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Culture / Portrait d’Arthur Cravan en grand amoureux

Yves Tenret

18 mars 2021

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Voilà pour la première fois réunies les correspondances passionnées qu’Arthur Cravan envoya à deux de ses grands amours, Sophie Treadwell et Mina Loy. «Arthur Cravan. La terreur des fauves» contient également une revue de presse qui témoigne de la réception, à l’époque, de ses diverses exhibitions et publications poétiques, ainsi que de nombreux autres éléments biographiques et analytiques, ainsi qu’une de ses œuvre, le Prosopoème, et une intéressante postface d’Annie Le Brun.



Né à Lausanne en 1887, Arthur Cravan est revendiqué comme précurseur aussi bien par André Breton, le fondateur du surréalisme qui le qualifie de génie à l’état brut, que par Guy Debord, le fondateur de l’Internationale situationniste, qui y voyait un exemple de l’aventurier parfait, c’est-à-dire non pas celui à qui il arrive des aventures mais celui qui les provoque. 

Ce provocateur né, inventeur du happening improvisé et de la performance artistique sous toutes ses formes, neveu d’Oscar Wilde, fut une comète qui traversa le ciel de l’art  moderne entre 1910 et 1918, année où il disparut en mer, au large de Salina Cruz (Mexique), à l’âge de 31 ans.

C’était un homme de forts contrastes, qui a exercé une foultitude de métiers, comme chauffeur, barman ou charmeur de serpents, tout en parcourant le monde, de l’Angleterre à l’Australie en passant par les Etats-Unis, tout à la fois boxeur et dandy, mesurant 1,95 m, pour 104 kilos et 129 cm de tour de poitrine. Il obtient ses premiers articles dans la presse en 1910, mais il s’agit de la presse sportive où il apparaît en tant que boxeur, après avoir battu par forfait un certain Pecqueniaux qui ne s'est pas présenté au combat, ce qui fera de Cravan le champion de France des boxeurs mi-lourds!

Un voyageur

En 1915, Arthur Cravan quitte la France en guerre, muni de faux passeports, avant de trouver refuge à Barcelone en 1916, où il renoue avec la boxe en organisant un combat le 26 avril avec le champion du monde des poids lourds, Jack Johnson, qui le met KO. Le 26 juin suivant, un autre combat a lieu contre le français Franck Hoche, mais ne dure qu'un round: Cravan s'est présenté saoul et a été déclaré forfait.

En 1917, il est invité à New York par Francis Picabia et Marcel Duchamp, fameux artistes français qui y vivent en exil, pour donner une conférence sur les artistes indépendants en France. Il arrive totalement ivre,  tape du poing sur la table et commence à se dévêtir. Il est immédiatement menotté et entraîné hors de la salle par des policiers. Le lendemain, un journaliste new-yorkais écrit: «Monsieur Cravan était vraiment un peu fou, mais il était aussi sans doute indépendant. Or, le sujet de la conférence n'était-il pas l'indépendance des artistes?»

Un artiste

Arthur Cravan ne voulait pas mettre l’art avant la vie uniquement théoriquement, il l’a fait réellement, un ici et Maintenant, nom de la revue qu’il réalisa entièrement seul, y publiant des poésies et des attaques contre les vedettes de l’art du moment et qu’il vendit pendant cinq ans à la criée dans la rue.

Par ailleurs, il pique des maitresses à Marcel Duchamp et annonce son suicide en direct comme le feront des décennies plus tard les punk du groupe Bazooka. Muni de plusieurs nationalités et de plusieurs passeports, il déserte de toutes les nations, rudoie André Gide, brutalise Delaunay et Marie Laurencin, ne tient pas en place et disparaît en mer.

Un amoureux

Grand amoureux, ainsi que le souligne Annie Lebrun, sa correspondance nous révèle qu’il eut de fortes passions avec trois femmes remarquables.

Il doit son pseudonyme de Cravan à sa première compagne, Renée Bouchet qui était originaire de Cravans.

La seconde, Sophie Treadwell, journaliste américaine féministe et revendiquant sa liberté sexuelle, se rendra au Mexique pour couvrir la révolution. Elle y fut la seule correspondante étrangère à interviewer Pancho Villa. Ensuite, elle sera envoyée par son journal en Europe pour couvrir les débuts de la deuxième guerre mondiale, en y étant la aussi la seule femme de l’époque accréditée par le département d’Etat. Leur liaison sera essentiellement épistolaire car elle partira en voyage peu de temps après leur rencontre. Devenue une dramaturge à succès, contrairement à Mina Loy, elle n’évoquera par la suite la mémoire d’Arthur Cravan dans un aucun de ses écrits.

La troisième est une jeune anglaise à la coupe garçonne, Mina Loy, installée à Paris au début du siècle, y fréquentant des peintres et des poètes de l’avant-garde d’alors tels Picasso, Picabia, ou Apollinaire. Tout à la fois écrivaine et peintre, mère de deux enfants, désireuse d’échapper au train-train de la vie conjugale, elle confie son fils à son père et part à Florence avec sa fille qu’elle place chez une nourrice. Elle y devient l’égérie des futuristes italiens. Elle rejoint ensuite New-York et ses avant-gardes, devient la maitresse de Duchamp puis celle d’Arthur Cravan. Après une brève séparation, elle le rejoint au Mexique et écrit magnifiquement que là-bas, ils découvrirent ensemble le secret de la source enchantée, une inépuisable capacité à créer du merveilleux et à s’émerveiller du monde tel qu’il est.

En 1928, dix ans après la disparition de Cravan, à la question de savoir quels furent pour elle les moments les plus heureux et les pires de sa vie, elle a cette réponse bouleversante: «Les plus heureux, tous ceux que j’ai passés avec Cravan, et les pires, tous les autres.»

De retour à Paris, elle y devient l’agente artistique de Braque, de Chirico, de Giacometti et de Max Ernst, ainsi que l’amie de Sylvia Beach, l’éditrice de James Joyce. Elle y vivra en couple avec la romancière Djuna Barnes.

«Des hymnes à la nuit aussi profonds et suaves que ceux de Novalis»

Ce qui apparaît également dans la correspondance, c’est qu’Arthur Cravan se pense comme étant unique et qu’il est prêt à absolument tout tenter pour le démontrer.

Sa mère reproche d’ailleurs à sa première compagne d’encourager sa folie des grandeurs et son incommensurable vanité. Tandis que Cendrars juge par contre que les lettres qu’il a adressées à cette épouse sont «extraordinaires d’émotion et de poésie intense et contenue, des hymnes à la nuit aussi profonds et suaves que ceux de Novalis et des illuminations aussi prophétiques et rebelles et désespérées et amères que celles de Rimbaud.»

Arthur Cravan. La terreur des fauves donne un aperçu très complet et très attachant de l’itinéraire et des passions de ce maillon indispensable à la compréhension des avant-gardes occidentales du siècle passé.


Rémy Ricordeau, Arthur Cravan. La terreur des fauves. 40 photographies et documents. Postface d’Annie Le Brun. L’Échappée, 176 p.

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