A vif / Le vent du large
Alan Roura est le plus jeune marin à avoir terminé le Vendée Globe. Il dédicace son livre à Morges, au Livre sur les quais. Vendredi en fin d’après-midi, il était sur la scène du Casino, où flottait comme un air d’école buissonnière.
La navigation, au long cours ou pas, n’est pas une activité qui me passionne. L’idée de devoir animer une rencontre avec Alan Roura à Le livre sur les quais de Morges, le 1er septembre, m’a donc laissé plutôt indifférent. Et puis, en milieu de semaine, j’ai lu son livre, L’aventure au bout du rêve, le carnet de bord des 105 jours qu’il a passé en mer, sans escale, à faire le tour du monde durant la dernière édition du Vendée Globe. Au-delà des casses de safran, des vagues, des pannes de vent et des tempêtes, il y a quelque chose d’inhabituel dans ce récit. Par moment un ton particulier, une sincérité peu courante. Et je ne parle pas ici du classique face à face avec soi-même du navigateur solitaire.
Le livre débute avec une citation de Jacques Brel: «Le talent, ça n’existe pas. Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose».
Pas la grosse tête
Une petite cinquantaine de personnes est là, dans la salle de spectacle Belle Epoque du Casino – cette année, les gens doivent payer pour assister aux rencontres avec les auteurs, peut-être devront-ils bientôt payer pour faire dédicacer les livres, payer pour en acheter. La discussion débute. Alan Roura est le plus jeune marin à avoir terminé le Vendée Globe, qui plus est sur un bateau d’une autre génération, avec un budget très modeste; mais ça ne semble pas l’impressionner, pas plus qu’il ne semble attendre que cela nous impressionne.
Une autre école que l’école
Et voilà qu’on parle de son enfance. Lorsqu’il a deux ans, ses parents achètent un bateau à moteur de 10 mètres de long dans lequel va vivre toute la famille, au Port Noir, à Genève. Et puis, en 2001, sur un voilier de 12 mètres de long, ils partent pour une traversée de l’Atlantique qui se transformera en un voyage de onze années autour du monde. A 13 ans, Alan Roura se met à travailler avec son père, de port en port.
- Vous êtes allé à l’école?
- Non, jamais. Ce sont mes parents qui m’ont donné des cours. Ce matin, lorsque je dédicaçais mon livre, des gamins sont venus vers moi. Pour un devoir scolaire, ils m’ont demandé quel était le texte qui m’avait le plus marqué à l’école. Je n’ai rien pu répondre…
Tandis que nous continuons de parler, dans ma tête raisonne le poème de Prévert, Le cancre: «Il dit non avec la tête / mais il dit oui avec le cœur / il dit oui à ce qu’il aime / il dit non au professeur / il est debout / on le questionne / et tous les problèmes sont posés / soudain le fou rire le prend / et il efface tout / les chiffres et les mots / les dates et les noms / les phrases et les pièges / et malgré les menaces du maître / sous les huées des enfants prodiges / avec les craies de toutes les couleurs / sur le tableau noir du malheur / il dessine le visage du bonheur».
Alan Roura sourit tout le temps: sur les photos, sur les plateaux de télévision, ici à Morges. «Quand j’étais petit, on m’appelait «sourire d’argent», et ce n’est pas parce qu’on était riches…»
Ceux qui ne quittent jamais le port
Aux enfants qui l’interrogeaient, Alan Roura aurait dû raconter son enfance à lui, en liberté. Pour qu’ensuite ils aient des arguments pour expliquer à leurs parents qu’il fallait les lâcher un peu avec cette obsession – omniprésente chez les petits-bourgeois – de la réussite scolaire, des études universitaires, des diplômes. Pour qu’il puisse leur dire que devenir cadre dans une entreprise quelconque n’est pas une vie mais une résignation.
On n’encourage pas assez les enfants à faire l’école buissonnière. C’est pourquoi, une fois devenus adultes, ils restent au port, résignés.
Le bon choix
Alan Roura ne fait pas de grandes théories. Il ne fait pas le malin. Il n’a pour l’instant lu que trois livres en tout et pour tout. Il n’a pas eu le temps d’en lire plus, trop occupé à la vivre, sa vie. «Il est très difficile de sortir du système, explique-t-il. Moi, je n’y suis jamais entré…»
Pendant tout l’entretien, le vent du large a soufflé sur la scène du Casino de Morges. C’est vivifiant.
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