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Culture / Un bien cruel conte de Noël (3)


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Catherine et Pierre forment un couple épanoui. Tout allait bien entre eux jusqu’au jour où Catherine a soupçonné une transformation inquiétante chez son mari. Ce récit de l’auteur lausannois Pierre Ronpipal est publié en trois épisodes, les 13, 20 et 27 décembre.



Un récit de Pierre Ronpipal


Le premier épisode

Le deuxième épisode

Pierre n’a rien vu venir. Mireille et Serge sont venus à la maison pour fêter Noël avec nous, comme tous les ans. Presque comme tous les ans puisque cette année Pierre avait insisté pour que nous ne fassions pas de sapin. «Pourquoi aller arracher un jeune arbre à sa forêt? Pourquoi le séparer des siens?» Il a donc été convenu que le traditionnel arbre de Noël serait remplacé par un globe terrestre. «Ainsi, nous mettrons Gaya au centre de notre célébration. Nous lui devons bien ça après tout le mal que nous lui faisons tout au long de l’année.» Emmanuel m’avait prévenue, la peste woke se répandait de plus en plus rapidement dans l’esprit de Pierre. J’ai fait semblant d’adhérer à son délire, d’accepter toutes ses suggestions. Comme crèche, il a souhaité un simple pot de yahourt censé représenter «le bidonville dans lequel aujourd’hui le Christ naîtrait s’il revenait sur terre avec son message révolutionnaire.»

Lorsque nos amis sont arrivés, Pierre venait d’enfiler une djellaba, «un vêtement non genré». Mireille a failli pouffer lorsqu’il lui a ouvert la porte. Je lui ai fait de grands signes depuis le salon. Il ne fallait pas qu’elle oublie ce dont nous avions convenu. Jusqu’à l’apéro, tout devait se passer de manière tout à fait naturelle. Nous avons donc ouvert une bouteille de vin mousseux local, bio et écoresponsable, et trinqué comme si de rien n’était. Sauf que j’avais mis un léger somnifère dans le verre de Pierre qui s’est endormi comme un bébé. Ponctuel, Emmanuel a sonné à la porte alors que nous venions de terminer l’installation pour laquelle il nous avait donné des indications très précises.

Pierre était attaché sur une chaise, des écouteurs sur les oreilles et un bâillon sur la bouche, face à l’écran géant de la télévision. «Vous êtes prêts?», a demandé Emmanuel. Comme Serge, Mireille et moi répondions par l’affirmative, il a jeté un verre d’eau à la figure de Pierre qui s’est réveillé en sursaut. Sur l’écran, un film pornographique a débuté tandis que dans les écouteurs de la musique militaire éclatait à plein volume. Pierre a gémi plus fort. Emmanuel a baissé le volume tandis que je caressais gentiment le visage de mon pauvre compagnon qui s’est aussitôt calmé. Ce sont alors des images de manifestations propalestiniennes qui ont été projetées tandis que dans les écouteurs, la chanson de Nemo, le vainqueur de l’Eurovision, résonnait. Emmanuel a donné un grand coup de poing dans l’estomac de Pierre et lui a violemment marché sur les pieds.

La méthode était simple. Lorsque les images montraient de la pornographie mainstream mettant en scène des hommes bifflants des jeunes femmes, Pierre était réconforté par moi. Lorsque les images concernaient l’écriture inclusive ou la cancel culture, Emmanuel lui faisait ressentir de la douleur. «Cela peut prendre du temps mais à la fin il va comprendre ce qui est bon pour lui», a souri Emmanuel. Je l’ai trouvé très beau avec ses manches retroussées et des perles de sueur sur la lèvre supérieure. Quoi qu’il arrive, même si Pierre guérit, c’est avec lui que je veux refaire ma vie. Les progressistes sont des couilles molles, seuls les réactionnaires sont de vrais hommes.

Pierre a résisté très longtemps. Tous les quarts d’heure, Emmanuel lui enlevait son bâillon et lui demandait de donner son pronom. «Iel!», répétait inlassablement Pierre qui avait alors droit à une nouvelle alternance de douleur et de réconfort. Tout le monde s’y est mis et j’ai bien vu que nous prenions plus de plaisir à lui faire du mal qu’à lui faire du bien. Emmanuel avait amené quelques instruments de torture et nous avons coupé les doigts de Pierre tandis que sur l’écran passaient des images du Festival de Woodstock. Il y a très vite eu du sang partout. «Il est trop atteint, je ne vais pas réussir à le guérir», a annoncé Emmanuel après avoir brisé les genoux de Pierre tandis que sur l’écran Greta Thunberg faisait son discours à l’ONU. Ce ne fut pas de gaieté de cœur mais il a fallu abattre Pierre. «Il n’y a que comme ça que nous éviterons que l’épidémie se propage», a expliqué Emmanuel. «Et elle?, a demandé Mireille en me désignant du doigt, il n’y a vraiment aucun risque qu’elle ait été contaminée?» Mireille, ma meilleure amie. Comment pouvait-elle me faire ça? Elle aussi, elle désirait Emmanuel, j’en suis certaine. «Non! ai-je vivement répondu. Cela fait des mois que nous n’avons plus de relations sexuelles!» Emmanuel m’a regardé en plissant les yeux. «Nous ne pouvons prendre aucun risque…»

J’ai mal, très mal. Sur l’écran, des activistes pour le climat bloquent la circulation sur un pont tandis que Mireille verse de l’eau bouillante sur mes cuisses déjà bien meurtries. Après moi, ce sera au tour de Serge, j’en suis certaine. Puis elle pourra filer le parfait amour avec Emmanuel.

Elle s’approche maintenant de moi avec le grand couteau qui sert normalement à découper la dinde; sur l’écran, une linguiste de gauche explique que la francophonie est la poursuite de la colonisation par d’autres moyens. Mireille pose la lame du couteau sur ma gorge: «Joyeux Noël ma petit chérie! Va griller dans l’enfer woke!»  

FIN


Pierre Ronpipal est l’auteur de

«A moi de choisir ceux qui vont mourir»
 et de

«Le vert était rouge à l’intérieur»,
aux Nouvelles Editions Humus

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