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Culture

Culture / L’enfance étouffée par l’éducation

Patrick Morier-Genoud

22 novembre 2024

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«Une jeunesse au secret», Anne Goruben, Les Cahiers Dessinés, 320 pages.



«Quand j’y songe, il me faut dire qu’à maints égards, mon éducation m’a causé beaucoup de torts.» Cette phrase, extraite du Journal de Franz Kafka, est placée en exergue du livre d’Anne Goruben. En la lisant, on peut se dire que l’écrivain austro-hongrois n’a pas eu de chance; ou alors que l’éducation, par définition, cause beaucoup de torts, prive celles et ceux qui la subissent d’une relation propre au monde et à eux-mêmes, et dès lors se poser la question des conséquences regrettables de celle que l’on a subie ou que l’on a fait subir. Avec Une jeunesse au secret, Anne Goruben se livre à un exercice d’ontogenèse, par le texte et le dessin, et c’est tout à fait passionnant car chacun et chacune peut y trouver des pistes et des intuitions pour sa propre histoire. L’autrice, née en 1959, a grandi à Paris dans une famille juive. Là aussi, on peut se contenter de découvrir cette particularité, ou alors y trouver des similitudes avec les nôtres – ce qui, nous sommes d’accord, en fait autre chose que des particularités, mais peut-être peut-on de temps en temps renoncer à se subjectiver à outrance. Il y a dans ce livre tout l’étouffement de l’enfance, les efforts faits pour y échapper, des tentatives d’évasion. Il y a le constat très foucaldien que «la famille, c’était le terreau des dominations». Les cent cinquante-deux dessins du livre «montrent ce que les yeux refusent de voir et disent ce que les mots s’appliquent à taire». L’expérience, du coup, n’est pas qu’intellectuelle, elle se ressent. «"Qu’ais-je de commun avec les juifs" écrit Franz Kafka dans son journal, "C’est à peine si j’ai quelque chose de commun avec moi-même et je devrais me tenir bien tranquille dans un coin, content de pouvoir respirer."»

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