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L’arrêt dit historique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnant la Suisse pour « son manque d’action face au changement climatique » divise l’opinion helvétique. La gauche et les verts jubilent, la droite classique marmonne, la droite nationaliste s’indigne… à moins qu’elle ne se réjouisse aussi: on lui sert sur un plateau un argument qui nourrira sa détestation de tout ce qui porte le nom d’Europe. L’UE bien sûr, mais aussi le Conseil de l’Europe, le club élargi , créé en 1949 avec la noble mission de promouvoir les droits humains: 46 membres, la Russie ayant été exclue en 2022.



La Cour européenne des droits de l’homme reçoit entre 30’000 et 40’000 plaintes par an. Beaucoup sont déboutées, d’autres rapidement traitées et quelques-unes (12’000 depuis le début) font l’objet d’arrêts contraignants pour le pays concerné et par tous les autres membres. Nombre de justiciables, après un long parcours, d’appels et de recours, ont vu ainsi leur cause finalement reconnue à ce niveau. On peut se féliciter de voir ainsi mis en question certains appareils judiciaires qui s’emballent parfois un peu vite. En l’occurrence cela ne s’est pas passé ainsi. Les « Aînées pour le climat » ne sont pas adressées aux juridictions nationales, mais directement à la Cour européenne, avec l’appui financier et politique de Greenpeace.

Il est permis aussi de s’interroger sur ces juges de Strasbourg. Chacun d’eux est choisi sur une liste de trois présentée par son pays. Tous ne sont pas magistrats, on compte aussi beaucoup de « représentants de la société civile ». Quant à l’ancrage politique et l’expérience démocratique de ces sages, ils laissent pour le moins perplexe à l’heure de la leçon qu’ils dispensent. De l’Azerbaïdjan à la Bosnie-Herzégovine, de la Bulgarie à l’Albanie…

Pas étonnant donc que sur le terrain du droit, le jeu est souvent flottant. Ainsi, l’article 8, pivot de la convention permet toutes les interprétations. Il rappelle que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », mais que l'État peut surseoir à ces droits si cela « est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui». Au chapitre de la liberté d’expression, toutes sortes de réserves sont prévues pour la limiter. Quand la sécurité est en cause… et bien sûr la politique sanitaire… là, pas touche !

Les juges ont donc bien tordu le droit pour condamner « le manque d’action climatique ». Porter un jugement sur la politique environnementale d’un pays en se basant sur un tel article, c’est du contorsionnisme. Mais cela ouvre de piquantes perspectives. Des paysans français irrités et appauvris par la concurrence étrangère obtiendront-ils la condamnation des échanges commerciaux ? Les adversaires de tel ou tel chantier autoroutier iront-ils sonner à la porte de Strasbourg ? Une cour de justice qui se laisse porter par les émotions collectives dûment choisies se rabaisse au niveau du cirque. Elle incite ainsi les gouvernements à ignorer ses arrêts même lorsque ceux-ci sont sages. Elle sape les espoirs de voir une arène respectée où l’on veille véritablement sur les droits humains. Bel autogoal.

Enfin ces messieurs-dames posés en maîtres de conscience feraient bien de garder les pieds sur terre. L’entrelacs des lois nécessaires sur la gestion raisonnable des ressources énergétiques, sur la pollution, sur la biodiversité, c’est un défi compliqué. Entre les mains des gouvernements et des parlements, en Suisse, entre celles du peuple aussi. Pas une affaire de vague morale européenne. Les efforts sont indispensables, mais croire qu’un arsenal juridique suffirait à faire souffler le chaud et le froid sur la planète, quelle illusion…

Les climatologues nous rappellent qu’elle a connu des périodes, soient marquées et accélérées, de réchauffements et de refroidissements, dans les derniers siècles, les derniers millénaires, quand usines et bagnoles ne paradaient pas encore… Que les sages autoproclamés fassent donc preuve d’un peu de modestie. Celle qui manqua aux pionniers de l’ère industrielle qui croyaient pouvoir domestiquer la terre de fond en comble.

