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Actuel / Roland Jaccard, les psys et l’obscurantisme

Bon pour la tête

16 juillet 2019

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Eric Vartzbed, essayiste, docteur en psychologie et psychothérapeute analytique


Cher Roland Jaccard,

Qu’exprime votre texte autobiographique intitulé Pourquoi je ne suis pas devenu psychanalyste?.

Que vous n’aviez peut-être pas envie d’exercer cette profession, c’est votre droit. Que vous n’en n’étiez pas capable, c’est votre limite. Mais, quoi qu’il en soit, de grâce, ne démolissez pas cette profession exigeante, épargnez-nous vos approximations, n’ajoutez pas de la confusion à la confusion.

Clarifions. Vous taxez la psychanalyse d’escroquerie. Pour ravaler cette discipline, vous vous appuyez sur une citation décontextualisée de Lacan, une citation à double fond, qui doit être expliquée.

La tâche est rude: je n’ai que quelques lignes pour faire sentir au lecteur des notions que les psychanalystes mettent de nombreuses années à intégrer. (Un travail considérable donc, dans lequel on imagine mal, soit dit en passant, s’engager des escrocs).

Il s’agit des notions de transfert, de sujet supposé savoir, de la docte ignorance de l’analyste, de l’horreur que lui inspire son acte, des bénéfices primaires et secondaires de la névrose.

En deux mots: le processus analytique repose sur une croyance, une relation artificielle: l’analyste se positionne de façon à ce que son patient projette sur lui des sentiments qu’il a jadis noués avec ses proches significatifs. L’analyste est pris pour un autre et c’est dans le dévoilement des ressorts de cette fiction que le patient gagnera en lucidité, percevra le fantasme organisateur qui le constitue à son insu. Le fantasme qui le dirige et lui pourrit la vie. Ce fantasme inconscient peut être, par exemple: un enfant est battu, un homme se met en position féminine pour séduire un grand père idéalisé, un héros redresseur de torts, etc.

Ainsi, l’analyste consent en effet à une forme d’imposture, il se prête à être un réceptacle à projection. Il renonce à un rapport authentique entre deux égaux, afin de faire son travail: révéler le fantasme inconscient du patient, afin que celui-ci puisse faire un pas de côté, cesse de confondre le monde et son monde. Le bénéfice escompté est un allégement, un gain de liberté.

Par ailleurs, le patient s’adresse à l’analyste comme s’il allait voir un expert qui lui livrera la clef de sa névrose. Là encore, il faut cette croyance pour que la relation s’engage et qu’on puisse expérimenter un lien dont on ne connaissait pas a priori le sens, ni la teneur. Penser qu’il s’agit d’escroquerie, c’est regretter que l’analyste ne soit pas un expert, un scientifique et c’est se méprendre sur l’essence du processus analytique qui suppose l’engagement dans une croyance, afin de déconstruire les croyances. Le savoir est chez le patient, mais il faut le dispositif analytique pour qu’il émerge. Bref, Freud a créé une pratique originale et singulière, ni scientifique, ni religieuse, et le confondre avec une sorte de Bernard Madoff n’a guère d’intérêt!

Le psychanalyste a, par ailleurs, horreur de son acte qui n’est pas «éthique» en tant qu’il ne vise pas le bien, la consolation, le soutien, mais à cerner une certaine vérité étrangère aux sucreries du politically correct. Il ne pratiquera pas l’empathie et ne considérera pas son patient comme une victime, mais s’intéressera à ce qui, chez son patient, appelle l’agression d’autrui, l’humiliation, etc. Tenir cette ligne suppose en effet de supporter une certaine cruauté. Lacan disait que son acte lui faisait souvent horreur et donc que son surmoi préférerait qu’il se voue à aider son prochain, qu’il se livre à des œuvres de bienfaisance. Dans son autobiographie, Gérard Hadad raconte comment un jour, en lambeau, il s’est présenté à Lacan en disant: «Je crois que je suis foutu!» Et Lacan de lui rétorquer: «Mais ce n’est pas une croyance: vous êtes foutu!» L’intervention fût décisive et source d’un grand allégement.

