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En octobre 1962, le monde s’est vu au bord de la guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS. Titres et commentaires des journaux de l’époque attestent d’un véritable affolement. Les Soviétiques avaient installé des missiles sur l’île communiste, si proche de la Floride. Un accord fut trouvé en deux semaines. Avec l’aide active des diplomates suisses. A la différence de ce qui se passe aujourd’hui, en ces moments de tensions, de menaces terrifiantes entre l’Est et l’Ouest.



Plus de 80 cargos avaient fait la navette entre la Russie et les ports cubains pour acheminer les engins et de quoi construire des rampes de lancement protégées. Plus de 12’000 soldats et spécialistes soviétiques étaient sur place, interdisant tout accès à ces bases, même à l’armée cubaine. 42 MiG-21 patrouillaient au-dessus de l’île. Ce branle-bas attesté par les photos aériennes de U2 américains suscita une tempête au sein de l’ONU à New York. Accusations, dénégations, discours menaçants. Quant à Fidel Castro, persuadé qu’un assaut se préparait, il en appelait à la résistance coûte que coûte. Luc Chessex, le photographe lausannois, qui vivait à La Havane à ce moment, se souvient que les Cubains étaient sûrs d’eux. C’était l’époque de gloire de la Révolution, admirée par de nombreux Européens et Sud-Américains. Peu avant ils avaient infligé une défaite humiliante à un corps expéditionnaire anti-communiste soutenu par la CIA, à la Baie des Cochons, où furent faits des centaines de prisonniers. Mais des bombardements aériens massifs étaient à craindre.

C’est alors que le Département d’Etat pria l’ambassadeur de Suisse à Washington, August Lindt, d’informer Castro que les avions US survolant l’île n’avaient que des missions d’observation, qu’aucune invasion n’était prévue. Ce qui fut fait par l’intermédiaire du représentant suisse à La Havane, l’ambassadeur Emil Stadelhofer qui avait un accès personnel et direct avec le «caudillo». De part et d’autre ces deux diplomates firent tout ce qu’ils purent pour faire baisser la tension. Au lendemain de la crise le premier fut chaleureusement félicité par le président JF Kennedy. Le second applaudi et remercié en public par Fidel Castro.

En réalité, le dénouement a été concocté directement entre Washington et Moscou, sans aucune implication du gouvernement cubain, entre le 14 et le 28 octobre. Au terme de l’accord trouvé, l’URSS retirait les missiles et obtenait, en compensation, l’engagement des Etats-Unis de ne pas déposer d’armes nucléaires en Turquie et en Italie. Leur engagement aussi, tenu jusqu’à ce jour, de ne pas envahir l’île, sauf provocation directe. Il fut établi à cette occasion un «téléphone rouge» entre Soviétiques et Américains.

Reste un mystère. Comment Khrouchtchev, aux commandes de l’URSS à l’époque, a-t-il pu croire que cette provocation resterait sans réponse? Il ne cherchait sans doute pas une réelle confrontation mondiale. A-t-il présumé qu’elle déboucherait finalement sur un accord dont il retirerait des avantages? 

Cet épisode historique chaud éclaire le rôle qu’a pu jouer la diplomatie helvétique. Non pas faire la paix, mais en faciliter le chemin. Dans la crise internationale actuelle, la Suisse ne s’en donne pas les moyens. Au contraire. Outre la reprise des sanctions contre la Russie, l’ajout des siennes propres, elle donne tous les signes de l’appartenance à un camp et du rejet total de l’autre. Et dire qu’un jour, pas si lointain, Joe Biden et Vladimir Poutine palabraient et se serraient la main dans une belle maison de Genève… Lorsque le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, va se faire photographier avec le Président ukrainien à Kiev, il donne plus dans le spectacle que dans la solidarité. Celle-ci exige des actions concrètes et des fonds. Du réalisme et de la vigilance aussi pour que l’aide n’aille pas engraisser les oligarques mafieux qui tiennent l’économie du pays. Pas du tamtam médiatique pour s’attirer les faveurs du public et de nos alliés de fait. 

Le jour où s’engageront enfin des négociations de paix, la Suisse sera hors-jeu. D’autres prendront le relais. Le monde entier a pris note de l’abandon de ce qui fut une de nos particularités politiques. Lors d’autres conflits, les belligérants tentés d’en finir, de trouver quelque arrangement, iront aussi voir ailleurs dans la recherche d’un coup de pouce diplomatique.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@simone 28.10.2022 | 18h02

«Vous avez tristement raison. Mais c'est toute l'Europe occidentale qui est hors jeu maintenant.
Suzette Sandoz»


@willoft 30.10.2022 | 23h47

«Le résultat du Brésil annonce WWIII, la Chine va envair Taihwan y bla»


@rogeroge 09.11.2022 | 09h54

«Bravo M. Pilet! Je suis libéral et pas d'extrême droite, mais vous avez parfaitement raison. La neutralité suisse imposait de ne pas s'aligner sur les sanctions européennes, quoiqu'il en coûte de nos relations (difficiles d'ailleurs) avec nos 'amis' européens. Et quand - après - le Président de la Confédération va rencontrer la diplomatie russe pour offrir ses bons services, c'était d'une naïveté désarmante. Merci d'avoir rappelé les événements de Cuba qui avaient, en effet, eu un retentissement mondial et montré à quel point la diplomatie suisse était, alors, en bons termes avec les belligérants, d'où quels viennent.»


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