A vif / Fantastique «Histoire du soldat» à Chillon!
Centenaire, le spectacle mythique créé par Ramuz et Stravinsky reprend vie pour quatre précieux soirs dans la cour du Château de Chillon. Une réussite.
Lorsque Michel Voïta, gilet et cravate noirs sur chemise blanche comme l’habit du dimanche de chez nous et de partout, prononce, sobre mais impérieux, les fameuses phrases d’ouverture – «Entre Denges et Denezy, Un soldat qui rentre chez lui, Quinze jours de congé qu’il a, Marche depuis longtemps déjà» –, on sait que le metteur en scène Benjamin Knobil a gagné son pari: faire revivre l’esprit de l'Histoire du soldat, opéra de poche créée par le duo d’amis Stravinsky - Ramuz en 1917, deux ans après la rencontre de l’écrivain vaudois et du musicien russe fuyant la Révolution, au cœur des murs millénaires, austères mais inspirants de Chillon. Tout y est. A commencer par cet esprit populaire, léger, joyeux, lémanique et profond souhaité par les auteurs qui voulait leur «Histoire du soldat» comme un théâtre ambulant qui pourrait tourner d’un village à l’autre, en plein air ou dans des salles de café, divertissant et émouvant les publics les plus hétéroclites.
Au service de cet esprit, un dispositif scénique léger, malin et poétique, qui se contente d’un escalier de bois pour le Lecteur, d’un tréteau pour le Soldat et d’une fenêtre néo-gothique de la façade pour la Danseuse, le tout tirant le meilleur profit de la basse-cour du château, éclairée par Nicolas Wintsch dont les projections jouent involontairement avec le ballet des chauve-souris. Thierry Jorand est un Diable truculent, burlesque, chafouin et margoulin, Quentin Leutenegger un soldat naïf, piou-piou dégingandé, souple et physique à souhait, Michel Voïta chair et verbe à la fois. L’orchestre mené par Didier Zumbrunnen se joue avec grâce des rythmes dansants, sophistiqués, jazzant, inventifs du compositeur russe.
Du pur plaisir
Un siècle après sa création, l’intemporalité et l’universalité de cette parabole simple et tragique, avec vente de son âme du Diable et Princesse endormie à réveiller d’un baiser, qui voit un pauvre gars du coin qui nous ressemble forcément tout perdre à force de trop vouloir, surprend par sa modernité. Stravinsky encourageait d’ailleurs chaque metteur en scène à modifier les noms des villages («Denges et Denezy») selon le lieu de la représentation, et à faire porter au soldat un uniforme «démodé aux yeux du public mais susceptible de lui être sympathique».
Il y a des héritages plus faciles à porter que d’autres. Parfois, c’est même du pur plaisir. Courrez-y.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire