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Culture

Culture / Seul avec Souchon

Jonas Follonier

14 novembre 2020

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Quelle nouvelle expérience pouvais-je tirer de ce quotidien coronavirien? Tenter ma première tarte aux pommes? Déjà fait. Appeler ce vieil ami dont le dernier contact remonte à ma dernière participation à une messe, c’est-à-dire avant le monde d’avant? Déjà fait. Et puis, je me suis rappelé ce fait fondamental: la solitude est revenue s’infiltrer dans beaucoup de nos vies. Je me suis alors mis à réécouter les chansons d’Alain Souchon. La raison? Ce qui était alors une intuition s’est faite constat: l’œuvre de Souchon, habitée par la solitude, la rend belle. Et ça, qu’est-ce que ça fait du bien!



Si la solitude consistait simplement à ne pas être à plusieurs, alors elle n’existerait pas. Ne serait-ce que parce qu’il y a Alain Souchon, un chanteur qui est en quelque sorte toujours là avec les personnes qui l’écoutent. Pour moi, c’est maintenant clair: Souchon a cette capacité à comprendre et à sublimer ce qu’est véritablement la solitude de l’être humain. La solitude est bien plus que l’isolement, c’est notre condition existentielle: c’est elle qui fait que, le soir venu, quand il fait noir, même contre la peau tendre d’un être aimé, on le sait, on le sait tous: on naît seul, on est seul et on meurt seul. Le tragique de l’existence et l’absurdité du grand tout se présentent à des âmes individuelles, dont la réunion n’est que passagère, voire imaginaire.

Bonjour l’ambiance. Oui, mais l’universalité de l’être humain – chose plus vraiment à l’ordre du jour du bla-bla contemporain, les différences étant apparemment plus sexy – fait que, tout le monde étant seul, Souchon est seul lui aussi. Et comme il est artiste, cette banalité boueuse devient de l’or. Quand je l’écoute, la solitude passe du registre du vrai – qui nous ennuie – au registre du beau – qui nous assaille, qui nous étreint, qui nous enivre.

Il faut un Souchon pour me rappeler que si «la vie ne vaut rien», comme il le chante lui-même, néanmoins «rien ne vaut la vie», comme le veut la fin du refrain. Et pourquoi donc? Parce qu’en découvrant les champs du possible à partir d’un détail d’événement, c’est un monde qui s’ouvre. Et quel monde! Celui de l’amour, des sensations, de l’engagement vers l’être. En écoutant du Souchon, cette évidence me revient à la figure: le fameux «sens de la vie» est une redondance, pas une question, ni un problème. Avez-vous déjà embrassé une fille, ou un garçon? Si oui, vous êtes vraiment sérieux en demandant quel est le sens de l’existence?

Je chante un baiser

Je chante un baiser osé

Sur ma bouche déposé

Par une inconnue que j’ai croisée

Solitude, individu et engagement

Quand je me sens seul, le problème est bien souvent que je sens que je suis le seul à être seul comme ça. Diantre! La solitude prend forme dans l’individualité de notre situation. Tout individu est seul à sa façon. Voilà sans doute pourquoi les chansons de Souchon sont souvent des histoires, des narrations, avec des personnages, leurs aventures et leurs impressions. C’est une foule sentimentale qui achète des choses qui donnent envie d’autres choses. C’est un mec qui va sur un terrain en pente le soir pour fumer une clope en traînant son ennui (l’autre grand thème de Souchon avec la solitude et l’amour). C’est la mélancolie, toujours:

J’marche tout seul le long de la ligne de chemin de fer

Dans ma tête y’a pas d’affaires

J’donne des coups de pied dans une pt’ite boîte en fer

Dans ma tête y’a rien à faire

Je suis mal en campagne et mal en ville

Peut-être un petit peu trop fragile

Allô Maman bobo

Maman comment tu m’as fait j’suis pas beau

Allô Maman bobo

Allô Maman bobo

L’affaire est d’autant plus intéressante que Souchon est aussi un chanteur engagé. Avec lui, on est loin des chansons passe-partout où il n’est question que de «tu m’as quitté, je suis triste» ou de «il fait beau, je suis content», pour que tous les auditeurs s’y retrouvent. Non, avec ce dandy atrabilaire, les émotions chantées sont inscrites dans l’ambiance du monde contemporain, dans des frustrations sociales, des maladies de l’époque, des sensibilités très subtiles. Chanter «l’effet que ça fait» d’être seul, c’est déjà évoquer les raisons de ce sentiment de solitude, forcément personnelles, mais aussi nécessairement liées à la modernité:

Ça se passe à Manhattan dans un cœur

Il sent monter une vague des profondeurs

Pourtant j’ai des amis sans bye-bye

Du soleil, un amour du travail

Pourquoi ces rivières

Soudain sur les joues qui coulent

Dans la fourmilière

C’est l’ultra moderne solitude

Ce n’est pas un hasard si cette chanson en particulier résonne si fortement avec notre présent. Confinés, semi-confinés, distancés les uns des autres, nous prenons la mesure de l’importance d’autrui, de sa présence, même occasionnelle, même irrégulière. Nous nous retrouvons face à nous-mêmes, c’est-à-dire face à des questions sans réponses, au mystère de l’existence. Pourquoi quelque chose au lieu de rien? Alain Souchon ne le sait pas plus que quiconque. Mais il sait une chose: la tendresse, la douceur à l’égard d’autrui, ne l’indiffèrent pas. Eh bien, vous savez quoi, moi non plus! Face au «what to do?», de la «ouate, tout doux». Merci Souchon.


Album récent: Ames fifties, Parlophone / Warner Music France, 2019, 10 titres

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Wonderfuljazz 16.11.2020 | 13h44

«Oh oui.....Souchon un bienfait en ces temps difficiles.Madeleine Oberholzer »


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