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Actuel / Djihad français: le procès de l’arrière

Antoine Menusier

15 novembre 2018

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Comparaissant à Paris depuis le lundi 12 novembre, quinze individus, dont une fratrie de six, sont accusés d’appartenance à une filière d’acheminement de djihadistes en Syrie et en Irak. Parmi eux, deux frères de la banlieue lyonnaise auraient en plus cherché à commettre un attentat.



La salle Voltaire du Palais de justice de Paris, dédiée aux assises, est quasiment vide ce mercredi 13 novembre, date anniversaire des attentats islamistes qui ont fait 130 morts en 2015 dans la capitale française et sa proche banlieue. Comme si l’envie de se «taper» un procès pour djihadisme n’y était pas, spécialement en ce jour. Quinze accusés, dont six membres d’une même famille, comparaissent depuis le veille devant une cour composée de magistrats professionnels, la règle en matière de terrorisme. Ils sont soupçonnés d’appartenance à une filière d’acheminement de candidats au djihad vers l’Irak et la Syrie en 2013 et 2014, deux d’entre eux d’un projet d’attentat. Sur les quinze, huit, partis en zone de combat, sont toujours recherchés. Pour les présents, c’est en quelque sorte le procès de l’arrière, d’une entreprise idéologique faite d’une violence extrême contre leur pays. Ils encourent 20 ans de réclusion criminelle. Verdict prévu le 30 novembre.

L’attention se porte sur la fratrie B., originaire de Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise – les parents, décrits comme des pratiquants d’un islam «modéré», sont pénalement hors de cause. Actuellement en détention provisoire, deux hommes et deux femmes occupent le box des accusés. Reda et Karim entourent leur sœur Farida. Eux, barbus, cheveux noirs, longs et lisses comme sur la pochette d’un vieux vinyle rock. Queue de cheval pour elle. Visages de craie. Reda, le benjamin, 23 ans, réputé être le cerveau de la filière, adresse de temps à autre des sourires à son frère Karim ou à son avocat, séparé de lui par une vitre en plexiglas partiellement ajourée. Trois autres de la fratrie B., des garçons, sont, eux, partis rejoindre le groupe Etat islamique – l’un serait mort.

Deux agents de la sécurité intérieure (DGSI) témoignent l’un après l’autre par visioconférence, cachés derrière un store. Ils rappellent les faits, font part d’écoutes téléphoniques, de conversations sur la messagerie Whatsapp. Reda semble obsédé par l’action djihadiste. Il a appartenu à un groupe islamiste radical, Forsane Alizza, les cavaliers de la fierté, dissous en février 2012, quelques jours avant le septuple assassinat perpétré par Mohamed Merah. En 2014, avec son frère Karim, leur sœur Farida étant leur «banquière», selon l’accusation, ils auraient eu l’intention de monter une opération terroriste dans la métropole lyonnaise. Reda voulait «les crever, ces chiens», disant préférer «les combattre ici», «direct chez l’ennemi, comme Merah» – la ou les cibles visées ne sont pas précisées. Reda et Karim s’abreuvent par ailleurs de photos et vidéos d’exactions de Daech.

Craignant l’imminence d’un passage à l'acte, la police arrête les deux frères et la sœur mi-septembre de cette année-là. Reda porte sur lui un révolver et l’on retrouve à Vaulx-en-Velin, dans un «appartement conspiratif», une kalachnikov chargée de 28 cartouches, la sienne. Depuis incarcéré, il se réjouit début 2015 de l’attentat contre Charlie Hebdo: «Allah Akbar, ça y est, ils l’ont fait, ils ont vengé le prophète.»

Plus tôt, en septembre 2013, Karim est parti en Syrie, dans les rangs de ce qui porte encore le nom d’Etat islamique en Irak et au Levant. Il en revient en novembre de la même année, pendant que trois des frères B. sont déjà sur zone. Un séjour incroyablement court. Il dira avoir eu peur. La police penche plutôt pour un retour avec mission confiée. En 2013 toujours, Reda et Karim font pression sur un jeune homme pour qu’il aille combattre en Syrie, selon la sœur de ce dernier, parviennent à le convaincre, lui promettant l’enfer après la mort s’il n’y va pas.

Karim épouse une mineure âgée de 13 ans, un «mariage religieux». Une consœur journaliste qui a enquêté sur les femmes djihadistes, m’explique, indépendamment du cas présent, la raison de ces unions contractées en France à une époque où les départs pour le djihad sont nombreux: «Pour le recruteur, c’est un moyen de contrôler la jeune femme. Une fois répudiée, celle-ci est fortement incitée à rejoindre Daech, où elle épousera un combattant. Peu importe qu’elle ne soit plus vierge. Si elle refuse, il menace de la griller dans le quartier en lui collant une réputation de pute.»

Les témoignages des deux agents de la DGSI ont pris tout l’après-midi. Des avocats de la défense les ont titillés sur un ou deux détails importants: contrairement à ce qu’affirme l’un des fonctionnaires de la sécurité intérieure, lors de son interpellation Reda n’a pas proféré de menaces de mort à l’endroit des policiers. L’audience est levée jusqu’au lendemain.

Dans les couloirs du palais de justice, une avocate d’une accusée estime que «c’est très important, le respect des droits de la défense, dans de tels procès; ceux qui affirment combattre le système, n’attendent qu’une faute pour alimenter leur thèse». «Excusez-moi, il faut que j’y aille», dit-elle, se rendant à une remise de médailles commémoratives des attentats du 13 novembre 2015.

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