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Analyse / La Chine, première puissance mondiale en 2049?


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En 2008, les Jeux Olympiques de Pékin ont illustré avec munificence le retour de la Chine à l’avant-scène mondiale. Le pays devance désormais les Etats-Unis dans le domaine industriel et menace leur hégémonie militaire. En 2049, dans un quart de siècle, il célèbrera le centenaire de la proclamation de la Chine populaire. La Chine sera-t-elle alors redevenue «l’Empire du Milieu», ce qu’elle fut pendant deux millénaires? Le président Xi Jinping l’espère et agit dans ce sens...



La Chine populaire témoigne de l’extrême rapidité à laquelle change le monde. En 1979, soit cinq ans après la mort de son fondateur Mao Zedong, elle était encore et toujours le premier pays du monde par sa population (un milliard d’âmes) mais un Etat insignifiant dans le domaine économique. Ses exportations et ses importations représentaient moins de 2% du total mondial, soit moins encore que l’Afrique subsaharienne, laquelle était à cette époque deux fois moins peuplée.

1979, c’est l’année où le «petit timonier» Deng Xiaopping (75 ans) lançait le programme des «Quatre modernisations». Sans adoucir la dictature du Parti communiste, il convertit la Chine à l’économie «socialiste» de marché.

Dans le même temps, pour «libérer» les Chinois des soucis ménagers et les rendre disponibles pour le travail en usine, il promut la «politique de l’enfant unique»: toutes les familles de l'ethnie Han (les Chinois proprement dits) furent tenues de ne plus avoir qu'un seul enfant au maximum. Cette politique arriva mal à propos car, dans les faits, la fécondité chinoise avait déjà amorcé une décrue spectaculaire comme dans la plupart des autres pays (Afrique exceptée), de 6 enfants par femme en 1970 à 2,5 en 1980. L’«enfant unique»allait tout au plus accélérer la tendance jusqu’à un indicateur de fécondité d’à peine 1 en 2024, comparable à celui du Japon, de la Corée, de Taïwan et de maintes régions européennes.

Les années fastes

Après le retrait de Deng, ses successeurs Jiang Zemin (1993-2003) et Hu Jintao (2003-2013) poursuivirent avec succès sa politique. Ils engagèrent le pays dans une croissance économique accélérée, au rythme de 10% l’an. Ils bénéficièrent d’un coup d’accélérateur inattendu le 11 décembre 2001 quand l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), fondée en 1994, admit en son sein la Chine populaire.

Les milieux d’affaires occidentaux y virent une aubaine. Confrontés depuis près de vingt ans à une chute de la fécondité dans leurs propres pays et, corrélativement, à une économie asthénique, ils voyaient leurs profits baisser et cherchaient désespérément une solution miracle: relancer la consommation de masse avec des produits à bas prix fournis par une main-d’œuvre bon marché, sans être embarrassés par les syndicats et le droit du travail. C’est ce qu’exprima crûment en 1995 Serge Tchuruk, un patron (Total, Alcatel) encensé par les médias et la classe politique: «Il faut envisager que notre industrie se débarrasse de ses usines!»

La Chine populaire allait donc combler les vœux des milieux d’affaires occidentaux en dépit d’un système économique très peu libéral: l’Etat chinois domine en effet tout le secteur bancaire et reste majoritaire dans le capital de toutes les grandes entreprises stratégiques du pays. Dès lors, Pékin put à loisir manipuler sa monnaie et la sous-évaluer artificiellement de façon à écraser par les prix toute forme de concurrence. Ce mécanisme, que nous avons exposé en 2011 (L’arme monétaire de Pékin) reste pleinement d’actualité.

Surconsommation, accumulation des profits et dégradation du climat

Ainsi le 21e siècle s’ouvrit-il sur une «décennie prodigieuse»! Les industriels européens et américains délocalisèrent à tout va leurs usines en Chine (bimbeloterie, électronique, textile, etc.) mais aussi au Bangladesh (textile), en Inde (pharmacie, logiciels, etc.). L’expansion industrielle de la Chine fit aussi les choux gras des producteurs de matières premières en Afrique et en Amérique du sud.

Aux Etats-Unis ou encore en France, les zones industrielles en friche furent remplacées par des centres commerciaux du dernier cri. Ils regorgent de babioles plus inutiles les unes que les autres et leurs ventes sont soutenues par l’irruption de l’internet et des services en ligne. Ce bonheur à l’état pur permit aux milieux d’affaires d’accumuler des profits sans précédent depuis la «Belle Epoque» des années 1900, en «produisant à des prix asiatiques et vendant à des prix européens».

Concomitamment, les émissions mondiales de gaz à effet de serre connurent au début du 21e siècle une nette accélération, pile au moment où l’opinion publique prit conscience du réchauffement climatique et de l’urgence de le combattre. Mais qu’y pouvait-on? En 2023, la consommation de charbon dans le monde a encore battu des records inédits, en progression de 60% depuis 2000.

Avec les machines de production, les Occidentaux durent aussi transférer leur savoir-faire et, très vite, les Chinois acquirent une maîtrise de la plupart des technologies, y compris les plus prometteuses comme la métallurgie des terres rares ou l’intelligence artificielle.

