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Culture


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En cette fin d’année, trois livres et une revue qui résument la fécondité actuelle des questions qui gravitent autour de la femme comme genre, comme artiste, comme vécu.



Les récits de Jane Austen, Virginia Woolf, George Sand, Marguerite Duras ou George Eliot sont peuplés de personnages à leur fenêtre et on sait l’importance qu’a eue dans l’histoire du féminisme la publication d’Une chambre à soi.

Eh bien, dans la photographie féminine, la chambre à soi et le corps à soi se confondent, affirme moult fois Marion Grébert dans Traverser l’invisible paru récemment à L’Atelier contemporain.

Dans cet essai, consacré à deux photographes américaines dont l’œuvre a suscité un fort engouement posthume, deux photographes qui opéraient dans la période où l’émancipation des femmes s’accélérait et s’affermissait l’idée de l’archétype du genre, le concept central est que les femmes s’auto-photographient soit dans leur nudité, soit de façon fantomatique, comme absentes à tout et surtout à elles-mêmes.

Apparaissant et disparaissant ainsi n’ont-elles pas eu l’intuition de la possible disparition imminente de l’espèce? L’une, Francesca Woodman, absorbée par des ruines et l’autre, Vivian Maier, invisible parmi les foules. Francesca Woodman (1958-1981) s’est photographiée de l’âge de 13 ans jusqu’à sa mort, par défenestration, à 22 ans.

Elle s’est donc représentée pendant à peine dix ans dans des pièces vides, des maisons abandonnées, des rues désertes, des cimetières, des ruines, en exhibant, tout en le floutant, son corps d’adolescente et puis de jeune femme. Se montrant sautant, courant, volant, rampant, glissant, bref, toujours insaisissable, cherchant à se métamorphoser en ange. Pour finir par s’envoler dans l’autre monde en se jetant de la fenêtre de son appartement new-yorkais.

Malgré la brièveté de sa carrière, son œuvre, qui compte environ 800 clichés, connaît un retentissant succès posthume dans la création photographique contemporaine. 

Vivian Maier (1926-2009), nourrice professionnelle, a laissé, elle, des centaines de milliers de photographies non développées. S’étant mise à pratiquer assidument la photo au début des années 50, elle a réalisé ses innombrables autoportraits en arpentant à l’infini la ville et en se photographiant inlassablement au milieu du flux environnant. Sa gloire posthume est sans pareille.

Le bleu du iel

Les éditions de L’Arche viennent de publier Qu’on leur donne le chaos de Kae Tempest et c’est superbe. Le titre est un clin d’œil appuyé au «Qu'ils mangent de la brioche!», de Marie-Antoinette.

Il est 4h18 du matin et sept visages sont dressés sous le ciel grondant de Londres, sept âmes brisées, en plein cauchemar éveillé... Dans ce poème urbain, Kae Tempest célèbre la pulsation de vie d’une génération désenchantée en quête d’une échappatoire à la solitude humaine et la combustion du monde. C’est une déflagration de beauté, un flow puissant porté par une voix où passent colère rentrée et vulnérabilité.

A 36 ans, l’artiste britannique occupe une place très singulière sur la scène contemporaine, à la fois figure majeure de la littérature (Lion d’Argent de la Biennale de Venise pour son œuvre poétique) et slameuse aux avant-postes d’une génération baignée de hip-hop et de musiques électroniques.

Kae Tempest n’est pas, elle, dans la disparition mais à 100% ans dans l’apparition, si ce n’est même dans la mutation. Après avoir habité un certain temps dans une envie de pleurer, elle a transformé tout cela en rage maitrisée et avec un sacré sens du rythme, un bon souffle et une grande constance dans la durée, elle a choisi de disparaître à son sexe pour réapparaitre transfigurée.

Née en 1985 dans la banlieue londonienne, fascinée par les mots, iel fait dès l'âge de seize ans ses débuts dans le monde du rap et du hip hop, et interprète ses propres textes. Iel écrit aussi pour la Royal Shakespeare Compagnie et «slame» sur le vers shakespearien. Elle se fait ainsi connaître du public lors de tournées de «spoken word».

C’est en 2020 qu’elle a fait son coming out non-binaire, et annoncé son nouveau prénom Kae (prononcé comme en anglais la lettre K) et sa préférence pour l'utilisation du pronom non-genré they. C’est-à-dire qu’elle a cessé de s'inscrire dans la norme binaire occidentale moderne, qu’elle est devenue genderqueer, ni homme, ni femme.

Bref, elle a le flow! Et elle écrit superbement et interprète avec la plus grande des maitrise ses textes à la William Blake. 

Poétesse de l’incertitude questionnant les gouffres et les impasses de nos sociétés, puissante, juste, habitée, prosaïque et immémoriale, après avoir beaucoup parlé de son corps dans le regard des autres, elle l’a transfiguré.

Des centaines d'autoportraits

Suicide total est un album de BD à lire en clignant des yeux tant il est brillant. Ici, pas question de ligne claire, nous ne sommes pas chez le capitaine Haddock à Moulinsart, non, ici, nous sommes au Québec et dans la ligne crade.

Admirée par la crème de l’élite des dessinateurs tels que Robert Crumb, Charles Burns ou encore Art Spiegelman, publiée en France à L'Association à partir de 1990 par le génial Jean-Christophe Menu, Grand prix de la ville d'Angoulême en 2022, Julie Doucet (1965) est l’auteure d’une œuvre magistrale, alternative et hyper féministe, le fameux fanzine Dirty Plotte (sale fente). Elle y conte son quotidien et ses rêves, ses délires et ses angoisses. Les récits sont courts, les cases saturées et le trait est gras, très gras.

