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Média indocile – nouvelle formule

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Actuel / Sites de rencontre: quand l’arnaque épouse l’intox

Anna Lietti

20 juin 2017

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Un petit coup sans engagement? Les femmes qui le cherchent sont plus rares que les hommes qui les fantasment. Les sites de rencontres érotiques surfent sur ce décalage jusqu’à l’arnaque. Mais The Casual Lounge fait particulièrement fort, avec une com' globale omniprésente sur les sites d’information. Et un système de facturation voyou. Malaise dans les rédactions.



Le saviez-vous? Les femmes suisses sont des bêtes de sexe. Le pays du chocolat, sous ses dehors proprets, est en réalité peuplé de ménagères en chaleur qui rêvent de se faire prendre en levrette la tête dans le four. De mères célibataires secrètement délurées, de cougars qui se battent pour mettre la main sur les trop rares «toy boys» à disposition. D’étudiantes vicieuses qui mijotent des plans cul à trois. Oui, la Suisse est le paradis des baiseurs occasionnels et les escorts girls ont le stiletto en berne: depuis l’arrivée du site de rencontres érotiques The Casual Lounge, les chaudes lapines catégorie amateur ont siphonné la mâle clientèle.

Voilà ce qu’on peut lire sur nombre de médias en ligne romands (20 minutes, le Matin, la Tribune de Genève, 24 heures) et alémaniques (Blick, Tages-Anzeiger, Berner Zeitung, etc). Les photos sont explosives, les articles rédigés avec un savoir-faire journalistique certain: un vrai phénomène de société, ce Casual Lounge, dûment étayé par les études et témoignages de rigueur. Bon, il y a bien, en haut à gauche et en petit, l’indication «Publireportage», ou, le plus souvent, «Paid post». Une fois qu’on a cliqué (comptabilisé, le clic), on peut lire que le «Paid Post» est un contenu publicitaire fourni par le client. Une pub, pour parler ringard. Mais sortie des emplacements réservés pour se confondre avec les articles d’information, entre un papier sur Trump et un autre sur la RIE III. Nous sommes à la pointe de la «com'» intégrée. Journalistes au chômage, votre avenir est tout tracé.

«Arnaque totale!»

Casual Lounge, c’est gratuit pour les femmes. Alors j’ai ouvert un compte, pour voir. A l’inscription, j’ai dû préciser si j’étais adepte du latex, du sexe anal, d’un simple flirt, et ainsi de suite.

A l'inscription, j'ai coché des catégories soft. © DR

Je l’ai jouée soft: jolie quadra «en quête de surprises». Un sexagénaire m’a répondu du tac au tac: «La véritable surprise serait que vous ne soyez pas un robot.» De son côté, un ami à moi a souscrit un abonnement à l’essai: un mois pour 39 francs. Quelques jours plus tard, il voyait sa carte de crédit débitée du montant d’un abonnement annuel: 485.45. Et pas une fois, mais deux le même jour!



Bienvenue dans le monde réel de The Casual Lounge. Les utilisateurs du site se lâchent sur www.datingwebsites.fr: «Arnaque totale!», disent les plus polis. «Le meilleur site pour se faire enculer», les plus énervés. Première plainte: ces messieurs ont payé cher pour n’obtenir que des messages bidon émis par des chaudes lapines de synthèse. Ben oui. Dans la vraie vie, les ménagères en chaleur sont rares et les hommes qui les fantasment, nombreux. Le «business model», c’est de surfer sur ce décalage. Jusque-là, The Casual Lounge, créature de la société munichoise iMedia, ne fait pas pire que les autres plateformes de rencontres érotiques. Sur datingwebsites, les autres acteurs de ce juteux marché recueillent des appréciations tout aussi rageuses: C-date («Grosse arnaque! Que des faux profils...»), Be 2 («Une honte, fuyez!») eDates  («J’ai bien envie d’aller plus loin avec une association de consommateurs pour que plus personne ne se fasse prendre par ces connards»).

Mais le site allemand se distingue par sa voyouterie lorsqu’il s’agit de siphonner votre carte de crédit: il vante le prix d’un abonnement mensuel, mais facture d’emblée les douze mois de l’année. Reconduits automatiquement, bien sûr. Puis, multiplie les pièges et les obstacles pour celui qui veut se désabonner, comme le confirme une enquête de la Fédération romande des consommateurs.

