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Actuel / Ces Mexicans sont des «violeurs, des criminels...»

David Glaser

30 septembre 2017

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Un arrêt de bus, des policiers «undercover» et un interrogatoire propre en ordre: Juan raconte une de ces arrestations gratuites qui font le quotidien des Mexicains et autres Latino Américains.
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Chapitre 1, de Neza à Tijuana: Un aller (pas) simple pour New York En libre accès
Chapitre 2, la traversée: Des haricots, de l'eau, des cookies et le coyote En libre accès
Chapitre 3, boulots à la pelle: «Si vous êtes Mexicain, pire, illégal, vous êtes traité comme un déchet» En libre accès
Chapitre 4: L'agression En libre accès




Depuis l'élection de Donald Trump, pensez-vous que votre situation a changé?

Depuis l'élection de Trump, j'ai vu une telle recrudescence de la haine... des gens sont attaqués, bien sûr vous ne voyez pas ça dans les statistiques. Les crimes ne sont pas dénoncés à la police. Les gens ont peur de parler. J'ai de proches amis qui ont été attaqués à plusieurs reprises, insulté de nombreuses fois, maltraité aussi de nombreuses fois. Nous avons un président qui utilise un langage très incendiaire dans sa façon de parler des immigrés, et plus particulièrement des Mexicains. Il faut se rappeler de ce que Trump a dit durant la campagne présidentielle, il a désigné les Mexicains immigrés aux États-Unis comme «des violeurs, des criminels»... Cela a encouragé des gens qui ne se sentaient pas autorisés avant à dire ces choses publiquement. J'ai, en fait, très peur car je pense que ces personnes se sentent complètement libres d'être racistes ouvertement. Elles pensent que c'est OK d'être agressives envers nous car elles ont un président qui fait exactement la même chose.

 

Vous avez dû endurer un contrôle humiliant pendant une enquête policière sur un trafic de drogue... Vous avez été pris pour un criminel. Vous pourriez décrire ce qui s'est passé?

J’étais au delicatessen, je rentrais de l'école de photographie. J'utilise les transports publics. Et là je prenais le bus pour rentrer à la maison. Donc je prenais ce premier bus en direction de cette ville pour ensuite attendre un autre bus. Je sortais du premier bus et me préparais à patienter une heure avant de prendre le deuxième bus jusqu'à chez moi. Je suis donc aller prendre un café et une empanada (spécialité latine-américaine). J'attendais à l'intérieur du « deli» pensant que c'est plus sûr que d'attendre dehors dans la rue. Je me souviens être entré dans la boutique et j'ai alors vue cette dame que je connaissais car je l'avais vue plusieurs fois là-bas. Elle m'apprend alors qu'elle allait retourner vivre à Miami. Elle avait des bagages dont un qui ne fermait pas bien. Alors elle m'a demandé de surveiller ses sacs pendant qu'elle renvoyait le bagage défaillant au magasin situé tout près. 10 minutes plus tard, elle m'appelle pour me dire que la police l'a arrêtée. Ma première réaction est de me dire qu'elle ne parle pas anglais et qu'elle est certainement apeurée. Je suis sorti très vite du deli et je me souviens qu'une fois dehors, j'étais sur mon téléphone portable pour l'appeler pour lui demander où elle se trouvait. C'est alors que deux hommes sont arrivés derrière moi. Quelqu'un a crié quelque-chose et quand je me suis retourné, j'ai entendu: «Eh toi, fils de pute, ne bouge pas...»

