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Culture

Culture / «Inch’Allah», le livre qui vient du mauvais côté

Antoine Menusier

31 octobre 2018

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Cornaqués par deux stars françaises du journalisme d’enquête, cinq apprentis reporters se sont attaqués à un sujet ultra-sensible, l’«islamisation» du fantasmatique «9-3», la Seine-Saint-Denis. Leur livre, titré gros «INCH’ALLAH» en lettres capitales, confirme une évolution observée ces dernières décennies et suscitent de vives réactions côté musulman.



«Il y a un problème avec l’islam», leur avait dit l’ancien président de la République François Hollande, à l’occasion de conversations informelles rassemblées dans Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016). Gérard Davet et Fabrice Lhomme, enquêteurs vedettes du journal Le Monde, sont partis de cette confidence peu commune dans la bouche d’un homme politique de gauche. A l’arrivée, Inch’Allah, l’islamisation à visage découvert.

L’enquête proprement dite a été réalisée pendant huit mois par cinq étudiants, deux jeunes femmes et trois jeunes gens du Centre de formation des journalistes de Paris. Si la plupart des «lanceurs d’alerte» ayant attiré l’attention depuis vingt ans sur un phénomène d’emprise islamiste ici ou là trouvent confirmation à leurs travaux, si Eric Zemmour, le chantre d’une identité française anti-islam, applaudit et remet une couche, le livre, c’était à attendre, provoque un tollé chez les partisans d’un religion qui n’aurait à rendre compte de rien, dès lors que tout ce qui s’y rapporte est légal.

De fait, tout ou à peu près tout de ce que décrit Inch’Allah est légal. Mais pour autant, dans ce département pauvre de la région parisienne (1,6 million d’habitants dont une moitié de musulmans, selon Davet et Lhomme), un islam de type fondamentaliste, empreint de salafisme quiétiste (non violent mais fermé aux compromis), a pris pied par endroits et semble se développer. A l’exemple de cette école privée musulmane où les enfants dessinent des personnages sans visage, où les poupées n’en ont pas non plus, parce que c’est «interdit». Les mères disent préférer la sécurité de ce genre d’établissement à l’insécurité de l’école publique, mais elles apprécient manifestement ce mode de vie régi par une stricte binarité halal-haram (licite-illicite).

Le livre aborde vingt-et-un cas en autant de chapitres, tous «sourcés» et sans anonymat (à l’exception d’une anecdote spectaculaire dans la préface relative à un barbecue «halal» au sein de la police, information démentie par un syndicaliste policier). On y constate donc la large diffusion d’une littérature vantant la soumission de la femme à son mari; la profusion des voiles très couvrants; des comportements clairement contraires à la laïcité dans le cadre scolaire public; l’entrisme religieux à l’hôpital ou dans un dépôt de la régie de transport RATP; le succès de la «médecine prophétique» pratiquant des saignées superficielles; etc.

«Une mosquée, c’est trois mandats»

Le plus intéressant, le plus préoccupant, aussi, dans Inch’Allah, est moins la description du fait religieux, pour ainsi dire du déjà entendu, que le rapport de force politique qui s’y rattache. Comme dans le cas de ce père bataillant pour empêcher la construction d’une mosquée en face de chez lui (son fils converti à l’islam est mort après avoir rejoint Daech). Un chapitre est très éclairant sur le clientélisme municipal, qui montre l’importance du lobbyisme d’entrepreneurs identitaires auprès des maires ou futurs maires – «une mosquée, c’est trois mandats», dit un adage. On retiendra encore le chapitre sur le fiasco du renseignement intérieur, avant 2015, en Seine-Saint-Denis.

La riposte à ce livre a commencé. Deux journalistes femmes du Bondy Blog, créé par L’Hebdo en 2005, ont rendu un avis on ne peut plus critique dans un article reprochant notamment aux auteurs l’« [application] encore et toujours [d’]un traitement différencié à la religion musulmane». Mais c’est du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association représentative d’un islam militant, qu’est venue la réplique la plus cinglante. Dans une série de tweets rédigés comme un acte d’accusation, le CCIF épingle les noms des cinq étudiants auteurs de l’enquête, ce qui leur vaut déjà quelques menaces.

Oui, sujet brûlant. Où la nouveauté est la caution apportée par deux icônes d’un journal de centre gauche, Le Monde, peu suspect d’islamophobie, à une démarche éditoriale d’habitude le fait des «ennemis de l’islam», selon un vocabulaire bien rôdé. Le CCIF qualifie Inch’Allah de stigmatisant et demande à la direction du quotidien du soir de se désolidariser de cet objet.


  Inch’Allah, l’islamisation à visage découvert. Une enquête Spotlight en Seine-Saint-Denis (sous la direction de Gérard Davet et Fabrice Lhomme), Fayard, 290 p.

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