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Culture / La belle politicienne et le journaliste clochard

Norbert Creutz

20 juin 2019

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Comédie romantique pour l'ère Trump/#MeToo, «Séduis-moi si tu peux!», ou plutôt «Long Shot», mêle humour adolescent et intelligence politique en imaginant la rencontre d'un plumitif contestataire et d'une candidate à la présidence des Etats-Unis. Un film tour à tour embarrassant et emballant auquel ne manque qu'un minimum d'exigence formelle



Aussi calculé, usiné et digitalisé soit-il, le cinéma hollywoodien restera toujours l'affaire des personnes qui le font. Prenez ce Long Shot réalisé par Jonathan Levine (auteur du sympathique film de zombies romantique Warm Bodies) sur un scénario co-signé Dan Sterling (la grossière satire nord-coréenne The Interview) et Liz Hannah (le sérieusement admirable The Post de Steven Spielberg). A l'image de son titre original à triple détente, tout le film paraît tiraillé entre ces trois sensibilités cherchant à s'accorder, de même que  l'improbable duo de stars formé par Seth Rogen et Charlize Theron. Parfaitement symptomatique de l'heure actuelle, le résultat pourrait toutefois connaître un certain succès, pas totalement immérité.

Coups bas et visées hautes

L'introduction présente les deux protagonistes évoluant dans des réalités tellement éloignées qu'ils ne semblent jamais devoir se rencontrer. Infiltré dans une réunion de néonazis, le journaliste juif Fred Flarsky espère en tirer un reportage explosif avant de claquer la porte de son journal, victime de l'insidieuse censure «économique». De son côté, la secrétaire d'Etat (c'est-à-dire la ministre des affaires étrangères américaine) Charlotte Field obtient le soutien d'un chef qui a choisi de ne pas se représenter (il préfère tenter sa chance comme acteur à Hollywood!) pour devenir officiellement candidate à la présidence des Etats-Unis. C'est compter sans une soirée new-yorkaise qui les fera se croiser et, surtout, sans un passé commun qui ressurgit alors: en d'autres temps, la plus-que-parfaite et inaccessible Charlotte fut la jeune baby-sitter du petit Fred, responsable de ses premiers émois!

Apprenant ses récents déboires, elle l'engage pour donner plus de punch à ses discours, au grand dam de ses deux plus proches assistants. C'est que Fred, avec sa dégaine d'adulescent hirsute, son humour caustique et sa totale méconnaissance des codes, fait méchamment tache dans ce beau monde. De vols privés en hôtels de luxe, de Washington à Buenos Aires en passant par la Suède et les Philippines où ils échappent à un attentat, ce qui devait arriver arrive: ces deux solitaires très entourés se rapprochent, au risque de compromettre les chances de Madame, que d'aucuns préféreraient voir au bras du séduisant premier ministre canadien. Arrive le moment de vérité d'un projet de traité international sur l'écologie qu'il faut sacrifier sur l'autel de la realpolitik – suite aux pressions d'un certain magnat de la presse – et le nouveau couple se retrouve en crise, au grand soulagement de son entourage...

Vulgarité sublimée

A lire ainsi, tout cela pourrait être irrésistible. Avec les nouvelle règles en vigueur à Hollywood, comme quoi le public demanderait des blagues salaces et des références «pop» à tout-va, on est malheureusement loin du compte. Autant l'idée séduit, autant son exécution par un tâcheron peu inspiré déçoit. Les clins d’œil à Hillary Clinton, Donald Trump, Rupert Murdoch ou Justin Trudeau font certes sourire, mais restent toujours très en-deça de leur potentiel satirique. Jusqu'au meilleur pote black de Fred, les seconds rôles relèvent plutôt de la formule paresseuse que de l'art bien compris du contrepoint. Et puis, miracle, la sauce finit par prendre malgré tout. Entre l'égérie Dior et le potache mal léché, le courant passe.

Il suffit d'une séquence soudain mieux emballée, une grande soirée en Argentine où nos tourtereaux s'éclipsent pour rejouer à Pretty Woman, pour qu'un certain charme commence à opérer; d'une autre qui conjugue prise de substances illicites pour décompresser et crise d'otages à gérer d'urgence pour que l'affaire s'emballe et qu'on soit vraiment pris. Lorsqu'un chantage à la vidéo compromettante menace de couler définitivement aussi bien les ambitions de Charlotte que les espoirs romantiques de Fred – c'est ici que le titre original trouve tout son sens –, on se surprend même à admirer l'audace du concept, d'une vulgarité qui confine au sublime... Quant au final, il ne décevra pas, parvenant à insuffler un minimum d'espoir dans un monde aussi navrant.

De la réalité au rêve

Alors voilà. On s'en veut presque de n'être pas plus enthousiaste, mais un certain principe de réalité oblige à reconnaître l'évidence: Long Shot reste loin du chef-d'oeuvre envisageable si un vrai cinéaste, le Blake Edwards des grands jours ou un condensé encore à trouver de LeoMcCarey et d'Adam McKay, avait été aux commandes. Long Shot n'a ni la vérité politique de The Candidate (Michael Ritchie, 1972, avec Robert Redford) ni la perfection romanesque The American President (Rob Reiner, 1995, avec Michael Douglas et Annette Bening). Mais tel quel, avec sa fantaisie qui va crescendo jusqu'à proposer tout naturellement un renversement des rôles et des priorités politiques, il vous laisse sur un sourire pas du tout désagréable. Loin de Trump et des blockbusters de l'été, une autre Amérique reste donc possible?


La bande annonce:

Séduis-moi si tu peux! (Long Shot), de Jonathan Levine (Etats-Unis 2019), avec Seth Rogen, Charlize Theron, June Diane Raphael, O'Shea Jackson Jr., Bob Odenkirk, Andy Serkis, Alexander Skarsgard. 2h06

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