Chronique / Tous jaloux de Harvey Weinstein?!
La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.
«C’est pas à moi que ça arriverait... » Il était accoudé au bar avec des amis, à boire une bière. Sur l’écran de télévision au-dessus de sa tête, les news, et l’exclusion de Harvey Weinstein de la toute puissante Académie des Oscars. Il a lancé cette phrase à voix haute: «C’est pas à moi que ça arriverait!» J’ai sursauté. Il y avait dans sa voix autre chose que le soulagement d’échapper au lynchage public que traverse aujourd’hui le producteur accusé d’agressions sexuelles et viols par une trentaine de femmes. Cette autre chose, c’était une pointe de jalousie. Une grosse, très grosse pointe de jalousie. De fait, ce jeune homme buvant tranquillement sa bière dans le même bar que moi suintait le regret de ne pas être, ou avoir été, Harvey Weinstein.
Forte de l’immense compassion dont je suis capable, ça m’a fendu le cœur. C’est vrai: avons-nous eu une seule pensée, depuis le début du grand déballage Weinstein-sur-Hollywood, pour tous ces hommes qui n’ont jamais connu la joie de faire monter les plus belles femmes du monde dans leur suite pour leur montrer un scénario, ou de sortir de la douche en bandant sous leur peignoir en sachant que les mêmes plus belles femmes du monde, dont ils auraient eu les numéros de portables évidemment, les attendaient sur le canapé? Reconnaissons-le: nous n’y avons pas pensé, à ces hommes qui nous entourent, ces hommes de tous les jours, qui se prennent des râteaux dans les bars ou sur tinder, ou qui sont fidèles à leur femme mais fantasment sur d’autres paires de fesses ou de seins, et qui rêveraient d’être «une heure, rien qu'une heure durant / Beau, beau, beau et Harvey Weinstein à la fois», comme le chantait Brel.
J’avoue: je suis en Amérique. En Amérique du nord, au nord du nord même, dans l’un des deux seuls Etats qui ont vu la cote de Trump remonter ces dernières semaines. Là où, selon les normes européennes, vivent les gens les plus stupides du monde. Mais cet homme qui s’écrie: «C’est pas à moi que ça arriverait!» ne parle pas en Américain: il parle avec son âme d’homme banal universel qui se prend des râteaux dans les bars le samedi soir.
Dans la gazette locale, je lis un article très instructif qui se demande lequel, du spray au poivre ou du fusil, est le plus efficace pour se défendre en cas d’attaque d’ours. L’article raconte la mésaventure d’un randonneur attaqué alors que tant son fusil que son spray au poivre étaient posés à une centaine de mètres de lui. L’un de ses bras pris dans la mâchoire de l’animal, il peut tout juste ramper jusqu’à son sac, sa saisir du spray et de son autre bras, arroser les yeux de l’animal et ainsi le mettre en fuite. Morale de l’histoire: parfois, lorsque la cible est très proche et que le bras habituellement utilisé pour tirer est occupé, le spray au poivre peut s’avérer plus efficace.
L’affaire Weinstein est surtout l’affaire des femmes dont il a profité. Comment elles se sont défendues, ou pas, comment elles se défendent maintenant. Comment elles ont parlé ou se sont tues, de quel spray ou poivre ou fusil symbolique elles ont fait usage, ou pas. Un ours est un ours: on ne demande pas à un ours de ne pas faire l'ours. On se demande plutôt comment faire en cas d’attaque. Un Weinstein est un Weinstein. Ce Weinstein-là où un autre. Il y a toujours eu des hommes qui se sont comportés comme des cochons. Il y aura toujours des hommes qui se comporteront comme des cochons. Il n’y a pas toujours eu des femmes en colère. Désormais, il y a des femmes en colère. Désormais, il y aura des femmes très en colère quand un homme se comportera comme un Weinstein. Entre la femme en colère, le spray au poivre ou le fusil, croyez-moi, choisissez la femme en colère.
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