Les psychanalystes savent en outre que toutes les souffrances et les plaintes comportent, sur un certain plan et à un certain niveau, un bénéfice trouble, une secrète satisfaction. Un peu à l’instar de Victor Hugo qui définissait la mélancolie comme le bonheur d’être le triste.

Bref, à notre médiocre époque scientiste où la psychanalyse est souvent attaquée, il convenait de réagir à l’article de Roland Jaccard. De faire reculer l’obscurité.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@Lagom 16.07.2019 | 22h55

«C'est Jung qui a dit {il n'y a pas de raison de terminer une "analyse" tant que la patient a de l'argent pour la payer}.

M. Jaccard a raison mais il l'a dit brutalement, or une belle arnaque nécessite d'être avaler par des schémas complexes, des mots choisis et indignés comme les vôtre. Quand le psychanalyste réalise que son acte n'est pas éthique, il ne sert à rien pour lui d'être horrifier, il suffit de rendre l'argent au patient ! 1 - 0 pour Jaccard»


@jfduval 17.07.2019 | 08h09

«Je crois, chers amis, que vous vous rejoignez sur la question de la croyance, ce qu’Eric V. perçoit très bien. Bravo à lui. Et à RJ d’avoir suscité cette belle et éclairante réponse.»


@Lore 21.07.2019 | 10h57

«Merci pour cette réponse éclairante.
Ne confondons pas psychanalyse (théorie en évolution)
et psychanalyste. Dans tout métier il y a des professionnels plus qualifiés que d’autres. Toute institution ou société a ses failles ce qui demande une réévaluation régulière de l’adéquation du cadre thérapeutique au contexte socio-historique. La question de l’argent reflète peut-être la difficulté que nous avons aujourd’hui d’évaluer le coût d’une prestation psychothérapeutique dans une société où le mal - être s’exprime ou s’observe fréquemment. Le psychothérapeute doit aussi réfléchir à son besoin de guérir par exemple un fond dépressif qui l’habite en aidant ses patients. Faire face à sa propre vérité pour aider le patient à découvrir la sienne si tel est son souhait.»


@gwperrin 21.07.2019 | 21h21

«Je ne suis ni expert ni psy mais je pense que le respect, par l'émetteur d'un message, des conventions propres à sa technique d'expression facilite énormément son décodage. Que signifie donc, pour une belle arnaque, la nécesssité d'être avaler, serait-ce par des schémas complexes? A ce propos, si vous êtes horrifier par mon propos, qui dois-je remboursé, Monsieur Reiwa? Rassurez-vous, je ne suis pas assez libéré pour jouer les distribueurs des bons ou mauvais points".
GWP»


@Logano 21.03.2020 | 01h15

«Dois-je vous rappeler que Mr. Jaccard a dirigé la publication d'une histoire de la psychanalyse ? S'il y a bien une personne qui n'aurait aucun intérêt à dévaluer une telle pratique, c'est bien lui. Mais il faut croire que chaque homme en fin de vie en arrive à la confession. Ne vous inquiétez pas, nul besoin d'être scientiste pour voir l'escroquerie métaphysique quand elle veut se prétendre rigoureuse, thérapeutique et efficace. Le jour où vous aurez le courage (parce qu'il en faut pour se départir d'une pratique à laquelle on croit dur comme fer depuis des années) et l'honnêteté envers vous-même de réaliser que : 1) le psychanalyste invente des histoires sur son patient pour stimuler son plaisir et son intérêt esthétique et que 2) ces histoires sont vérouillées et irréfutables, cela grâce au concept d'inconscient qui ne désigne rien de précis et légitimise instantanément n'importe quelle pulsion, désir morbide ou autre concept pseudo-profond des délires d'un thérapeute, vous avancerez alors d'un pas. Commencez par faire cette constatation : en termes de bien-être et d'apaisement, un moine bouddhiste finit dans un meilleur état que n'importe lequel de vos patients.»


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