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Culture / «Azad» ou les croisements tragiques de l’Histoire


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Mélanie Croubalian est une voix familière de la radio romande (RTS), où elle accueille ses hôtes avec une attention curieuse et chaleureuse. Et voilà qu’elle publie un premier roman. Loin, très loin des thèmes à la mode. Mais au cœur de l’actualité et de la grande histoire. Le récit, collé aux réalités, de destinées croisées, de la Syrie, d’où s’enfuient tant d’hommes et de femmes, à l’Arménie au temps du génocide.



Un roman? Vraiment? Un livre hors du commun qui réussit à mêler une sorte de reportage sur l’exil forcé des Syriens, entre Alep et Calais, à l’évocation historique d’un voyage, de l’arrière-grand-père arménien, sous uniforme britannique, qui part à la recherche de sa femme vers sa patrie martyrisée en 1915. Il faut dire que Mélanie Croubalian porte en elle les grands écarts. Née au Canada d’un père arménien d’Egypte et d’une mère suisse allemande, grandie à Genève, familière du Caire, la journaliste a sa façon propre d’écouter le monde, l’Europe, le Moyen-Orient. Sa saveur verbale aussi, pas seulement celle de la confiture aux fraises d’Aziza selon la recette de sa grand-mère paternelle qu’elle livre en conclusion du livre. 

Nayef fuit Alep en 2015, n’en pouvant plus de la double persécution du régime et des barbus islamistes, des canonnades, du déluge des bombes. Intello, lettré, pas démuni, il rêve de Londres. Sa mère meurt, son compagnon de route disparaît, et il court, de bus en bus, de frontières en frontières, de tracas en déboires, mais rien ne l’arrête. Partout on lui demande de l’argent et les dollars filent vite. Il en faut beaucoup pour les passeurs qui, de Turquie, embarquent les réfugiés vers la Grèce sans monter eux-mêmes à bord. La mort rôde partout. Noyades, bagarres, fusillades. Mais Nayef ne s’attarde pas sur ses peurs, il ne retient pas ses larmes mais il ne s’apitoie jamais sur lui-même. Comme toutes celles et tous ceux qui s'obstinent sur la route de l’espoir, son seul compagnon, c’est le téléphone portable. La source d’informations sur les parcours recommandés ou à éviter, le seul lien avec les proches encore en mesure de répondre. Avec des moments de super angoisse quand le fil Instagram d’un ami s’arrête soudain, définitivement. 

On a eu vent, de loin, des tracasseries et des brutalités des flics et garde-frontières de tous bords sur les chemins de ces exils. Début avril encore, des demandeurs d’asile de divers pays, arrivés à Lesbos, ont été refoulés en mer sur un canot pneumatique. Les noyades ne se comptent plus. Mais ces informations sont balayées par ce que les journalistes appellent «l’actu», les yeux fixés sur la seule guerre qui compte.

Là, avec Mélanie Croubalian, on perçoit mieux l’ampleur du drame, mais aussi l’extraordinaire énergie, l’admirable dignité de ces hommes et de ces femmes. Leur capacité, jusque dans le pire, de savourer des moments de légèreté, de gourmandise, d’humour. Leur refus d’entrer dans le rôle de victimes geignantes. Lorsqu’ils arrivent en territoires plus sûrs et plus respectueux, ils sont armés pour défendre leurs droits, pour trouver une vie meilleure. Ainsi Nayef ne veut pas de l’Allemagne qu’il trouve ennuyeuse, pas de la Suède qu’un ami lui recommande, non, il tient à Londres, alors départ pour Calais! Et il y parviendra enfin. Alors qu’il disait depuis des mois à sa grand-mère, pour la rassurer, qu’il y était déjà arrivé.

Il a une raison personnelle de s’accrocher tout au long du parcours. Un vieux document l’accompagne, confié par sa grand-mère à son départ: le journal de son ancêtre arménien, parti du Caire en 1915, traversant lui aussi la Turquie, regagnant sa patrie, à travers tous les périls. Pour trouver sa maison ravagée, son épouse chérie massacrée. On ne comprend rien aux déferlements des haines ethniques, religieuses, idéologiques, sans entrevoir les parcours personnels. Ceux de Azad nous y aident. Celui de l’auteure aussi.


«Azad», Mélanie Croubalian, Editions Slatkine, 231 pages.

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