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Culture

Culture / Chez Alain Cebius, séduction et rapiaterie font bon ménage

Sabine Dormond

6 janvier 2020

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Aimer, c’est paraît-il, transformer les défauts de l’autre en qualités. Mais si certains travers ou petites manies effectivement peuvent présenter un côté attendrissant, d’autres sont plus rédhibitoires. La radinerie par exemple. Alain Cebius aborde le thème avec humour dans un roman décalé et à travers un personnage qui brille par sa médiocrité.



Dans son roman paru aux éditions Monsalvens en août de cette année sous le titre «aimemoi.ch», Alain Cebius nous brosse le portrait d’un vieux garçon maniaque, d’une pingrerie à toute épreuve et viscéralement attaché à sa routine. Le moment le plus exaltant de ses journées toutes semblables, c’est quand il ouvre sa boîte aux lettres le soir en rentrant du travail pour y écumer la masse de publicités à la recherche de concours, gratuits bien entendu, mu par l’espoir de gagner peut-être quantité d’objets qui prendront la poussière et d’appareils qui encombreront son appartement. Parmi la pile de réclames, il tombe une fois sur une annonce pour un site de rencontre et, comme le premier mois est gratuit, souscrit un abonnement. Cette découverte va le sortir de sa zone de confort et lui révéler ses talents de séducteurs.

BPLT: En plus de sa redoutable pingrerie, votre personnage n’aime pas son prénom, n’assume pas sa tête et occupe un emploi sans lustre, ni perspective d’avancement. Vous n’y êtes pas allé un peu fort dans le genre anti-héros?

Alain Cebius: Dans l’univers romanesque, les antihéros sont sympathiques et attachants, bien que la pingrerie constitue pour moi un défaut rédhibitoire. On peut imaginer un personnage acculé à ce travers par la modicité de son salaire et qui en fait un cheval de bataille par (sur)adaptation à sa réalité.

Qu’est-ce qui fait qu’on s’attache malgré tout à votre personnage?

Je pense qu’on peut s’y identifier. On a peut-être tous un côté parcimonieux ou économe.

Vous avez connu des gens qui érigeaient la radinerie en art de vivre?

Oui, mais si j’abordais la question, ils parlaient plutôt de prudence. Les pingres sont souvent des gens qui ont très peur de l’avenir et qui ont vécu dans le manque.

Quelle est leur logique, leur système de valeurs?

Ce qui les intéresse, c’est de tirer un maximum de profit d’un investissement minimum. Ils sont mus par un souci de rentabilité poussé à l’extrême. Ce sont probablement des gens qui ne s’aiment pas, parce qu’ils ne se gâtent pas, se refusent beaucoup de plaisirs. Chez eux, la peur de perdre l’emporte sur le désir de gagner. Les pingres ne jouent donc jamais à la loterie. Ils ratent beaucoup de belles choses dans la vie, parce que leurs victoires ne se rapportent qu’à l’argent et qu’elles sont à la mesure de ce qu’ils économisent: des bouts de chandelles. Ces personnes ne connaîtront jamais l’abondance.

Avez-vous des exemples de stratégies qui permettent de se débiner quand c’est son tour de payer?

Les douleurs abdominales irrépressibles ou le portable qui sonne au moment de l’addition. Ou simplement s’abstenir de toute sortie impliquant un risque de dépense.

Il y a des défauts qui sont plus ou moins bien tolérés par la société. Qu’en est-il de la rapiaterie? Est-ce que les femmes aiment les pingres?

Sans doute pas. Mais le pingre peut faire preuve d’une forme de générosité calculée, qu’il considère comme un investissement, si la femme a des revenus qui peuvent ultérieurement lui assurer une vie confortable. Il dépense utile, selon ses critères à lui.

Est-ce qu’il existe une pingrerie assumée qui consiste par exemple à faire les soldes et une pingrerie plus honteuse comme de lésiner sur les pourboires?

Oui, exactement, les gens assurent totalement l’idée de profiter des soldes. Ils s’en vantent même. Alors que d’autres expressions de la radinerie sont beaucoup plus discrètes, parce qu’elles posent un problème d’honnêteté.

