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Média indocile – nouvelle formule

Culture


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Hasard du calendrier, deux films, l'un allemand et l'autre français, nous proposent des visions légèrement futuristes centrées sur l'arrivée de compagnons de vie androïdes. La troublante fable imaginée par Maria Schrader l'emporte toutefois largement sur la franche comédie de Xavier Durringer.



Les distributeurs se seraient-ils donné le mot pour susciter ce genre d'article? Ce serait nouveau mais pas exclu, vu une branche aux abois qui va impérativement devoir faire preuve d'imagination. Voici donc un match inattendu entre deux films qui, traitant du même sujet, seraient autrefois sortis avec un temps d'écart, histoire de ne pas se faire concurrence. A ma gauche, Ich bin dein Mensch de Maria Schrader, l'actrice allemande et ex-compagne de Dani Levy qui nous avait épatés en 2016 en signant un magnifique Stefan Zweig –  Adieu l'Europe (Vor der Morgenröte). A ma droite, L'Homme parfait de Xavier Durringer, ex-auteur prometteur (La Nage indienne, en 1993) au parcours décevant de Chok-Dee à La Conquête (sur l'accession à la présidence de Nicolas Sarkozy) et quantité de téléfilms. Tous deux imaginent l'intrusion de robots dans notre quotidien, qui plus est des androïdes masculins qui vont donner du fil a retordre à leurs propriétaires du fait même de leur supposée «perfection».

Pour Maria Schrader, qui s'est librement inspirée d'une nouvelle d'Emma Braslavsky, le robot entre dans la vie d'une chercheuse en linguistique antique en tant que prototype à évaluer pour un comité d'éthique. Programmé comme un compagnon idéal pour ces dames, Tom (l'acteur anglais Dan Stevens, au regard d'acier et à l'allemand impeccable) saura-t-il s'adapter à l'exigeante et solitaire Alma (Maren Eggert), pour laquelle un flirt avec un robot est hors de question? En découle ce que la production présente comme «une comédie mélancolique sur les questions de l'amour, de nos désirs les plus profonds et de ce qui constitue l'humain». Tout le contraire de Xavier Durringer, lequel a concocté avec deux co-scénaristes une comédie calibrée pour le prime time. Là, il est question d'un modèle déjà commercialisé de robot domestique, commandé par l'avocate débordée Florence (Valérie Karsenti) au grand dam de son mari Franck (Didier Bourdon), un acteur sous-employé. Bobby (Pierre-François Martin-Laval) saura-il se rendre indispensable à leur famille ou bien suscitera-t-il de nouvelles tensions?

Ressort de comédie cybernétique

Comme souvent, il suffit de voir comment les cinéastes nous invitent dans leur film pour saisir la différence. Côté allemand, on suit Alma qui entre dans un cabaret style Berlin années folles où elle est guidée par une hôtesse (Sandra Hüller, de Toni Erdmann) à la table d'un bel homme qui s'adresse à elle comme le parfait gigolo. Mais tout cela se révèlera n'être que la façade d'une nouvelle réalité légèrement futuriste (et nostalgique). A l'extérieur, Berlin n'a pas changé, pas plus que l'univers de la recherche/compétition scientifique. Et certainement pas les besoins de l'être humain, en l'occurrence une femme moderne, séparée d'un collègue et sans enfants. Une rationnaliste qui a choisi de se vouer entièrement à son travail. D'où un récit qui rappellera de loin la «screwball comedy» hollywoodienne d'autrefois (on pourrait imaginer Katharine Hepburn et Cary Grant), où Alma va d'abord rejeter puis accepter cet «homme idéal» qui l'insupporte mais qui, de son côté, s'humanise en adaptant ses algorithmes à la personnalité de sa propriétaire.

