Culture

Piotr Ilitch Nesterenko a été le premier directeur du crématorium de Moscou. En juin 1941, il est arrêté à son domicile et emprisonné. On l’accuse d’être un espion à la solde des Allemands, lesquels viennent de rompre le pacte qui les liait à l’URSS depuis août 1939. Nesterenko n’est pas plus surpris par son arrestation qu’il ne doute de l’issue fatale qu’on lui réserve. Il a incinéré des centaines de victimes des purges staliniennes, des gens célèbres comme des inconnus. Pour écrire ce livre, l’écrivain biélorusse Sacha Filipenko a «entrelacé les documents historiques et la fiction». Cela donne un livre épatant. Nesterenko relate les six interrogatoires qu’il subit. C’est d’abord l’occasion de découvrir sa vie, laquelle n’est pas banale. Il a été officier dans l’armée blanche qui luttait contre les bolcheviks, pilote d’avion, émigré à Istanbul, chauffeur de taxi à Paris… C’est un grand amoureux, qui toute sa vie désira la même femme. Ensuite, on le découvre philosophe, surtout pour ce qui concerne cet étrange couple que forment la vie et la mort aux noces desquels nous sommes tous et toutes, bien malgré nous, conviés à trinquer et à danser. «Je suis persuadé que chaque personne obéit à une fonction déterminée. Certains naissent pour être fusillés, d’autres pour tuer.» Nesterenko sait exactement comment les prisonniers du NKVD sont abattus d’une balle dans la nuque. Il joue avec son interrogateur comme on joue sa vie à la roulette russe. Comment cela va-t-il se terminer? Comment ce Charon moscovite, qui a vu passer tant de cadavres dans son four crématoire, franchira-t-il le Styx? Oui, c’est un livre épatant.