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Culture

Culture / Le diable probablement

Norbert Creutz

31 octobre 2020

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Primé tout récemment au festival de Zürich, «Sans signe particulier» de Fernanda Valadez sort en salles sous la bannière Trigon-Film. La confirmation d'un changement de cap chez ce distributeur ainsi que d'une tendance lourde du cinéma mexicain: des films pour dire toute l'horreur de la vie au sud des Etat-Unis



Les films d'art et essai sortent au compte-goutte depuis cet été. On en est encore à découvrir ceux présentés au festival de Berlin (en février) que ceux de Venise, San Sebastian et Zurich – les premiers audacieux à avoir tenu leur édition 2020 depuis la crise santaire – , se pressent déjà au portillon. Raison de plus pour se pencher sur un film mexicain qui semble faire l'unanimité depuis sa présentation aux festivals de Sundance, San Sebastian et Zurich: Sin Señas Particulares, premier long-métrage de la Mexicaine Fernanda Valadez. Choisi par Trigon-Film, distributeur engagé pour le «reste du monde» et une réelle exigence de qualité, un film qui nous laisse perplexe.

Certes, l'œuvre se distingue tant par sa voix féminine (la co-scénariste et productrice Astrid Rondero doit elle aussi être mentionnée) que par son sujet, les nombreux disparus sur le chemin de l'exil vers le nord. On y suit la quête d'une femme de la campagne sur les traces de son fils, parti avec un ami deux mois plus tôt chercher du travail aux Etats-Unis. Plus souvent vu abordé du point de vue américain (de The Border de Tony Richardson à Sicario de Denis Villeneuve) et masculin (de Miss Bala de Gerardo Naranjo à Desierto de Jonás Cuarón), le genre si violent du «film de frontière» permettrait-il donc un autre regard?

Politique du flou

Le début, qui joue à nous égarer quant au personnage central du récit – la mère de l'autre garçon et une doctoresse qui a perdu le sien des années plus tôt tiennent un moment le devant de la scène –, installe très vite un autre rythme, plus tranquille que de coutume. Puis la grisonnante Magdalena prend la route et on comprend que ce sera elle notre guide. L'ami est mort et ses chances semblent dès lors bien minces de retrouver un fils (nommé Jesús!) qui n'a plus donné signe de vie, avec pour seule piste le soupçon que leur bus a eu un malheur en route. Peu causant, le film nous laisse deviner beaucoup de choses pendant que la cinéaste garde sa caméra braquée sur son héroïne. Puis le récit bifurque à nouveau, et on se met à suivre un jeune homme, immigrant illégal quant à lui expulsé des Etat-Unis. Serait-ce son fils? Vont-ils se trouver ou se manquer?

C'est le genre de fausses pistes que l'on s'amuse à imaginer pour meubler le temps, qui commence à paraître un peu long en l'absence de dialogues, de musique et de jeu d'acteurs intéressant. On aimerait aussi pouvoir s'accrocher à quelque intérêt documentaire, mais à part la frontière à Tijuana filmée comme un aéroport géant, il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. A l'évidence, Fernanda Valadez n'est pas plus de ces cinéastes qui cherchent le détail révélateur qu'elle ne porte de regard émerveillé sur l'environnement. Non, chez elle, tout reste flou. A commencer par le récit et une image à profondeur de champ minimale. Encore plus fort, une séquence sur deux commence par une voix off qui s'adresse à la protagoniste avant que la scène n'ait vraiment débuté à l'image. Et parfois, la personne qui parle ne nous sera même pas présentée!

Une métaphysique du pire

Bien sûr, tout ceci relève d'un parti pris formel, ce qui n'est pas si fréquent. Mais pour dire quoi? Après la jonction des deux histoires, un semblant de suspense apparaît. Ayant croisé Magdalena en chemin, le jeune Miguel lui propose de l'héberger une nuit avant qu'elle n'aille trouver un témoin rescapé du fameux voyage en bus. Mais il retrouve vide la maison de sa mère, leurs moutons égorgés. Puis Magdalena doit traverser une région inconnue, potentiellement dangereuse, pour retrouver son homme. Enfin, ce dernier se met à raconter et le film dévoile son vrai visage, non sans que la cinéaste ait poussé le bouchon encore un peu plus loin: ce flash-back est filmé carrément flou tandis qu'il parle dans un idiome indigène, sans traduction ni sous-titres!

Au plus tard avec l'apparition d'un diable à queue fourchue devant un feu, ceux qui ont vu Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas auront compris: le film s'inscrit dans cette mouvance provocatrice du cinéma mexicain (Reygadas, Amat Escalante, Michel Franco & co.) qui s'est donnée pour mission d'explorer le pire. Ici, il s'agit des cartels de la drogue qui interceptent des jeunes candidats au passage pour les transformer en tueurs. Mais la révélation aura été longue à venir et guère plus éclairante après un beau plan inversé et de terribles retrouvailles nocturnes à la torche électrique. Quant au rapprochement attendu entre Magdalena et Miguel, sa consolation gardera un goût d'échec et de cendres. D'où au final cette impression de juste un film de plus pur dire que le Mexique est un pays infernal où l'on n'a guère que le choix entre vendre son âme et se contenter d'une existence médiocre?

Attention Trigon

Autre question, a-t-on bien vu là un «film Trigon»? Né il y a une trentaine d'années dans un esprit tiers-mondiste découvreur, ce distributeur à part a longtemps tenu son cap d'ouverture positive, même si les films se faisaient pus durs. Mais avec le passage du témoin à une nouvelle génération, on sent l'envie d'élargir la palette, quitte à accueillir toute une famille de cinéastes plus désabusés et cyniques, enfants d'une mondialisation tout sauf heureuse. Le présent film indique toutefois bien le danger, à vrai dire particulièrement marqué côté latino: des œuvres qui rivalisent d'ennui et d'effets m'as-tu-vu, voire de références prestigieuses (Mère et fils d'Alexandre Sokourov?), au risque de confondre grand art, dénonciation et complaisance nihiliste.

Apparemment, c'est (encore) payant en festivals. Mais devant un public invité à débourser le prix fort pour se changer les idées? Pas sûr que le cinéma d'auteur, même de plus en plus féminin, y sauve sa peau... Avec tout le contexte de son récit laissé aussi flou que son image sans attrait, Sans signe particulier finit par devenir un film sans intérêt particulier, dont on peut tout aussi bien se passer.


Sans signe particulier (Sin Señas Particulares), de Fernanda Valadez (Mexique - Espagne 2020), avec Mercedes Hernández, David Illescas, Juan Jesús Varela, Ana Laura Rodríguez, Laura Elena Ibarra, Xicotentalt Ulluoa. 1h37

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