Culture

Après La terre tremblante (2018) et K comme almanach (2022), voilà Leur grandeur amputée. Avec ces trois livres, Marie-Jeanne Urech explore un état de crise, celui de l’Occident. Dans la postface du dernier en date, Pierre Yves Lador présente parfaitement le travail de l’autrice: «Il n’y a pas dans ce récit contemporain d’expressions journalistiques: réchauffement climatique, mobilité douce, auto, égalité, genres, autorités, démocratie ; (…) ce n’est pas un univers médiatique, mais un récit enchanté, décalé, poétique, littéraire dans un monde parallèle, et pourtant…» Dans Leur grandeur amputé, une mère et ses deux enfants vivent dans une ville qui se défait physiquement − les immeubles sont découpés, des appartements s’en séparent. Ils essaient de trouver quelques repères. La mère envoie ses enfants chercher une école s’il s’en trouve encore une quelque part, elle-même assure leur survie – parfois en échange d’un usage provisoire de son corps –, trouve un frigo, hélas sans moteur. Le père réapparaît mais dort beaucoup pour que repousse un de ses doigts. Chercher dans ce récit une métaphore de notre réalité consisterait à le réduire à une fonction illustrative alors que ce que nous propose Marie-Jeanne Urech va bien au-delà du descriptif. Elle nous invite à une exploration, chacune et chacun étant libre ensuite d’en décider la portée. C’est d’une grande générosité, elle n’impose pas de but, pas de finalité, peu d’auteur et d’autrices y parviennent. La lire vivifie. «Dans cette nuit à l’épaisseur vorace, qui caillait comme petit lait, coagulait comme sang refroidi, la famille se regroupa au salon en un petit tas qui ne prenait pas de place. On se serrait si fort qu’on ne savait plus à qui était le souffle, à qui était les mains. Jamais on n’avait été si près, jamais on ne s’était si peu vus. C’était ça le foyer, une encerclade humaine, sans flambée ni lumière.»