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A vif

A vif / Les plus européens des entrepreneurs suisses


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Les banquiers se sont longtemps opposés à presque toute forme de rapprochement de la Suisse avec l'UE. Aujourd'hui, ils ont constamment de nouvelles raisons de le regretter.



Pendant des décennies, les banquiers suisses avaient deux phobies: le communisme (ils n'étaient pas seuls) et les ennemis du secret bancaire. Tous deux ont disparu (l'un bien après l'autre) non sans râles d'agonie parfois prolongés. Mais tous deux les ont amenés à démoniser une construction qui échappait à leur logique, la construction européenne. Aujourd'hui, ils ne regrettent qu'une chose: que la Suisse n'en soit pas plus proche. Peut-être pas politiquement (il ne faut rien exagérer), mais au moins au plan institutionnel – ça ne vous rappelle rien?

L'arc-boutage de la profession sur le secret bancaire l'avait amenée, au tout début des années 2000, à s'opposer à l'inclusion des services financiers dans les négociations bilatérales. En 2009, lorsque le verrou du secret bancaire a sauté et que l'Europe est apparue comme le nouvel eldorado, il était trop tard pour négocier. L'UE a certes dit: «pourquoi pas vous ouvrir notre marché, en fait?» avant de préciser, durement: «nous négocierons un accès des banques suisses au marché européen lorsque l'accord institutionnel entre l'UE et la Suisse sera négocié, signé, ratifié. Pas avant.» On connaît la suite: sept ans de négociations pour aboutir au rejet final par le Conseil fédéral, en mai dernier, du texte paraphé six mois plus tôt, débouchant sur l'actuelle glaciation des relations bilatérales.

Une situation inacceptable

Mais il y a pire: déjà victimes de leur refus de céder aux vents de l'Histoire, les banques suisses se font entraîner par une nouvelle bourrasque, qui ne leur est pourtant pas adressée mais qui pourrait, à nouveau, leur coûter fort cher. Dans la guéguerre que se livrent par-dessus la Manche l'UE et le Royaume-Uni, Bruxelles a décidé de cesser de rendre la vie facile aux banques britanniques. Exclues du grand marché communautaire en raison du Brexit, elles ont conservé des accès à quelques pays du fait de la conclusion d'accord bilatéraux entre Londres et quelques capitales européennes. Luxembourg est la première concernée. Tant du point de vue britannique que du Grand-Duché, la situation semble gagnante: la City peut vendre ses fonds et autres produits financiers depuis ce petit pays, lequel renforce sa position de mini-capitale financière européenne entre ces poids lourds que sont Francfort, Amsterdam, Milan et Paris.

Le problème de cette situation, du point de vue de Bruxelles, est qu'elle crée des distorsions de concurrence: une banque peut agir de Luxembourg mais pas de la métropole allemande ni de la capitale française, par exemple. Ces dernières y perdent un avantage concurrentiel, et donc des opportunités d'affaires et des emplois. Ce n'est donc pas acceptable.

Londres ne vaut pas Bruxelles

Or, les banques suisses emploient exactement le même moyen pour écouler leurs propres fonds dans l'UE sans devoir entretenir une coûteuse présence dans chaque pays. La Suisse a en effet conclu un accord bilatéral d'accès au marché avec l'Allemagne, qui permet de contourner certaines dispositions communautaires les privant de l'accès au marché si elles ne sont pas physiquement présentes sur le territoire de l'UE. Si la Commission européenne met fin au régime des autorisations bilatérales, les banques britanniques seront bien embêtées. Mais les banques suisse aussi.

Leurs dirigeants respectifs peuvent bien entendu se réjouir du rapprochement des deux pays depuis que le Brexit est acté: il n'y a plus de «guerre des bourses» entre Berne et Londres, contrairement à celle que Bruxelles mène à la Suisse. L'«équivalence boursière», a été rétablie entre les deux pays, permettant de traiter dans un pays les actions de sociétés établies dans l'autre, et vice-versa. Pour la Suisse, huitième économie européenne, resserrer les liens avec la première place boursière du continent, ça fait toujours du bien.

Prises d'otages

Mais cela ne compense pas l'empilement d'obstacles administratifs pour accéder au reste du marché européen. Or, l'UE dans son ensemble pèse bien plus lourd dans la balance économique que le Royaume-Uni, tout «global» soit-il! La différence est de un à cinq, sans compter que la proximité géographique des principaux partenaires commerciaux et financiers de la Suisse, l'Allemagne et l'Italie, accroît encore l'importance du bloc au drapeau étoilé bleu et jaune.

Pendant des décennies, les banquiers suisses ont pris les riches et puissants du monde en otage du fait de leur connaissance intime de leurs petits et grands secrets. Aujourd'hui, ce sont eux qui se trouvent dans la position délicate de l'otage, ballotés d'une négociation à l'autre sur laquelle ils ont de moins en moins de prise. A tel point que leur ferveur européenne ne soit pas une traduction du syndrome de Stockholm, celle qui voit la victime adhérer aux valeurs de son bourreau.

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