Vos lettres / Mes vœux pour 2021: que la critique des media suisses ne soit pas systématiquement liée à la défense de régimes néo-autoritaires
Il y a environ quinze ans, j’ai commencé à douter de la qualité et de l’objectivité de l’information qui passait à la télévision. J’ai eu le sentiment que l’impact de l’image, comme le ton des journalistes, ou encore les choix rédactionnels, cherchaient de plus en plus à jouer avec mes émotions et faisaient de moins en moins appel à ma raison; et cela m’a dérangé. Alors j’ai cessé de la visionner. J’ai conservé la lecture de quelques journaux et l’écoute de la radio, principalement Le Temps et la RTS.
Et puis depuis le début de la crise sanitaire, à la lecture des rédacteurs de ces media se félicitant de bien reporter les événements (par «bien», entendez de manière objective et impartiale) alors que de mon côté je trouvais l’information incomplète et truffée de généralités, j’ai encore plus douté de leur objectivité.
Mais j’ai continué de les lire et de les écouter car il faut bien s’informer au mieux ─ ou au moins mauvais. Et n’étant pas de nature conspirationniste, j’avais l’espoir de rencontrer un jour dans ces media dits «du courant dominant», des personnes telles que je m’imagine moi-même me comporter dans la société: raisonnables, créatives, rebelles s’il le faut, voire irrévérencieuses, généreuses… En entendant M. Pilet un soir sur Forum, je me suis dit: «Ah! c’est ici que ça se passe» et j’ai immédiatement souscrit un abonnement de soutient.
Je me suis mis à lire les divers articles et j’ai découvert ceux d’un journaliste se présentant comme indépendant, Guy Mettan. Je savais M. Mettan ami du pouvoir d’un pays, la Russie, qui entretien avec la démocratie des relations à mon sens peu amènes; je le savais journaliste; je savais qu’il avait opté pour la nationalité russe ─ tout en conservant la nationalité suisse. J’avoue que j’espérais trouver sur Bon Pour La Tête des personnes réellement indépendantes plutôt que décorées par le président de ce même pays, président dont je tairai le nom, comme ce celui-ci ne prononce jamais le nom de ses opposants, par exemple celui d’Alexeï Navalny.
J’ai lu dans un article de M. Mettan (le lire ici) ses critiques à propos des media officiels de notre pays. Pourtant, dans le pays dont il a choisi librement d’être le citoyen, des journalistes sont assassinés sans que les enquêtes aboutissent (lire à ce propos).
Est-ce au nom de la liberté d’expression que sur BPLT la place est ouverte à ceux qui savent la prendre, même s’ils l’utilisent pour cautionner les régimes qui cherchent à abolir cette même liberté?
Je suis mal à l’aise de constater qu’un homme qui soutient des régimes autoritaires puisse critiquer la presse de mon pays. Je partage de nombreux points de son papier (voir le premier lien). En revanche, je ne parviens pas à le faire mien car son auteur est le défenseur de gouvernements qui veulent la fin de notre droit à la liberté d’expression (Russie, Chine). Par analogie, je soutiens les critiques sur les affaires scandaleuses relatives à la pédophilie au Vatican, mais pas si elles viennent de sympathisants de l’État Islamique.
Personnellement, je veux continuer de croire qu’il est possible de se questionner sur les mesures liberticides qui sont en train de se mettre en place dans notre pays, de les critiquer et de les dénoncer, sans pour autant faire de la publicité pour des gouvernements dont l’intolérance et le mépris vis-à-vis des êtres humains n’ont d’égal que le manque de lucidité de celles et ceux qui en font l’apologie tout en nous incitant à croire que c’est nous qui ne les comprenons pas. Tant que je ferai preuve de discernement.
Pierre-Antoine Bourquin
La réponse de Guy Mettan
Cher Monsieur,
Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écrire une longue lettre à BPLT pour exprimer votre avis et vos questionnements quant à mon prétendu soutien aux régimes qui voudraient «abolir» les libertés. Il ne me semble pas avoir écrit d’article sur la Russie dans BPLT. Mais qu’importe. Je suis d’autant plus sensible à vos arguments que je considère que la liberté d’expression doit d’abord servir à exprimer des avis divergents plutôt qu’à répercuter les opinions qu’on voit partout et à privilégier les faits qui confortent nos préjugés plutôt que ceux qui les invalident.