Dans Suicide total, son nouvel album récemment paru en France, nous sommes en 1989, Julie a 23 ans, elle réalise des fanzines qu’elle distribue dans les librairies ou par correspondance et elle entame une intense relation épistolaire avec un Français qui fait son service militaire et qu’elle surnomme «le hussard». Les deux jeunes gens s’écrivent des centaines de lettres et s’enthousiasment l’un pour l’autre, jusqu’à ce qu’un voyage en Europe leur offre l’occasion de se rencontrer en chair et en os.

Suicide total nous emporte comme un fleuve à remonter le temps. La machine est un peu rouillée au début et l’autrice s’exhorte elle-même à dessiner, évoque sa difficulté à manier les mots, avant de plonger – et nous avec elle – dans le flot de ses souvenirs pour ressusciter l’intensité des sentiments passés.

Exit les planches et les cases, Suicide total a été dessiné d’un seul tenant. Afin de rendre au mieux cette performance graphique, le livre se présente sous la forme d’un leporello qui se déroule sur près de 20 mètres.

La déferlante n°8, revue féministe, novembre 2022

Un article, titré Ping-pong théories, nous restitue un échange entre Virginie Despentes (1969) et Philippe Poutou (1967). Elle a pris un coup de vieux, et lui, elle le trouve doux, ça va quoi. Le père de Philippe était postier et celui de Virginie, télégraphiste dans les trains de nuit. Donc, ils ont tous les deux plus ou moins cinquante ans et ils ont la nostalgie, c’était mieux avant, y avait la lutte des classes et tout et tout. Chez eux, la politique était très importante, et les grèves, et le service public, ils les aimaient et aimaient leur travail. Tout ça a disparu et les deux, du coup, eux, ont un sacré blues. Ceci dit Virginie pense que le système libéral est en fin de course et elle croit beaucoup aux jeunes. Philippe dit qu’il y a beaucoup de jeunes aux meetings du NPA et qu’il faut reprendre la rue. Hélas, le néo libéralisme règne aujourd’hui sans partage. Elle dit que ce système et l’hétérosexualité silencient l’autre.

D’où je découvre ce verbe et d’où je vois qu’il est courant maintenant et pas mal utilisé dans cette revue. Silencier donc.  

«Non que l'été soit maintenant moins doux qu'il était quand les hymnes mélancoliques du rossignol silenciaient la nuit!», écrivit en son temps Chateaubriand m’apprend Google. 

L’autre temps fort de ce numéro est une carte blanche accordée à Ovidie qui nous raconte sa life et c’est passionnant. Ex-actrice et réalisatrice dans le milieu porno, elle est devenue docteure ès lettres et signe des livres et des documentaires dans des médias mainstream, tels qu’Arte ou France Culture.

Si on change de nom, c’est surtout pour envoyer quelqu’un d’autre que soi au front, dit-elle. Et c’est pour cette raison qu’elle se sent si peu concernée par les insultes et les menaces qu’elle reçoit constamment sur les réseaux sociaux. C’est une poupée à son effigie que l’on transperce d’épingles, pas elle. Lorsqu’elle tape son nom, la femme que lui proposent Google ou Wikipédia, elle ne la connaît pas. A chaque documentaire qu’elle réalise, série, livre, il y a toujours une horde de crétins, des deux sexes, qui ressort des photos d’elle en porte-jarretelles en espérant ainsi la silencier.

Son désir profond, dit-elle, est le même que celui des autres: être aimée, reconnue. Mais, hélas, quand elle est vraiment elle-même, elle lit dans le regard de l’Autre une profonde déception. On ne reconnaît donc ni Eloïse, ni Ovidie, on la prive de sa propre histoire en bavant et en crachant n’importe quoi sur elle.

Parfois des inconnues lui racontent leur viol, la violence de leur conjoint, leur épisiotomie mal suturée. Face à cette souffrance, elle se sent impuissante. Comment ferait-elle pour les aider alors qu’elle ne sait pas qui elle est elle-même? Le sujet de sa thèse était «l’auto narration à l’écrit et à l’écran». Elle a passé quatre années dessus, quatre années à essayer de se faire croire qu’elle travaillait enfin sur autre chose que sur elle-même.

Bref, dédoublez-vous! Car si Eloïse est une nouille qui regarde ses pieds lorsqu’on lui pose une question, Ovidie peut s’improviser à n’importe quel moment experte de tout et de rien et en parler pendant des heures avec grâce et aisance.


«Traverser l’invisible», Marion Grébert, L’Atelier contemporain, 180 pages.

«Qu’on leur donne le chaos», Kae Tempest, L’Arche, édition bilingue, 160 pages.

«Suicide Total», Julie Doucet, L’Association, 144 pages.

«La déferlante», n°8, novembre 2022.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@gmermet 17.12.2022 | 17h58

«La théorie du genre est issue de l'affirmation de philosophe français selon laquelle c'est le langage qui créée la réalité. La réalité objective n'existe donc pas.

Si cette thèse peut amener à certaines remises en questions nécessaire, elle peut conduire aussi au non-sens absolu. Monsieur Trenet nous parle de Kae Tempest. Cette femme a construit une nouvelle réalité, celle d'un être non-binaire, genderqueer, ni homme, ni femme !

M. Tenet nous dit qu'elle a le flow  ! L'expression est calamiteuse et révélatrice. Cette chimère d'un être non-binaire n'existe évidemment que dans la tête de cette artiste britannique et n'est destinée qu'à épater certains milieux intellectuels et artistiques. Cela confirme que pour exister, à l'heure actuelle, il faut donner dans l'outrance et l'absurde.»


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