Les cris de victoire des « Aînées pour le climat » se perdront vite dans le vent. Tout comme les diatribes vengeresses des allergiques à l’Europe. Et chacun des 46 États membres de ce digne Conseil se retrouvera, espérons-le, devant ses responsabilités. Les vraies. Tournant historique, ce dernier arrêt de la CEDH ? Mon oeil.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

14 Commentaires

@willoft 12.04.2024 | 07h53

«Voilatipas que le Docteur pilet nous repasse sa pommade climatosceptique
»


@Apitoyou 12.04.2024 | 10h30

«On retrouve bien le J Pillet de l’Hebdo dans cet éditorial et sa docilité envert l’économie, pourquoi pas d’ailleurs c’est quand même le bras qui sert l’assiette de chacun. Ce clin d’œil étant dit, pour toute cour de justice il n’est pas très difficile de mettre en évidence les liens d’intérêts qui entachent souvent leurs décisions, mais qui ne sont souvent pas retenus comme crédibles. Dans le cas de cet arrêt de la cour européenne des droits de l’homme, qui heurte une partie de la population helvétique qui avait le sentiment pourtant que la Suisse était propre au possible, il faut retenir surtout qu’il n’est pas contraignant au niveau du mode opératoire et qu’il laisse à chaque pays le soin de remédier à ses problèmes climatiques, qui en Suisse sont nombreux faut-il le rappeler. Qu’il s’agisse de la fonte des glaciers, des inondations, des éboulements de montagne, des canicules dans les îlots de chaleur, en somme tout ce qui est abondamment rappelé quotidiennement dans les médias.
Le point qui me paraît surtout important aujourd’hui est celui qui maintenant oblige chaque état à faire attention à ses auto-déclarations de propreté climatique et à surveiller ses obligations acceptées des accords de Paris en matière de climat.
»


@Gretel 12.04.2024 | 13h05

«Cet article repose sur une méconnaissance à la fois du rôle de la Cour et de sa jurisprudence. La Cour n'applique pas une "vague morale européenne" mais des droits fondamentaux également consacrés par la constitution suisse. Dès 1994, elle a reconnu que la CEDH consacrait le doit fondamental à un environnement sain. Cela suppose qu'elle est tenue d'appliquer ce droit et de protéger les citoyens de tous les pays membres menacés par l'action (ou l'inaction) négative des Etats membres du Conseil de l'Europe. Les juges ne se posent donc pas en maîtres de conscience (contrairement à certains commentateurs), mais ne font que leur devoir. On peut aussi rappeler que ce sont des citoyennes suisses qui ont demandé protection et que la Cour ne s'est pas mêlée de donner des leçons inopportunes.
Anne et Gilles Petitpierre»


@Alain Schaeffer 12.04.2024 | 15h16

«Merci à Gilles et Anne Petitpierre pour leur modération et clarification.»


@knud 12.04.2024 | 17h01

«Quelles que soient les procédures juridiques - fédérales ou extrahelvétiques - et leur bien-fondé ou non, il ne faut pas oublier de se pencher sur la pertinence ou non du débat "climatique".
Comme il est mentionné dans l'article de M. Pillet, le climat a changé de tous temps. Et cela dans des mesures toutes autres que celles déclarées dans la présente période. Qui donc s'est inquiété, ces 15 dernières mille années de la fonte du glacier du Rhône qui en son temps s'étendait jusqu'à Lyon (selon les études et observations de géologues) ? Evolution qui a mis à jour de grandes surfaces désormais occupées par des humains - et tous autres êtres vivants, y compris les végétaux - et donc permis d'étendre les terres cultivables (céréales, fruits, vignes...).
Jusqu'ici je n'ai lu ni entendu aucun commentaire qui puisse relever des avantages d'un réchauffement climatique (augmentation de la production agricole, accroissement des terres cultivables, diminution des déserts et autres).
Le climat de la planète dépend de quantités de facteurs, dont la connaissance reste lacunaire. Il est donc présomptueux de s'arroger l'idée que nos activités soient déterminantes si ce n'est les seules à avoir une influence sur cette évolution.
Que les scientifiques, économistes et politiques cherchent des moyens d'éviter l'épuisement des ressources de la planète et l'exploitation de nouvelles énergies me paraît plus essentiel que d'imposer des mesures restrictives sur l'existant et de jouer sur des taxes qui ne résolvent rien sur le plan du fonctionnement de notre belle planète, mais ne font que vidanger des porte-monnaie au profit de quelques autres déjà bien garnis.»


@Eggi 12.04.2024 | 19h45

«En plus des observations judicieuses (voire judiciaires) d'Anne et Gilles Petitpierre, je constate que, comme la grande majorité des journalistes, Jacques Pilet n'a pas pris la peine de lire, ne serait-ce qu'en substance, l'arrêt de la cour européenne, qui compte certes près de 300 pages! Il aurait évité ainsi d'affirmer de manière erronée que les plaignants "ne se sont pas adressés aux juridictions nationales" (c'est d'ailleurs une des conditions de la saisine de la CEDH), ou que "les juges ont tordu le droit" (la lecture de leurs principaux considérants démontre l'inverse). En résumé, l'UDC n'a pas fait mieux dans ses commentaires, notamment l'opinion de Kevin Grangier dans Le Temps du 11 avril. Ce dernier a l'excuse du politicard, le vrai journaliste ayant un devoir (du moins le présumé-je) de vérité, appuyée sur la vérification des faits.»


