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Analyse

Analyse / La Chine miroir de nos haines et de nos impuissances

Guy Mettan

6 avril 2020

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Ce qu’il y a de bien avec les crises, c’est qu’elles révèlent le fond des individus et des pays. Celle du coronavirus a ainsi montré l’héroïsme quotidien des petites mains anonymes de la mondialisation, infirmières, caissières, chauffeurs-livreurs, paysans, agents de voirie, tandis qu’elle réduisait au silence les profiteurs et les pontifiants qui se réfugiaient dans leurs maisons de campagne pour fuir les miasmes des villes.



En revanche, la crise n’aura pas réussi à mettre une sourdine aux clichés, aux stéréotypes et aux partis pris idéologiques traditionnels. D’accord pour la guerre contre le virus mais pas question de cesser celle de l’information! Il y quelques jours à peine, l’OTAN passait encore son temps à organiser ses plus grandes manœuvres militaires depuis 1945 contre la Russie.

L’attitude de nos médias vis-à-vis de la Chine est très révélatrice et montre comment ce pays, naguère courtisé par toutes les élites occidentales, est devenu le repoussoir, le miroir de nos haines, de nos peurs et de nos impuissances.

Au début de la crise, on nous a ainsi présenté une dictature qui, comme toutes ses pareilles, mentait à ses habitants, cachait la gravité de la situation et persécutait les médecins qui sonnaient l’alarme, tandis qu’on se réjouissait déjà de la perte de crédibilité du régime et de l’effondrement économique qui s’ensuivraient. Même réaction quand l’Iran a été touché: on allait voir ce qu’on allait voir et le «régime» n’avait qu’à bien se tenir. Puis, devant la vigueur de la réaction chinoise et la construction de gigantesques hôpitaux en 10 jours, on a dénoncé la mise au pas autoritaire et le confinement forcé avec des entrées d’immeubles murées, des corps prétendument abandonnés dans les rues et la surveillance généralisée par caméras et smartphones.

Depuis peu, la situation s’améliorant en Chine alors que la pandémie gagnait l’Italie puis le reste du monde, les attaques ont porté sur la responsabilité chinoise, les coutumes alimentaires, les «mensonges» à l’origine de l’épidémie et la «propagande» déployée par le régime afin de tirer profit de la crise. Pour une fois au moins, on n’a pas accusé les trolls russes d’avoir propagé le virus, mais il s’en est fallu de peu…

Parallèlement, on a cité en exemple les réactions des démocraties asiatiques, Taiwan, Corée du Sud, Singapour, qui seraient parvenues à maitriser la pandémie de main de maitre, alors qu’elles appliquaient exactement la même méthode que la Chine: non-confinement (Hebei mis à part), dépistage systématique, désinfection généralisée, isolement total des contaminés, surveillance digitale.

Il faut bien un coupable à l’origine de ce désastre. Hier, c’était les Juifs qui empoisonnaient nos puits, aujourd’hui ce sont les Chinois qui empoisonnent nos bronches. On a les boucs-émissaires qu’on peut.

Car qu’avons-nous fait de notre côté, sinon imiter les Chinois? Avec le même déni de réalité, les mêmes dénégations et les mêmes tergiversations au début de la crise, alors même que nous pouvions voir ce qui se passait. Et avec des mesures de confinement, certes utiles, mais bien plus strictes qu’en Chine: où sont les protestations sur ces mesures jugées liberticides lorsqu’elles étaient adoptées par Pékin? Quant à la vidéosurveillance, elle est à l’étude, sinon effective. Voir le projet de Swisscom de traquer les rassemblements de plus de 100 personnes.

Il est vrai qu’il y a un domaine au moins où nous n’aurons pas suivi les Chinois, celui de l’efficacité: pas assez de masques, de désinfectant, de réactifs pour le dépistage, de respirateurs, de lits d’hôpitaux. On reste les meilleurs!

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@Nicobe 06.04.2020 | 16h02

«Sans parler des médecins chinois, russes et cubains venus par avions entier à l'aide de l'Italie et d'autres pays européens ayant besoin d'une aide sanitaire urgente. Par contre pas question de lever les sanctions contre la Russie, Cuba ou la Chine... Je reste sans voix devant tant d'hypocrisie et d'autosuffisance.... »


@willoft 07.04.2020 | 12h57

«Bravo, excellent papier!»


@Lagom 10.04.2020 | 10h53

«M. Mettan: je vais vous révéler un secret; si on vous a aimé jusqu'ici c'est parce que vous êtes pro-russe. En pro-chinois, vous risquez de ne plus avoir d'autres voix, que celles de votre famille proche, et encore. Si vous ne voyez pas la dangerosité du régime chinois et sa volonté de dominer le monde, faites-vous moine et consacrer votre temps à la méditation. »


@Alcimar 05.05.2020 | 20h11

«Mille merci fois pour cet excellent article ! M. Mettan, ça fait vraiment du bien de vous lire !

Depuis quelque temps, nous revivons le cauchemar de la propagande qui précéda la 1ère guerre du Golfe. De nombreux journalistes tombèrent alors dans le panneau d'une communication orchestrée puis jurèrent que cela n'arriverait plus.

Ils étaient soit disant vaccinés contre la bêtise mais visiblement les anticorps ne sont plus actif aujourd'hui et la quantité de stupidité relayée dans la presse sur le sujet est parfois effrayante.

Il ne s'agit pas d'être pro ou anti-Chinois mais simplement d'admettre que si cette crise a pris une telle ampleur, c'est qu'il y a quelque chose qui ronge notre royaume depuis plusieurs années (les gouvernement populistes ne sont élus pas hasard).

Bien sûr que la Chine doit trouver sa place dans le monde et que nous vivons une époque où les rapports internationaux sont en mouvements. Mais n'est-ce pas là le reflet de la faiblesse du leadership de nos soit-disant grandes puissances mondiales, au bord d'un gouffre creusé par un discours qui divise leur propre peuple ?

Si nous ne comprenons pas cela, nous partirons une fois de plus en guerre en pensant nous réunir. Nous ne pourrons alors que contempler les ruines de notre civilisation, ayant manqué de relever les vrais défis créés par notre propre société.»


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