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Actuel / Le sexe du sexisme


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Dans ce texte polémique, le sociologue et écrivain valaisan Gabriel Bender s’insurge contre un article d’Antoine Menusier – notamment collaborateur de «Bon pour la tête» – paru dans le magazine français «Marianne» et titré «Révolution féministe intersectionnelle en cours à la télé suisse».



Nous publions ce texte car, au-delà de la critique de l’article de notre confrère et ami Antoine Menusier, il exprime un point de vue intéressant dans le cadre du débat actuel sur les rapports de pouvoir entre hommes et femmes.

Dans le texte d’origine, Gabriel Bender appelle Antoine Menusier «Albert Murisier»: «J’ai mis un peu Albert en souvenir des reportages d’Albert Londres sur les champs de bataille et beaucoup Murisier pour la volée de bois vert», explique le sociologue, qui tient à ce que cela soit signalé. Dans la version publiée sur notre site, nous avons rétabli le vrai nom du journaliste, estimant qu’il est préférable de donner le nom exact des personnes mises en cause.


Par Gabriel Bender


Antoine Menusier signe un article dans Marianne qui reproduit à la caricature le texte publié par deux ex-journaliste de la RTS dans le Temps. Que s'y passe-t-il?

Menusier répond: «Des révélations ont provoqué une déflagration. Des femmes de l'entreprise veulent mener une révolution… quitte à cliver l'équipe.» Ce n’est pas la gravité des faits, ce n’est pas la lumière qui force à choisir le camp des machos ou de celles et ceux qui luttent contre la domination masculine. Vous avez mal suivi. La révélation crée le grabuge. Comme dans les cas d’inceste. Tant que personne ne parle, la famille est unie. La déflagration, au contraire, fait tomber les masques et oblige chacun à se ranger du côté du salaud ou de la victime. C'est très clivant, en effet.

De quoi cette déflagration est-elle le nom?, questionne le journaliste qui pense qu’on peut conduire une révolution sans cliver: «Chute d’un pouvoir autoritaire? Ou commencement d’un autre? Saine et brutale catharsis?»

Le monsieur s'intéresse aux effets et passe comme chat sur braise sur «des faits présumés de harcèlement moral et sexuel survenus ces quinze dernières années». Le journaliste raconte l'histoire d’un journaliste qui a déposé plainte contre des journalistes. Bref, une affaire de journalistes, chantait Brassens… Il ne pipe pas un mot sur deux cadres de la TSR qui ont été suspendus suite à de graves accusations qui semblent relever du pénal. Pas une allusion non-plus sur les complicités au plus haut niveau qui ont permis à ces cadres déviants d’être déplacés ou promus alors qu’on encourageait les victimes féminines à trouver ailleurs de quoi vivre.

Le journaliste s'intéresse beaucoup à la fumée mais peu à la composition de l'explosif.

Il doit pourtant y avoir une problématique, concède Menusier: «C’est que les témoignages relatifs à la souffrance au travail (harcèlement, vexations, frustrations, etc.) ont été nombreux: 230. C’est beaucoup, rapporté à l’effectif total de 1 500 employés.»

Deux cent trente situations. Presque une femme sur trois. C’est la preuve d’un système. La ligue du LOL au cube. Malheureusement, Menusier n’en a trouvé aucune. Il a rencontré une femme qui aurait été encouragée à déposer un faux témoignage. Accusation grave qui permet à Menusier d’imaginer que tous les témoignages sont bidons…

A ce niveau de l'article, le lecteur s’interroge. Avec quels moyens ont-elles réussi à solliciter autant de témoignages?

Pourquoi ces folles veulent la tête du responsable des RH?

Antoine Menusier ne pose pas la question mais met «patriarcat» entre guillemets, des fois qu’on pourrait penser qu'il ait une sympathie pour le vocable. Plus loin, il explique que les hommes sont comme des lapins pris dans les phares d'une voiture. Ils couratent dans les couloirs de la RTS, l'air hébété, décontenancé par l’offensive.

Les femmes sont au volant de panzer; projecteur et sirènes allumées. Un collectif est à la manœuvre.

C’est la guerre: «A un échelon plus élevé, une sorte de comité central réuni en un groupe Whatsapp constitué d’une centaine de femmes, comptant des "alliés" chez les hommes, avance ses pions.»

Les pions sont manœuvrés par cent femmes d'un comité bidon à la recherche de témoignage creux. Cent soldates pour des événements qui n’ont pas eu lieu, cela semble effectivement beaucoup.

Le pire est à venir.

Ce groupe féminin veut établir un fonctionnement horizontal dans la grande tradition libertaire: «un peu à la manière de Nuit debout, en plus efficace». Les cent femmes n’ont pas élu de centurion pour les représenter; elles s’organisent en un collectif autogéré. Tout le pouvoir aux soviets. Y a rien à dire, la révolution est criminelle.

Résumons.

Le grand reporter n’a trouvé aucune femme à interviewer parmi la centaine de guérilleros en jupon au volant de panzer lance-missiles dont les yeux brillent à l’évocation des combats féministes et tétanisent les lapins.

