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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Pluie de dollars sur la médecine connectée

Marie Céhère

17 décembre 2020

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La santé est la seule branche de l’économie à n’avoir pas fait sa révolution digitale. C’est le McKinsey Global Institute qui le dit. Aux États-Unis, le fossé entre la santé d’un côté et de l’autre le reste de l’économie, depuis les courses en épicerie jusqu’à l’hôtellerie, à la finance et aux réservations de vols, ne s’est pas comblé en vingt ans. 70% des hôpitaux américains (et nombre d’hôpitaux suisses, comme on a pu s’en apercevoir) continuent de communiquer par courrier postal et fax les compte-rendus aux patients et entre confrères. Une catastrophe, si une situation d’urgence sanitaire mondiale se déclarait... Et elle s’est déclarée.



Cité par The Economist mais discret, le directeur d’un grand hôpital de Madrid déplore qu’aucun partage de données électroniques instantané sur la situation sanitaire, les contaminations, les chiffres des patients en réanimation, n’ait été possible entre les régions autonomes espagnoles, et que cela a grandement contribué à accélérer l’épidémie sur le territoire. 

En France, pourtant un Etat centralisé, les données relatives à l’épidémie (en l’occurence) sont collectées et gérées par les Agences Régionales de Santé (ARS), des unités indépendantes qui agissent à l’échelon régional et ne communiquent pas forcément entre elles. Les remontées des données concernant les décès de pensionnaires des EHPAD (EMS) par exemple, ont longtemps posé problème dans le décompte national des victimes.

Il a fallu le chaos, la panique et l’urgence de ce printemps pour que la digital medecine s’impose dans le paysage comme non seulement pratique, simple et rapide, pour les patients, mais surtout indispensable, pour les médecins, les autorités sanitaires et les groupes de travail sur l’évolution de la pandémie. 

Alors que des applications comme Doctolib en France rencontraient déjà un certain succès, des dizaines de startups se lancent dans l’aventure de la médecine digitale, suivies évidemment par les géants Google, Apple et Amazon. Téléconsultations, pharmacies en ligne, service de rendez-vous, fourniture de matériel médical, et même chirurgie assistée par la robotique, tout est aujourd’hui transposable sur écran, et les spécialistes s’étonnent que ce ne soit pas encore le cas. A raison: McKinsey estime que les revenus de la «digital-health» pourraient grimper de 350 milliards de dollars cette année à 600 milliards d’ici 2024, et que le secteur serait aussi juteux aux Etats-Unis qu’en Europe et en Chine.

Quelques «licornes» se détachent déjà nettement. 

AmWell, une de ces startups de télémédecine, dans laquelle Google a investi 100 millions de dollars, en a récolté 742 autres millions lors d’une levée de fonds à l’automne dernier, sa capitalisation s’élève désormais à 6 milliards de dollars. 

JD Health, une pharmacie en ligne chinoise, vient de lever 3,5 milliards de dollars à la bourse de Hong Kong. 

Alibaba, le géant chinois du commerce en ligne d’à peu près tout ce qu’on peut imaginer s’est aussi lancé dans la pharmacie, avec AliHealth, au chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars.

Les spécialistes de l’intelligence artificielle, souligne The Economist, ne tempèrent qu’à mi-voix l’enthousiasme soulevé par le passage, y compris de la médecine de précision et de la chirurgie, à la télémédecine. 

Grâce à des outils comme l’Apple Watch et le développement d’autres technologies et applications de monitoring, il est désormais possible de contrôler à distance le rythme cardiaque, le diabète, la tension artérielle... Une étude menée par le cabinet de recherche et conseil Gartner au mois de mai suggère que le mouvement rencontre un succès populaire. Un nombre croissant d’Américains déclarent avoir utilisé une application mobile de «santé», consulté un médecin par écran interposé, ou commandé des médicaments en ligne dans le cours de l’année. 

Tout cela fait évoluer la nature même de la médecine: «D’une science clinique soutenue par des données à une science des données soutenue par la clinique».  

Une telle évolution est peut-être enthousiasmante, et on ne peut pas raisonnablement se coucher en travers de la marche du progrès. Mais est-ce vraiment sûr, confidentiel, fiable? Le modèle classique du commerce et des services en ligne, soutenu et financé par la publicité et la collecte (et monétisation) des données s’accorde mal avec le principe du soin. 

«Il est impossible de pénétrer ce marché numérique comme on le fait d’ordinaire dans d’autres domaines», souligne-t-on dans le milieu des investisseurs. Mais il est innenvisageable de ne rien changer non plus. Le statu quo n’est pas, n’est plus une option.

Plusieurs questions, donc. 

Comment va-t-on assurer la protection des données des e-patients? Comment s’assurera-t-on qu’ils ne deviennent pas des consommateurs comme les autres, que se disputent différentes enseignes? Ou des leviers de chantage, dans une guerre commerciale entre «consommateurs» et «producteurs» de médicaments? Quel sera le rôle des Etats, des systèmes de santé publics, de l’assurance maladie, dans cette ultime phase de la révolution numérique? 

L’excitation pour l’instant est à son comble, et ne tolère pas qu’on prenne le temps de la réflexion, tant sur les marchés financiers que dans les laboratoires d’innovations et chez les utilisateurs, ravis de l’effet «gadget» et fascinés par l’intelligence artificielle qui emménage peu à peu avec eux. 

Amazon développe même, depuis le printemps, une extension de son assistant vocal, Alexa, qui lui permettrait d’analyser la toux de ses propriétaires et de leur fournir un pré-diagnostic: Covid or not Covid. 

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