Résultat: en 2024, le PIB (Produit intérieur brut) chinois a atteint 135 000 milliards de yuans, soit environ 20 000 milliards de dollars contre 24 000 milliards pour les Etats-Unis. Le pouvoir d’achat des Chinois reste notablement inférieur à celui des Américains mais leurs indicateurs de bien-être sont quant à eux du même ordre: espérance de vie de 78 ans, mortalité infantile aux environs de 5 décès avant un an pour mille naissances vivantes.

La menace chinoise: réelle ou illusoire?

Les succès spectaculaires de la Chine populaire font penser que son PIB devrait très bientôt dépasser celui des Etats-Unis. Depuis 2008 et la présidence Obama, de fait, la Chine est perçue par les États-Unis comme une rivale potentielle, voire une menace, tant dans le domaine économique que dans le domaine militaire et géopolitique.

Cette perception est nourrie par les ambitions très voyantes du président Xi Jinping, au pouvoir depuis 2014. Ce dernier a engagé un ambitieux programme d'infrastructures ferroviaires, routières et maritimes sous le nom de «Nouvelles routes de la Soie» en vue d'intensifier ses exportations. Il a aussi pris la place des Occidentaux en Afrique subsaharienne, en vue d'exploiter ses immenses ressources naturelles (achats de terres agricoles et d'exploitations minières) avec la complicité des kleptocraties locales.

Adepte de la realpolitik, il a également relancé les revendications de Pékin sur la mer de Chine, aujourd’hui partagée entre la Chine, le Vietnam et les Philippines. Il a surtout affiché sa volonté de «réunifier» la Chine avec l’annexion de Taiwan, séparée depuis 1949, ce qui laisse craindre une épreuve de force, voire une invasion navale de l’île que les États-Unis doutent avec raison de pouvoir empêcher.

La «guerre» commerciale engagée par le président américain pourrait-elle le faire changer d’avis? Xi Jinping, qui bénéficie d’une autorité sans faille sur sa population, pourrait simplement riposter aux droits de douane américains en renforçant la sous-évaluation de sa monnaie selon le même mécanisme que précédemment. Un yuan plus «faible» aurait raison des nouveaux droits de douane de Donald Trump, pour ne rien dire des dégâts supplémentaires qu’il pourrait occasionner à ce qui reste de l’industrie européenne.

D’autre part, la Chine populaire pourrait aussi poursuivre son recentrage sur les marchés de la mer de Chine et du Sud-Est asiatique. La tournée du président chinois dans les pays de la région en ce mois d’avril 2025 traduisent cette intention. Ils confirment la fin de la «troisième mondialisation» engagée après la Seconde Guerre mondiale avec un recentrage régional des grands courants commerciaux.

La fin de la croissance chinoise?

Enfin, et c’est le plus important, la Chine n’a plus aujourd’hui la santé éclatante qu’elle affichait lors des JO de Pékin en 2008! Son taux de croissance économique n’a eu de cesse de progresser au début du 21e siècle, de 8% en 2000 à 14% en 2008. Puis après ce pic exceptionnel, il est redescendu jusqu’aux environs de 5% par an selon les chiffres officiels, peut-être moins en réalité.

Cette diminution du taux de croissance est en premier lieu liée à une crise de surchauffe («bulle» immobilière) et à une épargne de précaution importante de la part des actifs qui préparent leurs vieux jours. Plus gravement, elle résulte d’une productivité en moindre progression ainsi que d’un manque d’ouvriers qualifiés et d’ingénieurs dans les usines! Si l’on en croit les échos de la presse, les jeunes Chinois se détourneraient comme les Occidentaux de l’industrie pour s’orienter vers le secteur tertiaire…

Ces phénomènes-là échappent très largement à l’action politique. Ils résultent de la crise démographique qui a frappé la Chine et ses voisins de la mer de Chine plus rapidement et plus brutalement que les Occidentaux. Ces derniers ont mis plus d’un siècle à effectuer leur «transition démographique» (dico) ; l’Extrême-Orient et la Chine l’auront effectuée en deux décennies seulement.

Une décroissance démographique problématique

Avec une fécondité tombée à 1 enfant par femme environ, la Chine a vu en 2022 sa population totale diminuer pour la première fois en temps de paix. Avec 1,4 milliards d’habitants, elle est désormais passée derrière l’Inde, devenue le pays le plus peuplé du monde.

Cette décroissance numérique est aussi qualitative: pour l’heure, les Chinois de plus de 60 ans représentent «seulement» 21 % de la population totale (27 % en France) mais d’ici un quart de siècle, ils pourraient représenter 40 % de la population, laquelle aura chuté à environ 1,25 milliards d’habitants.

Il s’ensuit que dans une génération, soit aux environs de… 2049, les adultes chinois en âge de travailler devront assumer la charge de leurs aînés, à raison de quasiment une personne âgée par actif. Dans le même temps, les États-Unis auront vu leur population croître de 336 millions d’habitants en 2024 à 360 millions (source) avec une proportion de personnes âgées nettement plus faible.

Autant dire que l’on voit mal la Chine s’engager demain ou après-demain dans une guerre pour la domination du monde!... D’autant que, rappelons-le, les Chinois n’ont pour ainsi dire jamais mené de guerres d’agression ou de conquête, sinon pour protéger leurs confins.


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