Dans L'Homme parfait, on fait d'abord connaissance avec une famille moyenne menant une existence bourgeoise quoique tendue dans une maison jamais clairement située. Puis le robot (un «Uman 3», meilleur gag du film) surgit comme de nulle part, livré dans un carton et ne se départira jamais d'une dégaine souriante façon Ken (de Barbie). Les enfants l'adoptent aussitôt et, affecté aux tâches domestiques, il soulage grandement Madame tandis que Monsieur grommelle dans son coin. Bientôt, le suspense se résumera à savoir si Monsieur finira ou non cocu, du fait de la découverte d'une fonction «love love» testée avec enthousiasme par une amie de Florence...

Autant l'Allemande Alma se meut dans un cadre varié, entre le Pergamon Museum (musée archéologique de Berlin) et un immeuble d'habitation forcément moderne, entre ville et campagne (où son vieux père est en train de perdre la tête), avec une échappée finale au Danemark de ses souvenirs d'enfance, autant le Français Franck (car c'est lui le vrai rôle principal) semble faire du surplace dans un cadre de sitcom dont ne le tirera même pas un voyage éclair au Maroc (pour le tournage d'une pub débile). Et au style d'une élégante clarté de Maria Schrader répond dès lors logiquement celui plus planplan d'une comédie télévisuelle de Xavier Durringer – il est vrai de retour de Phuket pour un désastreux Paradise Beach pas même parvenu sur nos écrans.

Deux horizons artistiques

Dans un cas comme dans l'autre, c'est le robot qui représente le seul véritable élément futuriste, source ou solution d'un certain trouble. Et dans les deux films, il faut avouer que la performance de l'acteur est si convaincante qu'elle nous amène à le considérer comme un engin, une chose, plutôt qu'un véritable être humain. Sa «perfection» faite d'humeur toujours égale et de compétence quasi universelle, avec une touche de séduction chez l'un et d'humour vachard (par imitation) chez l'autre, suscite une indécision bienvenue. Toutefois, autant le cas de Bobby sera vite réglé, l'engin réassigné à sa place après une vaine tentative de s'en débarrasser, autant celui de Tom restera problématique jusqu'au bout, du fait de sa capacité d'apprendre par lui-même et de la nouvelle complexité des rapports hommes-femmes.

On le voit, un scénario comme l'autre peut décevoir par les limites qu'il s'impose. Dans aucun on ne va jusqu'à imaginer des troubles existentiels chez les robots eux-mêmes, comme dans Blade Runner ou Ex Machina. Les précédents les plus pertinents ici sont plutôt The Stepford Wives, avec ses épouses de banlieue trop idéales, et surtout le méconnu Et la femme créa l'homme parfait (Making Mr. Right) de Susan Seidelman, dans lequel une scientifique frustrée se façonnait un compagnon robot. Chez Maria Schrader, l'héroïne l'accueille contre son gré avant de baisser la garde tout en devinant un risque de confusion, d'accoutumance, voire d'éloignement problématique de ses congénères humains. Chez Durringer, pas l'ombre d'un souci philosophique du moment qu'on lui coupe la zizette! Apparemment, le mari flemmard aura retenu la leçon.

Après ça, on ne s'étonnera plus guère que Ich bin dein Mensch (et non «Mann», mais qui devrait sortir sous son titre anglais de I'm Your Man!) ait été sélectionné en compétition au Festival de Berlin, remportant un prix d'interprétation unifié pour Maren Eggert, tandis que L'Homme idéal militera en multiplex avant d'atterrir sur le petit écran sans risquer de déranger personne. Entre la fable philosophique et la gaudriole, on imagine que chacun(e) aura vite fait son choix.


«Ich bin dein Mensch / I'm Your Man», de Maria Schrader (Allemagne, 2021), avec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller, Hans Löw, Jürgen Tarrach, Wolfgang Hübsch. 1h48

«L'Homme parfait», de Xavier Durringer (France, 2022), avec Didier Bourdon, Valérie Karsenti, Pierre-François Martin-Laval, Philippe Duquesne, Frédérique Bel, Bernard Le Coq. 1h26

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