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Analyse

Analyse / Retour à l’îlot de cherté au détriment des consommateurs suisses


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Lors de la session parlementaire de juin, nous assisterons à une attaque hypocrite et malheureuse contre le droit de la concurrence. Car si les «libéraux du dimanche» ̶ comme on les appelle désormais ̶ prônent la libre concurrence le dimanche, ils font en réalité pression contre elle le reste de la semaine. Ce qui implique un niveau élevé des prix des produits de base en Suisse.



Rudolf Strahm, article publié sur Infosperber le 4 mai 2025, traduit et adapté par Bon pour la tête


Lors de la session parlementaire de juin, nous assisterons à une attaque contre le droit de la concurrence menée par des intérêts anticoncurrentiels. Il ne s'agit pas ici de petits cartels entre entrepreneurs locaux ou entreprises d'asphaltage, mais bien d'une entrave à la concurrence qui pèse lourdement sur l'économie, se chiffre en milliards et nuit aux commerçants et aux consommateurs sous le nom populaire d'«îlot des prix élevés».

Concrètement, il s'agit d'une attaque contre la pratique de la Commission de la concurrence (Comco), qui s'est récemment imposée avec succès en s'appuyant sur une décision de principe du Tribunal fédéral contre les accords verticaux. Les accords verticaux, généralement imposés par des fabricants étrangers, consistent par exemple à empêcher l'achat direct de produits en Suisse depuis l'étranger ou à imposer un prix de vente (plus élevé) en Suisse. La décision de principe de 2016 concernait la non-livraison de dentifrice Elmex à Denner et le maintien de prix élevés par l'importateur exclusif Gaba.

Des coûts se chiffrant en milliards en raison de prix plus élevés

La Comco s'est appuyée sur la loi sur les cartels (LCart) et a obtenu confirmation par la Cour suprême que les accords et les conditions de livraison convenus, lorsqu'ils sont consignés dans des contrats de livraison ou attestés par des témoins clés, sont considérés comme anticoncurrentiels et punissables. Selon les estimations de la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse, les prix à l'importation plus élevés par rapport aux prix pratiqués à l'étranger ont entraîné des coûts de plusieurs milliards pour l'économie dans son ensemble.

Mais les bénéficiaires locaux de cette insula de high prices ont rapidement mis en place un lobbying politique et parlementaire contre la nouvelle pratique de la Comco, comparable à l'intimidation dont a fait l'objet la Finma lorsqu'elle a voulu renforcer la surveillance bancaire. Une motion déposée en 2018 par le conseiller aux États vaudois Olivier Français (PLR) a contraint le Conseil fédéral, contre sa volonté, à assouplir la pratique de la Comco.

La porte serait grande ouverte aux avocats

Lors de la concrétisation dans la loi sur les cartels (LCart), le Conseil des Etats a repoussé ces attaques contre la Comco. Mais la majorité de la Commission de l'économie et des redevances (CER) du Conseil national, dépendante des lobbies, propose désormais deux assouplissements fondamentaux du droit de la concurrence pour la session de juin: premièrement, la Comco devrait à l'avenir tenir compte non seulement des preuves contractuelles indispensables, mais aussi de critères «quantitatifs». Concrètement, cela signifie que la Comco devrait non seulement prouver l'existence d'une entente (comme c'est le cas aujourd'hui), mais aussi le préjudice économique et d'autres éléments. Deuxièmement, en cas de livraisons liées par des groupes ou des fournisseurs relativement puissants sur le marché, la Comco devrait prouver le caractère abusif «au cas par cas» et uniquement sur la base de «valeurs empiriques» confirmées et des «circonstances concrètes» du marché.

Si elles étaient acceptées, ces deux clauses rendraient les procédures antitrust extrêmement difficiles, les retarderaient et ouvriraient la porte à des demandes de preuves infinies de la part des avocats. En effet, l'évaluation de la nocivité à long terme sur la base d'une expérience prolongée est une valeur discrétionnaire extensible.

Pour mieux comprendre: si je traverse un carrefour au feu rouge avec ma voiture et que je suis flashé, cette preuve suffit pour m’infliger une amende salée. Je ne peux pas faire valoir que je n'ai causé aucun dommage. Dans le cas analogue à la proposition de la CER, l'État devrait d'abord prouver un dommage pour me punir.

La duplicité des «libéraux du dimanche»

Cinq anciens présidents de la Comco ont mis en garde contre cet affaiblissement fondamental du droit des cartels en vigueur dans une déclaration publique commune. Ils constatent «une complication de la lutte contre le cloisonnement du marché et le niveau élevé des prix en Suisse».

Après que la loi sur les cartels de 1995 s'est avérée lacunaire en matière d'accords verticaux et que la Comco, hésitante, a longtemps contourné le sujet, sa présidente, Laura Baudenbacher, qui n'hésite pas à prendre des décisions, poursuit aujourd'hui la lutte contre le problème des prix élevés des produits de base, en s'appuyant sur les décisions du Tribunal fédéral. L'initiative pour des prix équitables lancée à l'époque par les milieux commerciaux, notamment GastroSuisse et la protection des consommateurs, avait renforcé la pression politique en ce sens. Il faut s'attendre à ce que les mêmes milieux lancent un référendum contre la solution du Conseil national si celle-ci est adoptée. Compte tenu de la forte sensibilité à l'égard du pouvoir d'achat, le succès d'un référendum ne fait aucun doute.

La déclaration d'engagement en faveur du marché est empreinte d'une grande hypocrisie. On parle de «libéraux du dimanche»: ils prônent la concurrence et l'économie de marché le dimanche, mais du lundi au samedi, ils font tout pour empêcher la concurrence entre les fournisseurs. Le comportement ambigu d'Economiesuisse, qui est à la solde des grands groupes, est révélateur: elle nous prêche sans cesse la concurrence et soutient désormais explicitement l'affaiblissement fondamental de la loi sur les cartels par la majorité de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national. On ne peut pas faire plus hypocrite!


Lire l'article original

Il s'agit d'une tribune libre de Rudolf Strahm, ancien surveillant des prix et ancien conseiller national PS. Son article a d'abord été publié dans le «Handelszeitung» 

Rudolf Strahm a été conseiller national PS et surveillant fédéral des prix. Il a été secrétaire central du PS pendant sept ans, président de l'Association des locataires bernois pendant quatre ans et président de l'Association suisse des locataires (Suisse alémanique) pendant 13 ans.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@RFr 09.05.2025 | 11h18

«Merci pour cette analyse éclairante.
Pour ceux qui le peuvent: Continuez à faire vos courses à l'étranger, même si c'est dommage pour le climat.»


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