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Actuel / Après La Poste, Ruag: un autre Etat dans l'Etat

Jacques Pilet

22 juin 2018

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L’ex-président de la Poste, Claude Béglé, l’a dit franchement: l’institution est devenue un Etat dans l’Etat, avec sa hiérarchie, sa méthode, son opacité. Il y en a une autre, moins connue: la multinationale de l’armement Ruag, entièrement détenue par la Confédération. Deux milliards de chiffre d’affaires, 9000 employés, 80 lieux de production. Elle vient d’obtenir un succès: le Conseil fédéral a décidé d’assouplir les restrictions à l’exportation d’armes. Elles pourront aller désormais vers des Etats agités par des conflits intérieurs. Et notamment, un gros client, vers l’Arabie saoudite qui mène au Yémen une guerre particulièrement cruelle pour les populations civiles. Mais qui sait que Ruag prépare une implantation au Brésil pour la production de munitions pour armes légères? Dans un pays rongé par la violence et la corruption.



Le cadeau, politiquement et éthiquement plus que discutable, à une entreprise qui traîne pas mal de casseroles. En 2016 déjà, la commission fédérales des finances a déposé une plainte devant le Ministère public fédéral en raison de l’usage peu clair des 200 millions que le département de la défense verse à Ruag pour diverses tâches, notamment l’entretien des avions et des hélicoptères de l’armée. Des soupçons de surfacturation apparaissent. Une partie de cette somme pourrait avoir servi à d’autres fins. L’affaire traîne car les vrais chiffres tardent à venir au jour. La commission de gestion du Conseil national a récemment épinglé Ruag pour sa gestion de la cyber attaque subie en 2015, lorsqu’un énorme paquet de données a été piraté de l’étranger. La direction a minimisé l’affaire, tardé à prendre des mesures. Là, l’administration a mis la pression et les choses seraient rentrées dans l’ordre. Mais les parlementaires sont sévères. Ils se montrent critiques «envers la capacité du DDPS à représenter et défendre les intérêts de la Confédération en tant que propriétaire face à Ruag». En clair, cette entreprise a tendance à n’en faire qu’à sa tête.

Tout est bon. Même le pire

Les deux tiers de ses revenus proviennent de l’étranger où ce Ruag compte plusieurs filiales et des agents plus ou moins connus. Notamment au Brésil depuis huit ans. Et là, une enquête de la «Wochenzeitung» tombe sur un projet encore tenu secret: la construction d’une usine de production de munitions pour armes légères dans le nord-est, au Pernambuco. Un investissement d’environ 15 millions serait prévu. En quoi l’Etat suisse a-t-il intérêt à une telle implantation? Poser la question, c’est y répondre. 

Tout cela se passe sans débat. La conseillère nationale Priska Seiler (PS), membre de la commission de gestion, déclare à la «WOZ»: «Le contrôle parlementaire s’exerce à peine sur la Ruag. Nous n’avons obtenu aucune information sur l’affaire brésilienne. Autrefois, le Conseil fédéral communiquait au moins sur les projets stratégiques. Il ne le fait plus.» La Ruag profite à sa guise de la marge qui lui est laissée.

La majorité de droite du gouvernement ferme les yeux. Dès qu’il est question de défense, tout est bon. Même le pire.


A lire aussi

L'article en portugais du Jornal do Commercio: Ruag vai iniciar produção em Pernambuco ainda este ano

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

9 Commentaires

@rolandoweibel 22.06.2018 | 09h21

«À part le manque d'intérêt des parlementaires on s'étonne aussi du manque d'intérêt général des journalistes suisses, à quelques exceptions pré (merci M. Pilet). Pourtant, dans ce monde où les journaux ont tant de peine, la qualité et les investigations fouillées gardent toute leur importance et restent la meilleure garantie de la survie de la presse, ou du moins d'une certaine presse.
R. Weibel»


@Jack MacHost 22.06.2018 | 09h46

«Ruag et La Poste aujourd'hui, les milliards perdus par Swisscom hier.
Et demain les CFF?

Tout cela montre bien que ce statut hybride n'est pas tenable.
On est privé quand ça nous arrange pour des aventures qui permettent des bonus,
et publique quand il s'agit de se protéger des conséquences.
Et pour nous?
Les services ne sont pas meilleurs qu'il y 10 ans et surtout pas moins chers.
Quant aux dégâts sur le personnel, n'en parlons même pas.