Cette dernière n’est pas seule à avoir enregistré des plaintes: des lecteurs furibards ont aussi interpellé 20 minutes. Qui, le 15 février dernier, publiait en «une» une enquête en forme de mise en garde contre les méthodes douteuses de son propre annonceur. «Avec l’approbation de la direction», précise le rédacteur en chef romand du titre. Philippe Favre ne cache pas son malaise: «The Casual Lounge joue sur le fait que des gogos se laissent piéger puis n’osent pas porter plainte pour ne pas avouer leur petit secret. Ce sont des méthodes de voyous. Légalement, nous ne sommes pas concernés. Moralement, en revanche… je ne vous cache pas que ça a beaucoup discuté au sein de la rédaction.» En principe, les «Paid Post» sont en effet soumis à l’approbation des rédactions. Mais au final, «c’est la direction qui tranche». Et «les temps sont durs: les journaux sont contraints d’accepter toutes sortes de nouvelles formes de publicité. Celle-ci en fait partie.»

Il faut cliquer sur le faux article pour savoir ce qu'est un Paid Post © DR

Contrats ou arrangements?

Bon, mais au moins, ça rapporte? Un bon paquet, en principe. Mais en réalité? Une semaine de «Paid Post» sur le seul site de 20 Minutes (national) coûte 34'000 francs, selon les tarifs affichés par son éditeur Tamedia. Or, les annonces de The Casual Lounge sont omniprésentes, 365 jours par an, depuis 2015, sur tous les sites d’information de l’éditeur en Suisse romande et une semaine sur trois sur ses sites alémaniques. «La facture serait astronomique, commente une professionnelle du secteur: je ne peux pas croire qu’il s’agisse d’un contrat publicitaire. Plutôt d’un arrangement: tu m’amènes des clics, et je te fais de la place gratuitement. C’est une pratique fréquente, notamment avec les sites de rencontre.»

«Ah non, pas d’arrangement, proteste Philippe Favre! Cet annonceur bénéficie peut-être de rabais de quantité, mais il paie!» En réalité, le rédacteur en chef ne fait que l’espérer, car l’affaire n’est pas de son ressort mais de celui du service commercial. Lequel refuse de lever le doute: par la voie de son porte-parole, Tamedia nous fait savoir qu’il ne livre aucun détail sur la nature du contrat. Il ajoute que l’éditeur traite directement avec iMedia Münich. Difficile de faire autrement: la société avait une filière suisse, mais elle est en liquidation.

Intox globale

La machine de guerre The Casual Lounge compte un élément supplémentaire: le portail guide-sites-de-rencontres.ch, soit-disant indépendant, qui attribue au site allemand quatre étoiles sur cinq (le pompon revient à C-date): «La plupart des sites de rencontre n’affichent que de belles façades, y lit-on. Mais nous avons déniché quelques perles rares…» Plus c’est gros, plus ça passe, on dirait.

Les sites de comparaison bidon, c’est donc l’arnaque dans l’arnaque. Guide-sides-de-rencontres.ch va jusqu’à fournir une étude annuelle intitulée «Le marché suisse de la rencontre en ligne», destinée aux professionnels des médias. On y apprend que le marché en Suisse est plus florissant qu’ailleurs: 40,8 millions de chiffre d’affaires en 2016, soit une croissance de 3,8% en une année. Que les sites de rencontre «sans engagement» sont encore plus juteux ici qu’en Allemagne ou en Autriche. Et que The Casual Lounge, lancé en 2015, est bien placé pour voler le rôle de leader à C-date: avis aux professionnels du clic. Les journalistes, eux, sont invités à détourner le regard.





VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@vladm 08.07.2018 | 13h47

«Quelle honte pour Tamédia - et bien sûr pour les sites arnaqueurs cités. Quant on met ceci en relation avec la liquidation du Matin, de l'absence de discussion avec les syndicats, le peu d'illusions que l'on pouvait avoir sur la moralité des dirigeants s'envole.
Et pour être concret, vivement que notre législation soit mise à jour et que les plaintes collectives soient possibles. En effet déposer plainte pour récupérer 500,- pour le gogo grugé est peu vraisemblable.»


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