Culture / Un bien cruel conte de Noël (2)
Catherine et Pierre forment un couple épanoui. Tout allait bien entre eux jusqu’au jour où Catherine a soupçonné une transformation inquiétante chez son mari. Ce récit de l’auteur lausannois Pierre Ronpipal est publié en trois épisodes, les 13, 20 et 27 décembre.
Un récit de Pierre Ronpipal
- Allo, Mireille? Tu m’entends?
- Oui, je suis en train de faire du Pilates mais je t’écoute…
- C’est horrible!
- Quoi? Que je fasse du Pilates?
- Non… Serge et toi avez raison…
- A propos de quoi ma chérie?
- Mais à propos de Pierre! Il est en train de se transformer en woke! Je ne sais pas quoi faire, je t’en supplie, aide-moi!
Lorsque Mireille est arrivée à la maison, j’étais en larmes et elle en sueur. Elle m’a prise dans ses bras, c’est gentil mais elle sentait fort la transpiration. Lorsque je lui ai expliqué ce que j’avais trouvé dans l’ordinateur de Pierre, elle a secoué la tête et a voulu à nouveau me prendre dans ses bras mais j’ai esquivé ce rapprochement.
- Pierre fait partie d’un groupe d’homme «en phase de déconstruction».
- Ma pauvre chérie, c’est vraiment horrible. Je ne pensais pas que ça arriverait à l’une d’entre nous.
Pourtant, cela ne faisait aucun doute. Depuis plusieurs semaines, Pierre correspondait avec une dizaine de personnes et toutes leurs conversations avaient pour sujet la critique du virilisme, la chasse au masculinisme, la volonté d’abattre le patriarcat «d’abord en nous». Rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir. Je sais bien qu’une épidémie wokiste s’est abattue sur l’Occident mais je me pensais à l’abri. Eh bien, non! Cette épidémie a envahi mon salon, elle couche même dans mon lit! J’ai également découvert que Pierre me mentait. Alors qu’il prétendait aller jouer au badminton avec des copains, il participait à des workshops de déconstruction de virilité. «Je ne suis plus sûr de rien, écrivait-il sur le forum To-be-is-not-to-be-a-man. Suis-je un homme, une femme, un être mixte, double? Suis-je? Je ne me sens plus capable de vivre dans un monde dualiste, je veux rejoindre une autre dimension, me sentir dans les autres, sentir les autres en moi…»
- En fait, il est peut-être gay… Cela fait combien de temps qu’il ne t’a plus fait l’amour?
Mireille a raison. Pierre ne m’a plus touchée depuis au moins trois mois. Mais je crois que c’est encore plus grave que ça…
- Si tu veux en avoir le cœur net, appelle Emmanuel de ma part. C’est un spécialiste.
Emmanuel est le fils d’un ancien amant de Mireille qui était acteur de théâtre. Le fils, lui, a fait des études d’économie avant de se spécialiser dans la traque aux déviations woke et LGBT. Il est renommé dans toute la région. Très propre sur lui, on le sollicite beaucoup. Après des décennies de doxa social-démocrate, les médias découvrent comme un agréable vent nouveau que de jeunes réactionnaires remettent en question sans aucune gêne le bla-bla post-soixante-huitard. Je l’ai tout de suite trouvé à mon goût mais je n’étais pas là pour ça. Nous nous étions donnés rendez-vous dans un tea-room du centre-ville, j’avais pris avec moi l’ordinateur portable de Pierre. Pierre qui prétendait être parti en séminaire professionnel à Zurich mais, je l’avais découvert sans peine, se trouvait en fait à Tolochenaz où avait lieu une rencontre avec un guru de la déconstruction masculine: «De viril à viriel».
- Vous avez donc des doutes concernant votre mari? Expliquez-moi ce qui vous inquiète...
Ce vouvoiement a sonné très agréablement à mes oreilles. Avec son col roulé, son blaser et sa coupe de cheveux tout à la fois stricte et décontractée, Emmanuel me fit me rendre compte qu’autour de moi, les hommes avaient depuis longtemps renoncé à leur élégance, privilégiant des tenues décontractées ne mettant plus du tout leurs atouts masculins en valeur.
Oui, je dois l’avouer, à moi aussi les jeunes réactionnaires faisaient de l’effet. Lorsque je songeais aux gauchistes à l’hygiène douteuse auxquels j’avais offert mon jeune corps dans les années 1980, des sanglots de regret me serraient la gorge. Sans compter tous ces festivals où nous fumions du cannabis, filles et garçons portant les mêmes vêtements et arborant les mêmes coupes des cheveux…
- Vous voyez, Catherine, le wokisme se répand depuis fort longtemps dans la société occidentale. Personne n’a voulu le voir et c’est pourquoi aujourd’hui ses effets sont si pervers. Votre génération l’a laissé s’installer comme une plante invasive et il a pratiquement détruit tous les fondements de notre civilisation. C’est le dernier moment pour agir, ce sursaut est indispensable. C’est pourquoi je salue votre démarche. Vous êtes très courageuse, Catherine, je vais vous aider à libérer votre mari de cette infection, s’il en est encore temps, bien sûr…
- Vous pensez qu’il pourrait être trop tard ?
- Tout ce que vous me dites m’inquiète beaucoup. Pierre est déjà très perverti. Vous l’avez remarqué, dans ses messages il emploie l’écriture inclusive avec aisance. C’est la preuve que le mal a déjà atteint des couches profondes de sa conscience. De plus, il remet systématiquement en question les bienfaits de la civilisation occidentale dans le monde. Il milite pour la restitution des antiquités découvertes chez les peuples non-civilisés, il a participé au souillage de la statue de David de Pury à Neuchâtel, sous prétexte que celui-ci a participé à la traite d’esclaves…
- Oui, je sais, c’est horrible. Tout ça alors que je le croyais occupé avec des clients. Les comptes de notre agence de communication sont dans le rouge. Cela fait des mois que Pierre ne prospecte plus de nouveaux clients et qu'il refuse les commandes au prétexte que la publicité est une aliénation capitalisto-patriarcale.
- Et ça, Catherine, c’est très grave! S’attaquer à l’économie, c’est s’attaquer à nos valeurs premières.
- Que faire? Mon Dieu, que faire?
-Noël arrive, et je vois là une bonne occasion pour tenter quelque chose qui pourrait faire revenir votre mari à la raison. Il s’agit d’une thérapie de choc que je n’ai encore jamais utilisée mais que des camarades anti-wokes ont mise au point. Me faites-vous confiance, Catherine?
Oui, bien sûr que je lui fais confiance à ce preux chevalier, à ce Lancelot des temps modernes, à ce nouveau croisé de la civilisation chrétienne. Même si, je le sais, ce qui va se passer à Noël chez nous va être excessivement éprouvant, et pas seulement pour Pierre…
Suite la semaine prochaine
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