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Culture / Ode à l'Amérique des ploucs blancs

Albertine Bourget

23 septembre 2017

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Best-seller pendant la campagne électorale américaine, les mémoires de J.D. Vance paraissent en français. BON POUR LA TÊTE VOUS OFFRE CET ARTICLE EN LIBRE ACCÈS



Au lendemain de l'élection présidentielle, son visage poupin s'affiche sur tous les écrans télévisés. Le soir-même, son livre a (re)bondi en tête des ventes sur Amazon. A 33 ans, James David «J.D.» Vance se voit sollicité par tous les médias pour expliquer l'apparemment inexplicable: l'accession de Donald Trump à la Maison Blanche. Son livre, Hillbilly Elégie, qui vient de paraître en français*, ne fait pourtant pas mention du millionnaire new-yorkais. Mais il a pour décor le Kentucky et l'Ohio, où Vance a grandi. Chez les hillbillies, les «ploucs des Appalaches», ces Blancs pauvres ont massivement voté pour Trump.

Décor, le mot est faible. En fait, la zone est un personnage à part entière du livre, tant elle façonne ses habitants. Comme J.D. Vance l'écrit, il vient «d'une famille pauvre de la Rust Belt, une ancienne région industrielle, dans une petite ville de l'Ohio où l'on produisait de l'acier et qui subit une véritable hémorragie d'emplois depuis aussi longtemps [qu'il peut s'en] souvenir.» Une zone sinistrée, où chômage et aide sociale avoisinent avec alcoolisme et violence. La mère de J.D., Bev, l'encourage à emprunter des livres à la bibliothèque, mais est plus occupée à se battre avec ses époux successifs et à trouver de la drogue qu'à veiller sur son éducation. Son père biologique a renoncé à ses droits. Heureusement, il y a la grande sœur, Lindsay, et surtout les grands-parents, Mamaw Bonnie et Papaw Jim, auxquels Hillbilly Elégie est dédié.

De férocement démocrates à férocement républicains

Entourés d'une nuée d'oncles, tantes et cousins, ces deux personnages hauts en couleurs vont, cahin-caha, protéger, éduquer et pousser leur petit-fils. A leur manière: ils sont «les personnes les plus effrayantes que je connaissais – des vieux Hillbillies qui se baladaient en toutes circonstances avec des armes dans la poche de leur manteau ou sous le siège de la voiture.» Papaw a été fier d'être ouvrier chez le géant de la sidérurgie Armco, mais veut plus que tout que son petit-fils devienne un «col blanc» – même si personne dans la famille n'a jamais mis les pieds à l'université. Mamaw, elle, refuse d'aller à l'église, mais lit la Bible avant de dormir et croit dur comme fer à l'adage «Aide-toi et le Ciel t'aidera».

Après les traumatismes et les émerveillements de la petite enfance, le regard de Vance se fait plus sociologique. Il a 16 ans quand il lit un ouvrage qui le marquera profondément, notamment parce qu'il semble décrire sa famille: The Truly Disadvantaged, du sociologue William Julius Wilson, sur des communautés laissées sur le carreau suite à la fermeture d'usines. «Que l'écho eût été si intime est curieux, pourtant, car il ne parlait pas des immigrants appalachiens – il parlait des Noirs partis vers les grandes villes.» Tous les jours, il est témoin des problèmes de drogues, de violences, de consommation outrance et à crédit qui perpétue le cycle de la pauvreté du voisinage. A la supérette où il travaille, il constate que l'épicerie ne fait crédit qu'aux riches; que certains revendent à profit les bons de l'aide alimentaire pour s'acheter tabac et alcool. 

«Les spécialistes des études politiques ont consacré des millions de mots à vouloir expliquer comment les Appalaches et le Sud sont passés de férocement démocrates à férocement républicains en moins d'une génération. […] Une bonne part de vérité réside dans le fait que de nombreux Blancs ont vu précisément ce que j'ai vu, moi, en travaillant chez Dillman's.» Il est frappé par le «détachement culturel» de sa communauté, désillusionnée par les partis et les présidents. «Si le second Dieu de Mamaw était l'Amérique, alors beaucoup de gens dans notre communauté étaient devenus athées.» Vance veut aller à l'université. Mais le coût et la perspective lui font peur. Pour ce patriote convaincu, ce sera l'armée, plus précisément le prestigieux et exigeant Marine Corps. Une école de vie qui va renforcer sa détermination à réussir et lui permettra d'intégrer Yale.

«As-tu dit que tu étais noir ou de gauche pour pouvoir entrer à l'université?»

Lorsque J.D. Vance rédige son livre, Barack Obama est le locataire de la Maison Blanche. Et pour les ploucs des Appalaches, écrit-il, le président est un «extraterrestre […] pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la couleur de sa peau»: Obama président a fait des études prestigieuses, vient d'une métropole (Chicago). Il est un bon père, s'exprime élégamment, et «sa femme nous explique que nous ne devrions pas donner certaines choses à manger à nos enfants, et nous la détestons pour ça – […] parce que nous savons qu'elle a raison.» En apprenant que son fils a postulé pour Yale, le père de J.D. lui demande sans rire s'il a dit être «noir ou de gauche» dans les formulaires de candidature.

L'ouvrage, qui prend fin alors que Vance sort diplômé de Yale, paraît en été 2016, en pleine campagne présidentielle. Salué par de nombreux médias, il caracole en tête des ventes et remonte à la première place après le 8 novembre. Depuis l'élection, l'auteur est devenu consultant pour CNN et a décidé de quitter la Silicon Valley pour retourner en Ohio, investir dans des start-ups et lutter contre les ravages de la drogue. A la surprise de nombreux lecteurs, il est resté un conservateur et un Républicain convaincus – qui n'a pas voté pour Trump, mais pour le candidat indépendant Evan McMullin. Certains commentateurs lui reprocheront d'être passés comme chat sur braise sur le racisme et le sexisme toujours très présents dans les Appalaches. Et il est vrai que Hillbilly Elégie n'apporte pas de solutions convaincantes pour mettre fin aux divisions qui secouent les Etats-Unis. Mais il reste un portrait enlevé d'une certaine partie de l'Amérique.


Hillbilly Elégie, de J.D. Vance, éditions du Globe, septembre 2017, 288 pages.

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