@Marianne W. 13.04.2024 | 00h32

«Eh bien c'est article est un sommet d'indigence, et de mépris pour le Mouvement des aînées qui a, pendant huit longues années, porté la cause de l'atteinte à la santé des personnes âgées que constitue le réchauffement climatique. Jacques Pilet, le réchauffement climatique existerait à la période actuelle, il est clair, avec ou sans l'action humaine. L'action humaine a cependant amplifié de façon exponentielle le changement climatique, amenant des bouleversements qui impactent gravement la santé humaine, et plus particulièrement celle des femmes âgées. Au vu de l'incapacité de la Suisse à initier les mesures nécessaires à contrer cette augmentation, et donc à veiller sur ce qui affecte la santé des plus faibles, il me paraît complètement judicieux que la CDEH ait légiféré sur son attitude.
Sur ce, je cesse mon abonnement à votre parution, qui ne me paraît plus du tout mériter son titre.»


@rogeroge 13.04.2024 | 09h32

«Relire «Sapiens et le climat» d'Olivier Postel-Vinay pour mettre toutes les gesticulations d'aujourd'hui dans un contexte historique: des événements naturels souvent de très grande ampleur ont marqué l'histoire de 'Sapiens' du paléolithique à nos jours: chaos climatique, méga-sécheresses. Synthèse: les caprices du climat jouent un rôle décisif comme moteur de l'évolution humaine, qui a toujours ait preuve d'une grande facilité de résilience. Un des exemples qu'il cite est que "Les Lumières et la révolution industrielle sont nées de la crise climatique du XVIIe s.»


@Maryvon 13.04.2024 | 10h24

«Concernant le réchauffement climatique, je suis scandalisée que les climatologues que l'on entend très fréquemment sur la RTS ne s'inquiètent jamais des répercussions sur le climat des 2400 essais nucléaires effectués sur notre planète entre 1945 et 1980. De nombreux essais ont encore été diligentés depuis lors - même actuellement - sans parler des deux bombes de Hiroshima et Nagasaki. Peuvent ils nous assurer que ces essais et bombes nucléaires n'auront eu aucun impact sur notre climat et sur la biodiversité, je leur pose la question ? De nombreux sites sur Internet nous donnent des informations très pertinentes pour ceux qui veulent bien s'y intéresser. Nos climatologues ne semblent pas non plus se préoccuper de l'impact sur la biodiversité (mot très à la mode actuellement ) des millions de litres d'eau radioactives que le Gouvernement japonais, suite à la catastrophe de Fukushima a décidé de déverser dans l'océan depuis 2023 jusqu'en 2050 sans savoir d'ailleurs quelle sera la suite des opérations et il y a fort à parier que ceci ne résoudra pas le problème. Alors bien entendu chaque pays doit faire sa part mais comme le disait M. Piccard lors des Matinales cette semaine, la Suisse n'est pas en reste, notamment dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Alors faut-il systématiquement que l'on s'auto-flagelle alors que d'autres que je ne citerai pas font peu ou pas d'efforts. ? »


@Latombe 13.04.2024 | 14h00

«C'est celui qui dit qui est...
M. Pilet en maître de conscience envoie une volée de bois vert aux plus aînés que lui.
Tant pis pour lui, je vais arrêter de lire ses articles et profiter des autres intervenants à Bon pour la tête bien plus intéressants.
»


@willoft 14.04.2024 | 00h41

«La WWW III vient de commencer
L'Iran attaque Israël...»


@PJA 17.04.2024 | 00h58

«J'annule aussi mon abonnement. Dommage car certains de vos points de vues et articles sont intéressants, mais un tel entêtement à nier l'évidence (si seulement il ne s'agissait que de réchauffement...) est pour le moins suspect. Il y a déjà assez de nos politiciens, qui payés par toutes les multinationales détruisant allégrement notre environnement, se complaisent dans un discours d'autruche engraissée pour que nous ne devions pas encore supporter les propos peu éclairés d'un média qui soudainement ne m'apparait plus si indocile qu'il ne le prétend»


@willoft 18.04.2024 | 01h52

«Il serait instructif de voir la pollution gènèree avec les guerres actuelles
On en parle jamais »


@jeanmarcblanc 22.04.2024 | 12h13

«Très bon article, bravo !
La lecture des commentaires ci-dessous montre une certaine orchestration des reproches faits à Jacques Pilet.»


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