Est-ce que la société de consommation ne nous incite pas à une forme d’avarice en nous faisant miroiter partout de bonnes affaires, des promotions?

Oui, tout en nous faisant dépenser de plus en plus. Les budgets pour les fêtes de fin d’année ont explosé. Beaucoup de produits et de prestations sont devenus trop accessibles. Ne seraient-ce que les voyages. C’est moins cher d’aller à Barcelone en avion qu’en train à Zurich. La société de consommation attise la pingrerie et s’en nourrit.

Au final, est-ce qu’on est forcément radin au détriment de quelqu’un d’autre, cette attitude fait-elle nécessairement des lésés?

Oui absolument. À moins d’être un ascète, le radin a besoin de quelqu’un pour exercer sa rapiaterie. Mon personnage préfère par exemple faire des kilomètres à pied jusqu’au supermarché plutôt que de se ravitailler chez l’Arabe du coin. Amazone est l’exemple par excellence: on y économise trois francs sur un livre sans se préoccuper des conditions de travail désastreuses.

Au vingt-et-unième siècle, est-ce qu’on part encore dans l’idée que c’est à l’homme de payer la tournée lors d’une rencontre amoureuse?

Les hommes oui, alors que les femmes veulent souvent partager ou rendre l’invitation la deuxième fois. Sur plusieurs rendez-vous, ça se parifie. Un radin ne peut pas être macho. Il transpire au moment de l’addition, même pour une pizza.

Quelle considération ou motivation supérieure peut inciter votre héros à transiger sur sa pingrerie viscérale?

Il s’est créé cet avatar qui le représente lui, en mieux. Ce double amélioré reste économe, mais il est prêt à aller dans les restaurants où l’original n’avait jamais mis les pieds. Le personnage qu’il joue ouvre une brèche qui peut l’amener à changer.

Comment votre héros s’y prend-il pour séduire des femmes, avec la piètre opinion qu’il a de lui-même?

Justement en jouant quelqu’un d’autre. Et parce qu’il a de l’humour, une certaine culture. Peut-être que sa véritable personnalité est celle de son avatar et que l’autre personnage n’est qu’un carcan dans lequel il s’est enfermé. Cela dit, il ne s’aime pas non plus en tant qu’avatar.

Est-ce que les sites facilitent la rencontre amoureuse?

C’est un autre moyen, à un âge où les gens ne vont plus en discothèque et ne veulent pas draguer sur leur lieu de travail. Mais il y a beaucoup de déchets : j’ai lu quelque part que seuls 20 % des abonnés trouvent l’amour. On trouve plus facilement des aventures, des liaisons. Ces sites offrent aussi un moyen de discuter, de parler de choses intimes, de se dévoiler.

Quel avantage présentent-ils pour un séducteur par rapport à la vraie vie?

Le choix! Comme au Mc Do, t’as la photo des menus, mais c’est pas meilleur pour la santé.

Vous les avez testés pour les besoins du livre?

Non, j’ai juste commencé à remplir le questionnaire et inventé les pseudos qui sont d’ailleurs cités dans les remerciements à la fin du livre. Comme je suis marié, ça aurait pu poser problème.

Votre one man show ‘Plutôt nul qu’en fou-rire’ et vos lectures ‘Poesia comica’ ont aussi vocation de faire rire. L’humour, c’est donc votre marque de fabrique?

Oui clairement, je trouve la vie délabrée si on ne peut pas rire. Par exemple à l’enterrement de ma mère qui regardait Top models depuis 30 ans, j’ai dit «maintenant tu connais la fin». Je suis prêt à me fâcher avec mes amis pour un bon mot, puis à m’excuser ensuite en expliquant qu’ils m’ont tendu la perche.

Et si des radins s’intéressent à votre livre, tout en rechignant à la dépense, quelles sont les bibliothèques où on peut le trouver sans bourse délier?

Il faut l’emprunter à un ami qui l’a déjà. Ce livre imprimé en Suisse ne se trouve pas sur Amazone. Mon éditeur n’est donc pas le prototype du personnage. On peut lui reprocher certaines choses, un peu de peine parfois avec le second degré, mais en tout cas pas sa pingrerie.

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