Drôle de reporter. Drôle de guerre.

Après, Antoine Menusier s'égare dans l’anecdotique langage inclusif, alignant des banalités, une évidence et trois poncifs. Il oublie de dire que le parlement fédéral a décidé à la session d’automne 1992 d’appliquer à la langue allemande la solution dite «créative» (combinaison de doublets, de termes neutres ou de formulation nouvelles). A propos de langage inclusif, les médias suisses ont juste trente ans de retard sur le parlement national et douze ans de retard sur l'administration vaudoise. C'est dire si la révolution est tranquille. Le point médian est donc un leurre pour fuir le terrain des opérations. Le langage épicène en usage depuis trente ans sert de contre feu.

Alors, Menusier retrouve des copains à la buvette.

Le premier lui démontre qu’il n’y a jamais eu que de la malice. Le second explique que les machos sont taquins, ils ont parfois la main baladeuse et le verbe lourd, sans plus.

Le reporter pousse l'audace.

Il ose interroger une femme cadre… C'est un héros. Mais caramba! Pas de chance, elle appartient à la mauvaise génération.

Car le combat féministe, vieux de trois siècles, est un simple problème d'âge. Les jeunettes contre les vieux bougres. La souplesse contre la sclérose. Voilà la découverte. La jeunesse des années 2000 veut organiser les funérailles de la génération de 68. Il est vrai que les femmes de plus de 60 ans aiment se faire harceler, humilier, moquer, contrairement aux jeunettes qui sont chastes et prudes et n’apprécient pas trop la domination masculine.

L'énoncé est grotesque à pleurer.

Nous arrivons enfin au cœur de la démonstration. Le renversement classique de tous les enfumeurs. Ce n’est pas gentil de dire du mal: «Le changement de doxa, sur le genre, la sexualité, la hiérarchie, est violent pour l’ancienne génération, qui vit cela comme une contrainte, quand la jeunesse, elle, y voit une liberté.»

Le pervers souffre d'être montré du doigt. Tout est si joliment dit.

Menusier recherche de la testostérone en mal de contrition. Il trouve confirmation auprès de deux mâles blessés d’avoir quitté les projos pour les lampes à bronzer. Il ramène à la lumière des plateaux ces ex-beaux qui ont tant à dire sur l’idéologie des «gardes rouges» féministes. On a la douloureuse impression de revivre la scène de Jean-François Kahn, le fondateur de Marianne, volant au secours de Strauss-Kahn «montré du doigt pour une vulgaire affaire de troussage de domestique.»

Attention!

Ce n’est pas l’avis de Monsieur Menusier. Lui est neutre.

Lui n’a pas d’opinion.

Lui mène l'enquête sur une opération militaire conduite selon les principes de l’armée rouge dans un territoire dévasté: les femmes en furie ont tout cassé.

A quatre lignes du point final, le journaliste rencontre enfin une militante. La sorcière retire sa tenue de combat pour se moquer des gesticulations des zigotos sorti de leur transat doré pour expliquer sur un ton paternaliste ce que les femmes peuvent ou ne peuvent pas dire et faire.

La démonstration ne pouvait être plus éloquente.

Le duc et le vicomte tentent de sauver les apparences et les privilèges.

Au final, Antoine Menusier avoue qu’il ne sait pas trop ce que le terme féministe recouvre. Personne durant ces derniers mois ne lui a parlé de la cause: égalité de salaire, égalité des chances, fin de la culture du viol, fin du machiste et du paternaliste.

Le 14 juin en Suisse, il ne s’est rien passé. Le plus grand mouvement social du siècle était juste un défilé sans contenu.

Je ne sais pas si le combat féministe est gagné. Les machos eux ont déjà perdu les pédales.

D’un autre côté, les journalistes des médias privés tirent toutes leurs cartouches contre le magnifique mouvement collectif des femmes. Ils visent la lune mais se pissent sur les chaussures.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Elizabeth 06.03.2021 | 19h02

«C'est la première fois que je suis déçue, très déçue, par un article de M. Bender. Celui de M. Menuisier, que je viens de lire, me semble au contraire plein de bon sens. Féministe depuis toujours, je me sens extrêmement heurtée voire insultée par les anathèmes et les diktats de ce Collectif de femmes (anonymes) qui semble faire la loi depuis quelque temps à la RTS. Et je regrette que d'autres médias leur emboîtent le pas, histoire de bien éduquer leurs lecteurs, ou plutôt de rééduquer ceux et celles (j'en fais partie) qui en auraient besoin. »


@Lore 07.03.2021 | 10h25

«Merci pour cet article qui reflète mon incompréhension de la pauvreté de l’analyse de M. Menuisier. Les « extrémistes » en tout genre nuiront toujours à la prise de conscience d’un changement nécessaire dans les relations entre êtres humains. Les sentiments de culpabilité et d’injustice au niveau personnel ne doit pas faire écran à une réalité qui a trop duré. On peut s’inquiéter des effets de l’extrémisme sans perdre de vue le sens du combat à mener.»


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