Je sais très bien que je ne me trouve pas dans un des voisinages des plus sympas mais je sais que lorsque deux hommes survenant de nulle part par derrière qui m'insultent, mon instinct me dicte de fuir. Tout est arrivé si vite. Un des gars m'a pris en chasse, il m'a frappé avec son genou. Il a visé le dos. Je portais mon sac à dos. J'ai chuté et en me retrouvant à terre et à plat ventre, mon sac à dos s'est retrouvé sous mon torse. J'avais mon appareil photo dans le sac et je pouvais sentir la pression de l'objectif sur ma poitrine. Bien sûr, je n'ai pas tenté de me battre avec lui, mais de me libérer car je ne savais vraiment pas à qui j'avais à faire. Ils ne se sont pas présentés à moi comme des policiers. S'ils l'avaient fait, j'aurais agi différemment car je sais que quand un policier approche, il faut coopérer. Ils ne se sont jamais identifiés comme des policiers, ce qui m'a fait penser qu'ils essayaient de me voler. Le type avait son genou sur mon cou et me tirait par les cheveux. Il m'a dit: «Tu as deux choix, je peux te rendre la vie très difficile ou je peux te la rendre très facile».

Je répétais que je ne pouvais pas respirer et il disait que je pouvais très bien respirer. Finalement, je me suis calmé. Après quelques minutes, il m'a agrippé par les épaules, m'a mis les menottes et m'a tiré vers la voiture alors que j'étais à terre, mes jambes étaient égratignées car à cette époque de l'année, je portais un short. Il m'a placé contre la voiture et il a commencé à me questionner. «Qu'as-tu fait? Quel genre de deal avez-vous fait dans le deli? Je t'ai vu, nous t'observions depuis un moment...» ce qui était un mensonge car s'ils m'avaient observé depuis un moment, ils auraient su que rien ne s'était passé.

Je me rappelle que l'une de mes premières suggestions à l'officier était: «Si vous pensez vraiment que quelque chose a eu lieu, tout ce que vous avez à faire est d'aller à l'intérieur du deli et de demander à vérifier l'enregistrement de la vidéo-surveillance. Vous allez trouver des preuves, vous n'aurez même pas besoin de me questionner». Il m'a répondi: «Oh tu te crois si malin... c'est ça? Tu penses que tu peux m'apprendre mon travail?» Je lui ai répondu: «Je vous dis simplement que si vous pensez réellement que quelque chose s'est passé à l'intérieur du deli et que si vous ne me croyez pas, vous devriez simplement allr à l'intérieur et vérifier le film. Il a alors ouvert mon sac et a tout déversé sur le sol. Il m'a alors demandé pourquoi je transportais des livres et un appareil photo. J'ai dit que j'étais un étudiant et que je revenais du Community College. Ils se moquaient de moi et me disaient que j'allais «baiser» cette femme. «Qu'est-ce que tu dirais si j'appelais ta femme pour le lui dire?» Je lui ai dit de le faire et même d'appeler qui il voulait, car je n'avais rien fait de mal.  

Je me souviens qu'un des officiers n’arrêtait pas de me demander le code de mon téléphone. A cette époque, je ne savais pas qu'ils n'étaient pas autorisés à regarder dans mon téléphone. Et je lui ai donné, car j'essayais de coopérer. Il a regardé mes photos, mes contacts... Après trois ou quatre heures, je me souviens que l'un d'entre eux m'a demandé si j'aimais le café. J'ai dit oui. Il m'a alors proposé de venir avec lui au deli pour m'offir un café. Je me souviens lui avoir alors dit non. Car pour moi, c'était assez dégradant de retourner dans ce deli. Quand ils m'ont interpellé, il y a eu beaucoup de remous, beaucoup de personnes sont sorties du magasin et de nombreuses autres personnes qui se baladaient dans le parc, qui se situe derrière le deli, essentiellement des SDF, étaient eux aussi en train de regarder la scène. Tout le monde est sorti et tout le monde a regardé. Je ne serai plus jamais à l'aise de retourner là après ce qui s'est passé. «Même si je n'ai rien fait d'illégal, vous m'avez passé les menottes, donc, aux yeux de tous ces gens, je suis coupable», lui ai-je dit.

