Média indocile – nouvelle formule

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Actuel / Catalogne: l’utopie fait long feu

Jacques Pilet

17 octobre 2017

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Arpenter Barcelone, les oreilles bien ouvertes, en apprend beaucoup… sur les médias. A les en croire, à en juger par quelques images spectaculaires qui tournent en boucle, la Catalogne bouillonne, déborde, explose. Or ce qui frappe en y arrivant, c’est le calme, la sérénité des uns et des autres. Partisans de l’indépendance et opposants ne s’affrontent pas dans la violence. Depuis le discours de Carles Puigdemont devant le Parlement catalan, l’utopie s’éloigne. Il a certes proclamé sa volonté d’aboutir à un Etat indépendant sous forme de république. Mais vingt secondes plus tard, il repoussait le projet à des jours meilleurs. Sommé par le premier ministre espagnol de s’expliquer – alors, c’est oui ou c’est non? – le président catalan repousse encore l’échéance, demande le dialogue, tergiverse. Le soufflé retombe.



L’ami de longue date, patron d’une agence de publicité, partisan depuis toujours de l’autonomie, a le commentaire bonhomme. «Le rêve s’est emballé mais maintenant, les gens commencent à réfléchir. Crois-moi, il n’y a pas grand monde qui croit vraiment à la naissance d’un nouvel Etat.» Puis il précise: «Ne cite pas mon nom, j’ai des clients de tous bords.» Ce dynamique entrepreneur travaille dans toute l’Espagne, dans toute l’Europe: «Cette crise ne m’arrange pas mais je m’en sortirai. Cela dit, pour la Catalogne, c’est un mauvais coup. Nous passions pour les enfants modèles de l’économie espagnole et aujourd’hui on se méfie de nous.»

Pourquoi le pétard a-t-il fait long feu?

Le chiffre a provoqué un choc: plus de 500 entreprises, dont les plus grandes, ont déplacé leur siège social à Madrid ou ailleurs. Elles gardent leurs activités sur place et continueront d’y payer des impôts. Mais le dégât d’image est immense. Alors que la région se relevait avec maints succès de la terrible crise de la décennie passée, le coup de frein est annoncé. Les investissements étrangers vont se faire plus rares, personne n’en doute. Ce ne sera pas la catastrophe promise par tant de patrons, mais cela fera mal. Certains, dans leur emportement pro-espagnol, pronostiquaient même une forte baisse du tourisme. Dans la rue, on y croit guère. Le chauffeur de taxi en sourit même: «Hier on se plaignait d’avoir trop de touristes et maintenant on craint qu’ils ne viennent plus! Je parle avec eux. Je peux vous dire qu’ils se fichent pas mal de nos histoires…» Le tenancier pakistanais de la boutique de souvenirs garde le moral: «On a vendu tellement de drapeaux! Catalans et espagnols, on a tout en stock!»

Les drapeaux? Un marché juteux pour les boutiques de de souvenirs. Les barrières rivales se retrouvent aussi sur les façades. © DR

On voit certes des drapeaux sur les immeubles. Mais guère plus qu’en Suisse le 1er août. Les bannières rivales souvent côte à côte sur les mêmes façades. Mais pourquoi le pétard a-t-il fait long feu? La menace économique a joué un rôle. Ensuite, c’est la division des séparatistes qui a impressionné l’opinion. Les ultras d’extrême-gauche réclament la sécession immédiate. Et la révolution en prime. Hors de leurs officines, pas facile de trouver quelqu’un qui partage ce point de vue.

Lenteur et prudence

Face à eux, le camp des réalistes est entraîné par l’ex-président Artur Mas qui prône la lenteur et la prudence. C’est lui qui a organisé, ces deux dernières années, tout un travail de lobby pour attirer des sympathies européennes au projet. Auprès de l’UE… et de la Suisse, avec profusion de conférences à Genève, un mandat auprès d’un professeur de droit acquis aux thèses catalanes, avec la création d’un groupe parlementaire «Suisse-Catalogne» dont fait partie un certain Ignazio Cassis.