Depuis 40 ans que j’écris dans la presse romande, vous ne trouverez aucun article qui aurait fait l’apologie d’une dictature ou d’un régime autoritaire. Jamais. En revanche, j’essaie de mettre en pratique ce sens de l’impartialité que vous estimez et il peut m’arriver, dans cette recherche, de mettre en lumière les préjugés et les clichés qui sont volontiers répandus en Occident contre les gouvernements jugés hostiles. Pour avoir été moi-même opéré à Cuba, j’ai par exemple pu constater que la médecine dans ce pays est très performante. C’est un fait, qu’on le veuille ou pas. Quant à la Chine, je suis prêt à ce qu’on lui attribue toutes sortes de défauts, mais sur des faits et non sur des préjugés. A mes yeux, ce pays a réalisé d’immenses progrès en ce qui concerne les droits de l’homme matériels (aussi importants que les autres) en matière de droit au logement, à l’éducation, à la santé, à l’alimentation, etc., en sortant de la misère des centaines de millions de gens. Mais il n’a pas fait de progrès, ou très peu, en matière de droits politiques et individuels. Dont acte.
Quant à la Russie, il se trouve que ma famille a pu obtenir le passeport russe suite à l’adoption de notre fille Oxana en 1994, grâce à une décision qui n’a rien à voir avec le président Poutine puisqu’elle a été prise par le président Yeltsine. Cette familiarité et cette connaissance de ce pays, peut-être plus étroites que celle de beaucoup de Suisses, m’ont permis de voir les choses avec davantage de nuances que la propagande habituellement déversée par de nombreux médias occidentaux trop pressés. Vous avez raison de dire que la Russie n’est pas une démocratie à la suisse et qu’elle a encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. Mais elle n’a rien à voir avec une dictature de type pinochetiste ou saoudien. Sinon comment expliquer qu’un opposant comme Navalny puisse diffuser ses vidéos en permanence, et même du commissariat où il est interrogé? A-t-on vu des Gilets Jaunes arrêtés envoyer des vidéos depuis les commissariats français en 2019? Connaissez-vous des «dictatures» qui permettent à leurs opposants d’agir ainsi? Pourquoi reprocher à la justice russe d’incarcérer Navalny pendant un mois pour lui avoir désobéi et se taire quand la justice britannique condamne Assange dans une prison de haute sécurité pendant deux ans sans voir sa famille pour le même motif? Pourquoi Edward Snowden, qui a révélé au monde l’étendue de la surveillance de la NSA sur nos vies en application du 1er amendement de la Constitution américaine, préfère-t-il rester en Russie? Je note par ailleurs qu’on ne voit pas de flots d’émigrés russes fuyant leur pays alors qu’ils auraient tout loisir de le faire s’ils pensaient vivre dans une dictature puisqu’ils voyagent librement partout. Même Navalny y est retourné alors qu’il est censé craindre pour sa vie à ce qu’on nous martèle depuis six mois… Snowden ne peut pas le faire et Kashoggi, qui voulait quant à lui rentrer dans son pays, a fini découpé en petits morceaux en faisant les gros titres pendant trois jours et pas un de plus. Et le pays qui l’a tué n’a subi aucune sanction économique et plus aucune critique depuis lors.
Il y a évidemment encore beaucoup à dire sur la Russie et tout le reste et suis prêt à poursuivre le débat avec vous de vive voix si vous le souhaitez.
Avec mes cordiales salutations.
Guy Mettan
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Christ 24.03.2023 | 09h44
«Le problème, c'est que Navalny, seul cas que vous citez , est devenu un agent au service involontaire de la stratégie de communication du Kremlin. Combien de milliers opposants au régime croupissent dans les géôles russes?
Vous ne pouvez pas comparer les démocraties occidentales qui ne sont pas des oies blanches avec la répression terrifiante qui règne à Moscou:»