Il m'a dit: «OK, j'y vais pour toi dans ce cas.» Il est allé à l'intérieur du deli, m'a ramené un café, et m'a demandé si j'allais bien le boire, ce café. Je l'ai pris comme une menace. Et il y avait ce gars juste en face de moi qui me posait plein de questions sur la photographie. Ils devaient être six au total. Ce gars me demande: «Alors tu es photographe c'est ça? Je suppose que tu sais qui est Weegee...» Bien sûr que je savais qui était Weegee parce qu'il était très populaire. C'est un photographe qui couvrait les scènes de crime à Long Island et quand tu es dans une école de photo, c'est une des personnes dont tu étudies le travail.

Il a continué à me poser d'autres questions. «Si tu fais le portrait de quelqu'un, quel genre de lumière utiliserais-tu?» Je l'ai pris comme un moyen de confirmer que je disais la vérité. Je leur ai proposé d'aller au College que j'avais tout juste quitté quand ils m'ont interpellé. Mon professeur y était. Il aurait pu témoigner que j'étais dans sa classe 15 minutes avant l'arrestation. Mais ils ne voulaient pas procéder à cette vérification.

Après m'avoir relâché, je me suis photographié avec toutes mes blessures. J'ai pris le taxi pour cette organisation locale pour laquelle j'avais travaillé auparavant. Je suis entré dans le local. Je me souviens avoir vu quelqu'un à l'entrée qui m'a dit que ça lui était aussi arrivé. Ils ont fait un rapport de ce qui m'était arrivé. Je leur ai montré les photos des événements. Ils m'ont mis en contact avec un avocat qui était en charge d'une enquête sur des cas comme le mien.


Qu'a dit l'autorité en charge de la police de Suffolk County?

Il y a deux mois (interview réalisée début août), j'ai fait la rencontre d'un représentant du département de justice qui est en charge du dossier. Quand je l'ai rencontré la première fois, il m'a montré une image de moi en train de boire le café avec l'officier de la police à mes côtés et je me suis vraiment senti insulté. «Vous venez me questionner, savoir ma version de l'histoire mais si vous montriez cette photo à n'importe qui d'autre, il croirait que j'étais à un pique-nique. Ce qui n'était pas ce que j'étais en train de faire. Je pense qu'ils ont pris cette photo exprès pour montrer qu'ils n'avaient rien de fait de mal. L'avocat a contacté le département de police et il lui a été répondu qu'il ne pouvait pas dire qui étaient les agents en question car ils étaient sous couverture.

L'un de ces agents qui parlait espagnol avait pris mon numéro de téléphone et m'avait demandé si je savais ce qui était en train de se passer? Je lui ai dit que je ne comprenais pas. «A partir de maintenant, vous allez me donner des informations», m'a-t-il dit. Je me souviens lui avoir répondu: «Donnez moi une carte de visite pour que je puisse vous appeler». A ce moment précis des événements, je voulais sortir de cette situation. Il m'a dit en rigolant: «Vous ne voulez tout de même pas être pris avec une de nos cartes de visite?!» Simplement, il souhaitait que je devienne un informateur. C'est vraiment surprenant car je n'habite pas ce quartier. Je passais par là parce que je devais prendre le bus. Il pensait réellement que je savais ce qui se passait dans le quartier. Je lui ai dit: «Si vous êtes vraiment intéressé par ce qui se passe ici, il y a des milliers de personnes qui boivent de l'alcool à l'arrêt de bus: vous pouvez allez leur demander ce qui se passe ici.» Je ne savais pas ce qu'ils faisaient au juste mais il y avait toujours un groupe qui s'attroupait autour de l'arrêt de bus. Voilà pourquoi je ne préférais pas attendre à l'arrêt de bus. Je préférais toujours aller à l'intérieur du deli car je ne voulais pas me retrouver autour de ces gens. Il avait conclu que j'étais un habitué du quartier. Il ne me l'a pas dit directement. Il m'a simplement demandé de devenir son informateur. Il m'a d'ailleurs appelé deux fois après, mais j'ai raccroché et il n'a jamais appelé après.


Prochainement dans Bon pour la tête

Chapitre 6 et dernier: Mexicain un jour, Mexicain toujours

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