Artur Mas: «Sans une reconnaissance internationale, une déclaration d’indépendance est un acte esthétique sans réalité.»

L’opération a échoué. Malgré les excès policiers du 1er octobre qui ont choqué, la cause indépendantiste trouve peu de sympathisants à l’étranger. Sinon en Ecosse… et dans les médias russes. Artur Mas l’admet: «Sans une reconnaissance internationale, une déclaration d’indépendance est un acte esthétique sans réalité.»

L’imbroglio juridique déconcerte les uns et les autres. D’un côté, Puigdemont revendique le droit à l’autodétermination. De l’autre le gouvernement de Madrid exige de le respect de la constitution. Celle-la prévoit qu’en cas de comportements non conformes à la loi, l’article 155 peut s’appliquer aux autonomies récalcitrantes. Cela permettrait à Madrid de reprendre la main sur les finances et la police catalanes.

On ne peut pas dire que les dirigeants catalans sortent grandis de l’épreuve de force. Le président Puigdemont a semé le désarroi avec ses déclarations fumeuses. Il est apparu comme le jouet des pressions à l’intérieur même de son camp. Dès lors, le langage des Catalans opposés à la sécession a paru plus clair et plus réaliste. L’exaltation romantique s’essouffle.

«Ces politiciens sont forts en gueule, c’est tout»

Prolixe, le tenancier du bar d’à côté a la métaphore parlante: «Ces gens ne sont pas sérieux. Ils n’ont rien prévu. Quand un couple divorce, celui qui part a intérêt de se demander comment il paiera les frais, le nouveau logement, les pensions alimentaires… Ces politiciens sont forts en gueule, c’est tout.»

Les opposants au divorce ont organisé deux manifestations d’envergure. Elles ont libéré la parole de ceux qui se veulent à la fois catalans et espagnols. Certains indépendantistes ont tenté de les discréditer en les traitant de «fascistes», de nostalgiques de Franco. Que des groupuscules d’extrême-droite se soient mêlés à ces cortèges, c’est un fait. Mais leur poids politique est quasiment nul. S’ajoutent à eux parfois des bandes de hooligans, des fans de foot qui cherchent la castagne. Ils s’en sont pris l’autre jour à la terrasse du Café Zurich, place de Catalogne, finissant par se bagarrer entre eux. Les télés se sont abreuvées de ces images. Nullement révélatrices des jours tranquilles de l’été prolongé sur les Ramblas.



Si l’on choisit le pari de l’optimisme, on note une autre raison d’espérer. Le parti socialiste espagnol a obtenu, en contrepartie à son appui au gouvernement conservateur, l’ouverture d’un débat autour d’une nouvelle constitution. Qui devrait mieux définir les compétences des régions, assurer à toutes (il y en a 17) un traitement et une représentation équitables. Bref, esquisser un vrai fédéralisme. Pourquoi pas sur le modèle suisse?

D’autres scénarios plus sombres ne sont cependant pas exclus. A preuve, le jugement tombé hier à Madrid. Deux leaders de l’indépendantisme, le président de l’Assemblée nationale catalane et le président de l’association séparatiste Omnium ont été mis en détention préventive. Et le chef des «mossos» (police locale) inculpé. Pour «sédition». Il leur est reproché d’avoir organisé des manifestations de masse, les 20 et 21 septembre, pour empêcher l’accès à la «Consejeria de Economia de la Generalitat» des forces de l’ordre loyalistes venues saisir les bulletins de vote du référendum dit illégal. Une opération nommée Anubis. Référence au Chacal, dieu de la mort dans l’Egypte antique.


C’est dire que l’Etat espagnol, quelles que soient ses raisons, joue aussi avec le feu. Répondre à la provocation d’une consultation populaire bidonnée par l’emprisonnement des leaders, c’est préparer la pire escalade.

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