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Culture


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Ecrivain, réalisateur, acteur, éditeur, Christophe Bier a une connaissance intime du mauvais genre, que ce soit au cinéma, dans la littérature ou les arts graphiques. Chroniqueur pour la radio France Culture, il publie un deuxième volume de ses «Obsessions», cent trente-deux chroniques insolentes et iconoclastes, cent trente-deux pieds de nez à la moraline d’hier et d’aujourd’hui.



«Nous sommes de mauvaises âmes. Nous ne nous laisserons pas asservir par le bien.» Cette phrase provocante clôt l’avant-propos d’Obsessions bis que Christophe Bier vient de faire paraitre aux Editions du Dilettante. Un avant-propos qui précise ce qu’il en est aujourd’hui du mauvais genre artistique. Christophe Bier est un encyclopédiste, maître d'œuvre de l’époustouflant Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques (2011). Il est également écrivain, réalisateur, acteur, éditeur, collectionneur de romans de flagellation des années 30, de fumetti pour adultes, de photos de nains et d’hommes habillés en peau de gorille dans le cinéma… Il est également chroniqueur dans l’émission Mauvais Genres de France Culture *. En 2017, il avait fait paraître, déjà au Dilettante, cent trente-deux de ses chroniques sous le titre Obsessions. Il récidive aujourd’hui, toujours fidèle aux siennes, avec cent trente-deux nouvelles chroniques diffusées du 3 septembre 2016 au 17 décembre 2022.

En 2022, l’émission Mauvais Genres, produite et animée par François Angelier, a fêté ses 25 ans d’existence. «Depuis le premier volume paru en 2017, mes obsessions prospèrent», se réjouit Christophe Bier dans son avant-propos. Un optimisme aussitôt entaché par «des fait récents (…) venant nous rappeler qu’aucune légitimation n’était à espérer pour des zones définitivement transgressives. Il n’y a pas lieu de s’en lamenter: en quoi la respectabilité servirait-elle le mauvais genre? N’est-ce pas même incompatible?»

La différence entre le genre et le mauvais genre

Cette question est fondamentale pour qui veut définir le mauvais genre. Depuis les années 1980, tout un pan de ce que la morale bourgeoise bannissait s’est retrouvé légitimé, partiellement adoubé. Une certaine forme de contestation politique, sociale et morale a soudain été admise, voir encouragée et subventionnée. Le capitalisme, en tant que système, est en effet doué d’une exceptionnelle faculté de récupération et d’absorption de ce qui le critique. Tout ce qui fait vendre lui fait ventre, tout ce qui distrait le peuple aussi.

Il faut aussi évoquer ici la différence entre la littérature et le cinéma de genre – polar, fantasy, SF, érotisme, etc. – et le mauvais genre. C’est un peu comme celle qu’il y a entre la pornographie et l’érotisme: le mauvais genre peut aller jusqu’à l’obscène, choquer et blesser la morale et la pudeur.

Evoquant la nouvelle intolérance qui sévit aujourd’hui, Christophe Bier explique: «Parmi ces intolérants de tous bords, certains osent sans rire se réclamer d’un "progressisme". Tous rejoignent les sinistres dénonciateurs de "l’art dégénéré".» Comme les censeurs d’hier, ceux d’aujourd’hui veulent «éradiquer les "dégénérés" comme on arrache sans pitié les mauvaises herbes.» Entre les moralisateurs de tous bords et de toutes confessions et les «mauvaises âmes», chacun choisira son camp. Christophe Bier, lui, a choisi le sien.

Des Suissesses et des Suisses

Ceci étant dit, passons maintenant en revue quelques-unes des chroniques contenues dans Obsessions Bis. Les Suisses seront sans doute surpris de retrouver dans ces pages le nom de Robert Walser, l’écrivain alémanique présenté en Lecteur de petits romans sentimentaux français par les Editions Zoé. Autres Suisses, ceux de la Commission de contrôle des films de Genève, instituée en 1934 par les socialistes, qui «n’aura de cesse de priver les Genevois, jusqu’en 1980, des œuvres autorisées dans les autres cantons.» Christophe Bier évoque aussi, cela va de soi, Griselidis Réal, «artiste et putain», aujourd’hui enterrée au cimetière des Rois à Genève. Il rend également hommage au Lausannois Michel Froidevaux, créateur des Editions et de la librairie HumuS, ainsi que de la Fondation F.I.N.A.L.E. (pour les arts et la littérature érotique), décédé en novembre 2020.

La chronique 22, Tragique route 66, est consacrée au roman Albuquerque (2017), de Dominique Forma. L’occasion de saisir une partie de ce qui attire Christophe Bier dans le mauvais genre, une critique sociale radicale: «L’antagoniste principal de Jamie n’est pas tant la mafia avec ses porte-flingues pathétiques que l’ennui, ce poison mortel qui a corrodé son couple.»     

Humour, gore et anarchie

Il y a aussi beaucoup d’humour dans les recensions, comme dans celle du film Le lac des morts vivants: «Trente ans après leur massacre, sur de grandes orgues discordantes, une patrouille famélique de zombies nazis émergent, verdâtres et les yeux exorbités, du lac d’un village français pour décimer une équipe de basketteuses topless qui prenaient leur bain dans des accords jazzy lounge ponctués de vocalises riantes.»

Le mauvais genre, c’est également le gore, dont un exemple est donné avec l’évocation des visions de l’artiste japonais Wataru Kasahara: «Putréfactions bruyantes, hybridations maladives, grouillements de boyaux et de trompes phalliques, tubercules électriques, tuyaux-tentacules aux souples arabesques, tumeurs ovoïdes, membranes veineuses, viscères protéiformes, cratères aux ouvertures vaginales, pupilles félines striées de vaisseaux, kystes frontaux, lèpre, déjections, excréments, excroissances, démembrements, chairs éventrées, langues cancéreuses, végétation proliférante, vermines et lépidoptères.»

Dans la chronique 84, d’octobre 2020, Christophe Bier vante les mérites du fanzine Miroir noir, et plus particulièrement de son numéro 4, consacré à la nudité féminine dans l’art de la performance. «Loin du fanzinat consumériste classique, par son regard fasciné, ce foisonnant Miroir Noir nous rappelle que seules comptent l’anarchie et l’intensité du vertige, pulvérisant les portes de la raison.»

Oui, les cent trente-deux chroniques de cette anthologie du mauvais genre évoquent toutes des personnages hors du commun, des tentatives de briser les convenances, des convulsions créatrices, des souffles de liberté, des appels à la vie, à l’aventure, à la folie d’expérimentations hors des chemins balisés par les anciennes et les nouvelles morales. Un appel à, selon la règle du philosophe français Charles Fourier (1772-1837), «s’isoler de toutes les routes connues, sans tenir compte des frayeurs de son siècle.»    

* Depuis la rentrée, l'émission Mauvais Genres est diffusée les dimanches à 15h puis à 22h. Christophe Bier y intervient deux fois par mois.


«Obsessions Bis», Christophe Bier, Editions Le Dilettante, 228 pages

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