Le choix est vite fait, soit une privatisation complète, et vu la taille des entreprises elles seront rachetées fissa par plus grosses. Et alors bonjour les dégâts pour l'infrastructure du pays.
Soit on renationalise et on en fini avec la culture du résultat et des bonus.
Et on en revient à des services publiques dont la signification est au service des citoyens, pas self-service dans les caisses pour le management.

»


@Lagom 22.06.2018 | 19h09

«Les munitions de Ruag sont tellement précises, qu'elles ont 3 fois plus de risque de tuer, que les balles produites par les autres fabricants d'armes. Ruag équipe en munitions pour armes légères, les gardes-du-corps des rois et des présidents dans le monde entier, y compris ceux de certains pays qui fabriquent eux-mêmes des armes. Vous avez raison de chercher à deviner notre intérêt à faire cela au Brésil. Investir 15 million revient à s'attendre de gagner un peu moins qu'un million par an. Le fondateur du CICR va se retourner dans sa tombe si le projet secret brésilien se réalise. »


@DorisE 24.06.2018 | 07h28

«Merci pour cet article Jaques Pilet qui justifie à lui seul mon abonnement à BPLT. »


@yvesmagat 24.06.2018 | 11h25

«Sur RUAG au Brésil voir l'article détaillé de Jean-Jacques Fontaine dans son blog Vision Brésil de décembre 2017: https://visionbresil.wordpress.com/2017/12/04/vision-bresil-4-decembre-2017%e2%80%89-le-drole-de-commerce-darmes-du-gouvernement-suisse-ou-le-double-visage-de-janus/#more-10035»


@Lagom 24.06.2018 | 15h05

«Merci Y. Magat. D'après J.-J. Fontaine l'investissement est 10 fois plus que les 15 millions mentionnés par J. Pilet. A présent on comprend mieux les motivations du PLR et de l'UDC qui sont les vrais décideurs au Conseil fédéral. Il y a du fric à faire, c'est du sérieux. Les balles de Ruag tuent mieux - pas besoin de faire trop souffrir les victimes avant.
Quelle honte !»


@fontaijj 24.06.2018 | 15h33

«Juste une précision: avant d'être "découverte" par la Wochezeitung, cette information sur RUAG au Brésil est parue dans La Liberté, le 5 janvier 2018, Balles suisses au brésil, La firme d’armement RUAG, aux mains de la Confédération, a un projet d’usine dans le Nordeste brésilien - JEAN-JACQUES FONTAINE, RIO DE JANEIRO https://www.laliberte.ch/news/suisse/balles-suisses-au-bresil-422353
Dommage que Bon pour la Tête ait repêcher à Zurich, 5 mois plus tard, une info parue à Fribourg...
Amitiés tout de même!»


@gindrat 24.06.2018 | 19h54

«Pourquoi donner des millions pour l'aide humanitaire alors que l'on fournit soi-même les armes dévastatrices.»


@volovron 27.06.2018 | 10h33

«Je repète et repète,et martèle assez souvent M Favre de Forum(RTS Radio) qui va chercher en France voisine les sujets à debattre même s'il y a pas mal de sujets dans son pays "modèle"qui sont au coeur de la Confédératrion et du Conseil Fédéral (jamais un débat sur UBS et Crédit Suisse,des vrais "Ganster de la Finance,à l'instar de HSBC dont la RTS a dedié un programme...pourquoi aller checher ailleurs??
La réponse,dans un livre que j'ai acheté dans un bouquimiste en Plan Palais par 3 CHF:LE PATRIOTISME SUISSE,"MAIS IL EST UNE AUTRE FAÇON,PLUS SUBTILE,DE FONDER LA GRANDEUR DE SA PATRIE SUR L'APPAUVRISEMENT DES AUTRES PATRIES:C'EST DE SYSTEMATIQUEMENT,SOUS-ESTIMER OU DENIGRER CE QUI SE FAIT AILLEURS"(SIC)
M.Favre et pas mas de moyen Suisses vont chercher de boucs émisaires en Alemagne,France et Iltalie et,tous les jours dans la UE,sans,tout d'abord,lever le tapis de la "Suisse modèle"
On n'a presque pas écrit et parle de l'espion envoyé en Allemagne pour traque ceux qui donnent des renseignements des fraudeurs fiscaux,et...j'n passe

Rafael»


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