Culture / Quand l’art ne suffit pas
«Exercices de Staël», Stéphane Manel, Editions Seghers, 240 pages.
«Nicolas de Staël nous met en chemise et au vent la pierre fracassée. Dans l’aven des couleurs, il la trempe, il la baigne, il l’agite, il la fronce. Les toiliers de l’espace lui offrent un orchestre.» C’est de René Char, qui fut ami avec le peintre. Dans son livre, où se mêlent textes et dessins, Stéphane Manel déroule son récit à partir des derniers jours de Nicolas de Staël, qui se suicida le 16 mars 1955 à Antibes. Et ça fait une sorte de biographie dont l’auteur profite pour parler aussi de lui. Ce qui est agréable, c’est qu’il n’y a pas de grandes démonstrations, d’études de style – à ce propos, ne vous arrêtez pas sur le titre du livre, le reste est beaucoup mieux. «Toute ma vie j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autres issues que la peinture», écrit de Staël dans une lettre de 1952. En 1953, il emmène ses enfants et sa femme Françoise en vacances près d'Avignon. Là, il rencontre Jeanne, dont il tombe amoureux. «Françoise lui donne alors un troisième enfant, Gustave. Il commence à se perdre. Jeanne, la solitude, Françoise… Il va peindre deux cents soixante-dix tableaux à corps perdu cette année. Il aimerait une histoire à trois. Françoise refuse. Jeanne semble y croire.» Du 12 au 13 mars 1955, à Antibes, Nicolas de Staël peint son dernier tableau. Le 15 mars, Jeanne ne le rejoint pas. Il réunit toutes les lettres qu’elle lui avait envoyées, les apporte à son mari, lui déclarant: «Vous avez gagné…», raconte Stéphane Manel. «Je n’ai pas la force de parachever mes tableaux», écrit le peintre, le 16 mars, à son marchand Jacques Dubourg, et ça raisonne comme le «Je n’écrirai plus» que Cesare Pavese inscrivit dans son journal le 27 août 1952 avant de, lui aussi, se suicider. L’art, on le voit, ne suffit pas toujours.
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