Culture / Un roman de Manchette maladroitement adapté en BD
«Morgue Pleine», Cabanes et Manchette, Editions Dupuis, 103 pages.
Dans l’œuvre de Jean-Patrick Manchette (1942-1995), le chef de fil du néo polar français, Eugène Tarpon occupe une place particulière. Détective privé en proie à un certain mal de vivre, il peut être rattaché au Marlowe de Chandler. Morgue pleine est raconté à la première personne, c’est Tarpon le narrateur, mais un narrateur absent à lui-même. Il est le centre du récit, mais un centre vacant. Cela donne quelque chose de très particulier, tant du point de vue de la forme que de celui du fond. Manchette est un écrivain majeur qui a choisi un genre mineur pour s’exprimer: gloire à lui. L’adaptation en bande dessinée de Morgue pleine est décevante, malgré la présence de Doug Headline – le pseudo de Tristan Manchette, le fils de – au côté du dessinateur Max Cabanes. Le scénario est respecté, le texte aussi, mais la représentation graphique d’Eugène Tarpon est à côté de la plaque. Dans la BD, il ressemble à une sorte de Jean-Paul Belmondo habillé à la mode années 70 telle qu’on la montrait dans les magazines et les films, et il vit dans un décor lui aussi spectaculairement seventies. Comme troublés par l’inconsistance ontologique du personnage créé par Manchette, Max Cabanes et Doug Headline l’ont spectacularisé à outrance, espérant peut-être ainsi lui donner corps. Raté. C’est dans son inexistence que Tarpon trouve sa réalité, pas dans sa parodie. Voilà une des grandes différences entre les années 70 et l’époque actuelle.
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