin Dada n’en demandait pas tant lors de sa splendeur. Bientôt, peut-être, comme à la cour de Néron, les visiteurs de la Maison Blanche devront danser au son de la harpe avant d’applaudir au spectacle de la planète en flammes.
Il est vrai que Trump aurait tort de se gêner puisque ses obligés font la queue devant sa porte pour quémander ses improbables faveurs.
Comme Palpatine dans la Guerre des étoiles
En 2017, peu après sa première accession au pouvoir, j’avais donné une conférence et publié un papier pour montrer comment la République américaine se transformait graduellement en république impériale et entrait dans cette période de transition qui mène de la démocratie à l’empire autoritaire en suivant le scénario mis en scène par Georges Lucas dans la Guerre des étoiles, où l’on voit le chancelier d’une république démocratique, nommé Palpatine, se muer en empereur tyrannique en s’appuyant sur une classe d’oligarques âpres au gain, incarnés dans la saga par les magnats de la Fédération galactique du commerce.
Huit ans plus tard, nous y sommes presque. Le nouvel empereur états-unien a pris de l’assurance et ne se retient plus, si bien que le parallèle avec la fin de la République romaine et la Guerre des étoiles saute désormais aux yeux.
Comment en est-on arrivé là? Les facteurs internes:
Cette évolution tient à deux séries de facteurs, internes et externes. Le facteur interne tient à la transformation de la société provoquée par les conquêtes militaires et le gain facile qui en résulte (le «butin»). Sortie victorieuse et pratiquement indemne de la Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique a pu s’enrichir en exploitant sa périphérie vaincue grâce aux mécanismes qu’elle avait pu mettre en place, notamment avec les institutions de Bretton Woods, FMI et Banque mondiale, qui ont permis au dollar de supplanter la livre sterling et à la finance anglo-saxonne de dominer l’économie mondiale.
Tout cela en s’évitant d’avoir à travailler puisqu’on pouvait continuer à s’enrichir grâce au commerce et à la finance en organisant le pillage des ressources et en déléguant les tâches productives et salissantes à la périphérie, Chine, Europe de l’Est, Etats pétroliers et autres semi-colonisés à la main d’œuvre abondante et non-syndiquée. C’est exactement ce qu’a fait la République romaine après la conquête de la Grèce, de l’Asie Mineure et de l’Afrique du Nord au IIe siècle avant notre ère. A la fin de la République, l’Italie ne produisait plus rien et vivait aux crochets de ses vassaux et alliés, les oligarques sénatoriaux prospérant sans limite tandis que la plèbe se voyait satisfaite à coups de pains (SMIC et autre revenu minimum garantis) et de jeux du cirque réels (ou virtuels grâce aux smartphones).
Cette évolution économique et sociale, inéluctable, a toutefois le gros inconvénient d’accroitre les inégalités – et donc les tensions potentielles – de déséquilibrer les balances des paiements et de faire exploser les déficits publics, surtout que ceux-ci se trouvent aggravés par la nécessité d’augmenter les dépenses de sécurité intérieure (la répression de mécontents de plus en plus violents, estampillés terroristes ou populistes de nos jours) et extérieure (avec le remplacement des armées de milice par des armées de métier coûteuses).
Les facteurs externes de la tyrannie impériale
Sur le plan externe, l’empire doit relever des défis tout aussi existentiels. Comment exploiter les périphéries – les obliger à produire les biens et à payer les impôts pour nourrir et financer un centre devenu improductif et parasite? Pendant les décennies qui suivent les conquêtes, tout se passe bien: le partage du «butin de guerre» et les mécanismes mis en place pour faire «collaborer» la périphérie soumise fonctionnent à la satisfaction générale. Les vassaux de la périphérie trouvent le joug supportable aussi longtemps que le centre assure leur sécurité et leur prospérité à moindres frais.
Mais peu à peu l’avidité des oligarchies centrales et la désindustrialisation deviennent des fardeaux impossibles à assumer dans la durée sans mettre les périphéries en coupe réglée: il faut soutenir une monnaie de plus en plus fragile (crises du sesterce/dollar), servir une dette de plus en plus colossale et financer les dépenses sociales, les jeux (la fameuse «culture» quand celle-ci existe encore), et les forces armées et de police.
Et c’est à ce moment, généralement après une série de crises «démocratiques», que se met en place la tyrannie impériale, seule à même de faire fonctionner l’ensemble et de forcer les alliés, transformés en vassaux corvéables à merci, à produire et à payer des impôts de plus en plus lourds dans la mesure où les oligarques du centre y échappent grâce à des exonérations et aux paradis fiscaux.
Soumettre le reste du monde pour être «Great Again»
Nous en sommes exactement à ce stade aujourd’hui. Le programme MAGA, Make America Great Again, doit être compris dans ce sens. Pour être à nouveau grande, l’Amérique doit être à nouveau capable soit d’avaler de nouveaux territoires (la Canada, le Groenland, l’Ukraine et pourquoi pas la Russie ou la Chine?), soit de rançonner ses alliés et partenaires en leur faisant payer un tribut, sous forme de taxes douanières ou d’achats d’armes et de bons du Trésor. Les trois options sont à choix tout en sachant que seuls ceux qui s’acquitteront des trois auront une chance de s’en sortir sans être constamment humiliés, renversés, ou bombardés pour ceux qui auraient l’outrecuidance d’opter pour la résistance.
Concluons avec Wikipedia: «Ce signe de soumission prend souvent la forme d’un transfert substantiel de richesses, tel que la livraison d’or, de produits ou d’esclaves, de sorte que le tribut puisse être considéré comme le paiement d’une somme d’argent de protection.»
La mafia n’agit pas autrement. Mais comme on dit au cinéma, tout rapprochement avec ce qui se passerait dans l’OTAN, en Ukraine, en Palestine ou en Iran serait fortuit.
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